La mort! Le mot est lâché! Un mot qui fait peur, qui donne des frissons dans le dos. Un mot que l’on voudrait pouvoir effacer des dictionnaires.
Mon premier contact avec la mort… J’avais six ans.
Grand-papa Gauthier.
On nous a fait sortir de la maison. «Allez jouer dehors.» Je me souviens très bien. Nous nous amusions sur le banc de neige tout près. La porte s’est ouverte. Une civière. On a arrêté de jouer.
On n’a plus jamais revu notre grand-père.
Plus tard, ce fut au tour de ma mère. J’ai d’abord vu la mort passer dans son regard apeuré. Puis, lentement, le cancer a fait son oeuvre. Un jour, tante Jeanne m’a appelé au collège pour me dire que ce n’était plus qu’une question de temps. Maman avait demandé à recevoir l’extrême-onction. Les adultes avaient acquiescé à son voeu, appelé monsieur le curé. Je leur en ai voulu. Maman ne mourrait pas. Maman était immortelle.
Je suis revenu à la maison.
Ce matin-là, le dernier, maman m’a demandé d’appeler mes frères et ma soeur. Elle voulait les voir une dernière fois avant de partir.
– D’accord. Mais avant, je vais appeler le médecin.
Je ne voulais pas qu’elle meure.
Il faut bien s’en aller un jour
Aujourd’hui, quand je repense à mon attitude ce matin-là, je m’en veux d’avoir nié l’évidence. De l’avoir laissée seule pendant ce moment si important. Le dernier. Je ne voulais pas y croire.
Si c’était à refaire, si je pouvais revenir en arrière, j’agirais autrement, je l’écouterais, je lui donnerais la main, je lui dirais que tout va bien aller, que je suis à ses côtés.
Par ailleurs, je sais bien que c’est humain, ce déni. On voudrait tant que les gens qu’on aime ne meurent pas! J’ai un ami qui est rendu dans son grand âge. Il me parle parfois de sa propre mort.
– Cela ne devrait plus tarder, m’a-t-il dit récemment.
Je ne voulais pas l’entendre.
– Allons donc! Vous êtes éternel, mon ami.
– Malheureusement, je crois que je vais vous décevoir! a-t-il répondu avec son humour habituel.
Je me suis trouvé idiot. Maintenant, quand il aborde le sujet, je l’écoute, sans nier l’évidence. Nous en parlons même ouvertement. Hier, je lui ai demandé s’il avait peur. «Non, je suis prêt, m’a-t-il annoncé. Vous verrez quand vous aurez mon âge. Il faut bien s’en aller un jour.»
Faire de la place à la mort
Reste que, à la plupart d’entre nous, la mort fait peur. Et pourtant… ne devrait-elle pas nous être aussi naturelle que la joie, la peine ou le bonheur?
On cache la mort aux enfants comme si, dès le commencement, il valait mieux ignorer la fin. Je me trompe peut-être, mais il me semble que, socialement, on fait de plus en plus comme si elle n’existait pas. Récemment, je suis allé au salon funéraire. C’était gai, animé. On se serait cru dans un cinq à sept. Ça riait, discutait. Et la morte? Ah! la morte, c’est vrai, il y a une morte. Elle était là, au fond de la pièce, sur une petite table, enfermée dans une urne, sans visage.
Il me semble que si l’on faisait un peu plus de place à la mort, si on cessait d’agir comme si elle n’existait pas, tout le monde s’en porterait mieux. Ça nous rendrait même plus vivants. Car la mort, pour paraphraser notre grand Félix Leclerc, c’est plein de vie dedans.
La mort nous parle du bonheur d’être là. Elle nous rappelle que le temps fuit – appelons ça la loi du sablier – et que l’on ne fait jamais deux fois le même trajet.
Elle nous pousse du côté de la vie, dans l’instant présent.
Faire de la place à la mort, c’est être porté à se rapprocher davantage de ceux qu’on aime, y compris de ceux qui sont sur le point de s’en aller et qui ont plus que jamais besoin de nous.
Faire de la place à la mort, c’est être capable de l’entendre dire: «Vive la vie!»
Jean-Louis Gauthier, Rédacteur en chef
jean-louis.gauthier@bayardcanada.com
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