Réfléchir à la marque qu’on aimerait laisser n’est pas un exercice facile. Néanmoins, trois personnes ont relevé le défi et nous livrent des récits aussi différents qu’inspirants.
Hélène-Lise Trudeau: allumeuse de réverbère
Après avoir fait carrière à titre de chef de pupitre dans le domaine de l’édition, Hélène-Lise a décidé, en septembre dernier, de mettre fin à sa retraite pour aller travailler auprès d’élèves du primaire. Parallèlement à ce nouveau chapitre de vie, elle a amorcé une psychothérapie pour mieux gérer son anxiété. Elle est un phare pour sa famille, ses amis, voire les petits qu’elle côtoie du lundi au vendredi.
Antécédents d’anxiété
«L’anxiété est présente des deux côtés de mon arbre généalogique. Elle a beaucoup ombragé ma vie et qu’elle s’est invitée dans la vie de mes filles. Au fil des ans, j’en ai eu beaucoup sur les épaules et j’ai vécu une grande partie de mon existence dans un état d’hypervigilance. L’incertitude était constante: « Est-ce qu’on va arriver financièrement? Est-ce que je vais pouvoir aider mes filles si elles sont dans le besoin? » Je peux dire aujourd’hui que cet état d’alerte m’a toujours permis de pallier les manques qui auraient pu survenir. Mais cette longue période m’a tellement insécurisée. L’image que j’ai de moi à cette époque est celle d’un dragon impétueux qui crachait du feu.
De beaux souvenirs
«Ce que je voudrais que mes filles retiennent de moi, c’est la certitude que, derrière mon apparence de personne dure, il y avait beaucoup de tendresse et de douceur. Je veux qu’elles sachent que je les ai aimées dans leur entièreté, contre vents et marées. Mon amour pour elles s’est traduit par beaucoup d’attention: je les ai enveloppées, puis protégées de toutes les façons possibles. Elles ne l’ont pas eue facile par moment, mais toutes deux semblent s’être trouvées.
«Jusqu’à l’âge de 40 ans, je n’ai pas été capable de faire ressortir ma douceur. Aujourd’hui, cependant, mon approche envers elles est plus tendre qu’inquiète. Le dragon que j’ai été s’est transformé en une grosse peluche. Je ronronne plus que je ne sors mes griffes! Ça ne fait pas très longtemps que je me sens ainsi, mais ça me fait tellement de bien. Tous les jours, je prends conscience que je fais des progrès dans ma façon de gérer mon anxiété, d’aborder la vie et de traiter les autres. J’essaie aussi que chaque journée comporte des moments de joie.
Être agent positif
«Ce n’est sûrement pas un hasard si je travaille désormais dans le milieu scolaire. J’y trouve un terrain fascinant pour être créative; j’évolue parmi des petits êtres qui me gardent jeune de cœur. J’ai aussi le sentiment d’être un agent positif dans leur vie. Par exemple, un garçon est venu me voir et m’a dit: « Je suis idiot. » Je lui ai répondu: « Mais d’où sors-tu ça? Je n’ai jamais pensé cela. Je vais te prouver le contraire… »Je lui ai raconté une anecdote qui le mettait en valeur et tout de suite, j’ai vu la lumière briller dans ses yeux.
«Dans Le petit prince, de St-Exupéry, on peut lire la phrase suivante: « Quand il allume son réverbère, c’est comme s’il faisait naître une étoile de plus, ou une fleur. » C’est cela que je désire le plus: être une allumeuse de réverbère. Si j’ai pu, par un geste ou une parole, apaiser ou redonner l’espoir à quelqu’un, j’aurai fait quelque chose de bien.»
Louise Paradis: solidaire des autres
Quand elle a pris sa retraite de l’enseignement en 2019, Louise n’avait qu’un but: consacrer son temps à la solidarité internationale. Celle qui a organisé plusieurs voyages d’aide humanitaire a hélas vu ses ambitions freinées par la COVID-19… Heureusement, les contrats de suppléance et l’aide apportée dans les hôpitaux durant la pandémie lui ont permis d’assouvir son besoin de secourir son prochain.
L’appel
«Le goût d’aider les autres provient de mes parents, qui étaient très impliqués dans leur communauté, mais aussi d’une religieuse missionnaire qui nous avait visités en classe. J’étais âgée d’environ 10 ans quand, après une chute en ski, j’ai levé les yeux au ciel et je me suis dit: « Moi aussi, un jour, je serai missionnaire. »
Aide humanitaire
«Au Québec, j’ai œuvré auprès des handicapés mentaux et des itinérants. J’y emmenais mes élèves et mes deux filles. Nous leur avons préparé et distribué plusieurs repas. Quand elles sont devenues adolescentes, mes filles m’ont accompagnée dans un voyage d’aide humanitaire en République dominicaine. Ma plus jeune a eu la piqûre et a plus tard fait le tour du monde avec moi. Durant ma carrière d’enseignante au Collège Trinité, à Saint-Bruno, j’ai fait voyager pas moins de 300 élèves avec moi.
«Au fil du temps, j’ai contribué à ériger une maison de naissance au Lesotho, la première du genre en Afrique, fondé une coopérative agricole au Nicaragua, construit des poulaillers… C’est important pour moi d’investir dans ces milieux-là pour le bien-être des gens. De mon vivant, je tiens d’ailleurs à dépenser en aide humanitaire la moitié de la valeur de ma maison actuelle. Je vais la vendre et emménager dans une micromaison. De toute façon, je serai souvent partie à l’étranger.
Trouver son bonheur
«Mon bonheur vient de l’entraide. À mon avis, plus on aide, plus on est heureux et plus on est heureux, plus on aide. Ce que j’aimerais dire aux autres, c’est que chaque être humain doit être considéré comme notre frère ou notre sœur. Si nous savons qu’ils vivent dans la misère, il faut que nous leur prêtions main-forte. C’est gratifiant. Leur envoyer de l’argent est apprécié, mais notre présence sur le terrain est encore plus « payante »: ça les valorise et ça les aide à se sentir importants.
Je dis toujours aux personnes qui m’accompagnent que c’est correct de faire des voyages « tout inclus », mais que, s’ils le font, j’aimerais qu’ils réservent une partie de leur séjour pour se soucier des autres. Rendre service, apporter des fournitures scolaires ou des vêtements, bref, ne pas hésiter à aller à la rencontre des gens. On se sent fier après cela, car on contribue à illuminer le regard de l’autre.
Ne pas lâcher
«Même quand la situation semble désespérée, il faut toujours croire que c’est possible d’aider. La petite action que l’on pose a toujours une portée incroyable. J’aimerais ça que tout le monde ait la chance – et je dis bien LA CHANCE – de vivre l’expérience d’un voyage humanitaire.»
Sur Facebook: Solidarité tour du monde.
Charles-André Marchand: passionné d’histoire et d’histoires
L’arc professionnel de Charles-André contient plusieurs cordes: animateur de radio, chroniqueur sportif et judiciaire, traducteur, auteur, blogueur… Ce bourreau de travail continue de s’accomplir au quotidien et, de son propre aveu, n’est pas près de ralentir. «J’ai une passion pour l’histoire. Dans tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant, que ce soit dans mes chroniques radiophoniques ou dans mes livres, j’ai toujours aimé rappeler des faits et me documenter pour recréer la trame historique des événements. Pègre QC, c’est un ouvrage d’histoire. Quant aux romans Les funérailles des Dieux, ainsi qu’Arcade et Gail, la série que je viens de co-écrire avec Katherine Girard, les personnages fictifs y sont plongés dans des univers réels.
Avoir un impact
«Cette passion, j’essaie de la rendre contagieuse. Si un de mes livres donne envie à quelqu’un de lire et de s’intéresser à l’histoire, je vais être fier. J’entends trop souvent que « l’histoire, c’est plate. C’est juste des dates. » Non. L’histoire permet de réaliser, par exemple, qu’il y a eu des femmes extraordinaires, mais dont on n’avait jamais parlé avant la fin du 20e siècle! De même, des thèmes comme la prostitution ou l’homosexualité n’étaient pas abordés. Pourtant, cela existait! Quand on évoque de tels sujets, ça chatouille la curiosité des gens, mais il y en a que ça choque, aussi…
Ne pas se répéter
«On assiste depuis peu à un refus d’accepter le passé et de dire certains mots. Je trouve ça dangereux. En vivant dans le déni, on répète les erreurs d’antan. Ce n’est pas rendre service à nos enfants, à nos petits-enfants et aux générations futures que de vouloir gommer le passé. Il faut reconnaître qu’il a existé. Pour avoir voyagé souvent aux États-Unis, je trouve que plusieurs Américains ont une méconnaissance de l’histoire; ils la réinventent comme ça fait leur affaire. On l’a vu avec le trumpisme.
Je me suis déjà fait dire par un Bostonien, alors que je couvrais les Canadiens de Montréal: « We kicked ass in Vietnam! » (Nous avons triomphé lors de la guerre du Vietnam!). Cette désinformation me fascine. Seulement, c’est impossible de discuter avec de telles personnes. La démocratie est en train de mourir aux États-Unis. Ma fille habite en Ohio avec son mari et leur petite. Le climat n’y est pas agréable. Ils pensent déménager au Québec, ce qui me comble de bonheur.
«D’ici à leur arrivée, et même après, je vais continuer à écrire et à vouloir m’accomplir. J’ai compris, en parlant avec l’architecte Roger Taillibert – je le considérais comme mon troisième grand-père –, que le travail favorise la stimulation intellectuelle. Quand je lui ai demandé ce qui le motivait encore à 80 ans, il m’avait répondu: « Jeune homme, la retraite est l’antichambre de la mort. » Cette phrase résonne encore en moi. Ayant vu mon père décliner cognitivement après sa retraite, c’est sûr que, comme Roger, j’ai envie de continuer à être éveillé. J’ai encore des histoires à raconter.»
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