Personnes toxiques: quand travailler, c’est trop dur!

Personnes toxiques: quand travailler, c’est trop dur!

Par Caroline Fortin

Crédit photo: iStock

On a beau aimer notre emploi ou notre bénévolat, il arrive que des collègues ou des supérieurs pourrissent l’ambiance. Comment réagir dans un climat de travail toxique?

Une dirigeante de musée congédiée, une gouverneure générale qui intimide, un «régime de terreur» installé par la direction d’un grand réseau de télé: l’actualité des derniers mois a mis en lumière plusieurs cas d’environnement de travail toxique. Derrière ces histoires médiatisées, des dizaines d’employés traumatisés. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg d’un phénomène de plus en plus répandu.

Selon les chiffres de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST), le nombre de plaintes pour harcèlement psychologique ou sexuel a augmenté de 3617 en 2016 à 4415 en 2019! Entre janvier et la fin de septembre 2020, année où l’organisme a commencé à distinguer dans ses statistiques les plaintes pour harcèlement psychologique de celles d’ordre sexuel, on dénombre 2656 plaintes, dont 2517 pour harcèlement psychologique.

 

L’abc d’un climat toxique

Quand est-on en présence d’un climat toxique? «Lorsqu’il n’y a pas d’harmonie, de respect ou de paix dans un environnement de travail en raison de tensions, de non-dits, de malaises, de conflits ou de comportements dérangeants tolérés, et que plusieurs personnes en sont affectées», répond Ghislaine Labelle, psychologue organisationnelle, auteure et conférencière.

La Loi sur les normes du travail, elle, définit le harcèlement psychologique comme une «conduite vexatoire» qui comprend des gestes, actes ou paroles hostiles ou non désirés à répétition, au point de porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique d’une personne et d’engendrer un climat néfaste.

Par exemple, discréditer continuellement un collègue, l’isoler, l’empêcher de s’exprimer, se moquer de lui, l’humilier en public, répandre des rumeurs sur son compte. Divers signes peuvent indiquer qu’on évolue dans un environnement de travail toxique, précise Cynthia Mathieu, professeure en comportement organisationnel à l’Université du Québec à Trois Rivières et spécialiste des personnalités sombres en milieu de travail. «Si on en est victime, on ressentira des symptômes de détresse psychologique: augmentation du stress, insomnie, difficultés de concentration, irritabilité, hypersensibilité, découragement. On sera évidemment moins productif. Dans l’entreprise, on observera chez les équipes une diminution de la motivation, de l’engagement, et une hausse des plaintes, des griefs, de l’absentéisme et du roulement de personnel.» Celle que Facebook a invitée en 2017 à donner une formation à ses troupes ajoute que tout environnement qui ne tient pas compte de l’être humain peut devenir toxique. «Quand on vise le profit à tout prix, qu’on n’a aucune flexibilité, qu’on n’écoute pas ses employés, qu’on leur donne des échéances et des moyens irréalistes, on les met en état de stress et d’échec constant, ce qui peut avoir les mêmes effets sur eux que du harcèlement.»

 

Des traits de personnalité typiques

Qu’ont en commun ces gens qui plombent l’ambiance? Ils sont souvent parmi les plus… performants. «Ce sont d’ordinaire des personnes charismatiques, extraverties, caméléons, qui se démarquent en entretien d’embauche et qui obtiennent facilement des postes de gestion, car elles font tout pour se rendre où elles veulent, sans considération pour autrui», explique Cynthia Mathieu. Ces gens-là n’ont qu’un maître: eux-mêmes. «Quand on dresse le profil des individus à l’origine de climats toxiques, on observe un manque d’éthique, peu d’empathie, des gens qui s’approprient le travail ou les idées des autres, retiennent l’information, n’hésitent pas à utiliser la manipulation, l’agressivité et le harcèlement pour parvenir à leurs fins. En psychologie, on parle de la “triade sombre” — narcissisme, machiavélisme et psychopathie —, des traits associés à un comportement nocif en milieu de travail.»

Le hic, avec de tels individus, c’est que les entreprises préfèrent en général les garder parce qu’ils génèrent des résultats, des bénéfices. même s’ils sont toxiques. «Mais en tolérant leur comportement, en n’y remédiant pas, elles instaurent une culture de non-dit, d’omerta, qui contaminera le reste de l’organisation», renchérit Ghislaine Labelle.

 

Que faire?

Tout d’abord, il faut savoir que les entreprises sont tenues par la Loi sur les normes du travail de fournir un milieu de travail harmonieux et exempt de harcèlement. Si on sent que ce n’est pas le cas, on a des recours. Voici la marche à suivre.

1. Identifier la source du malaise

Un collègue qui nous rabaisse? Le patron qui nous crie constamment dessus? «Habituellement, cette étape n’exige pas une longue réflexion, remarque Cynthia Mathieu. Mais le malaise peut également venir du fait qu’on est témoin d’une consœur qui se fait harceler, d’un voisin de bureau qu’on voit dépérir. Les témoins éprouvent eux aussi des symptômes de détresse psychologique, de stress ou autre, car ces comportements nuisent au climat général.»

2. Informer l’individu de son comportement nuisible

On lui dit qu’on n’apprécie pas son ton, son attitude, telle remarque. Ou on lui envoie un courriel, un procédé qui a l’avantage de laisser des traces. «Qu’on soit la victime ou le témoin, quand on veut monter un dossier ultimement recevable à la CNESST, il faut l’étoffer le plus possible, tout documenter, prendre des notes détaillées», souligne la professeure de l’UQTR. Si les comportements perdurent, on passe à l’étape suivante.

3. En parler à son supérieur ou aux ressources humaines (RH)

La majorité des entreprises sont dotées d’une politique antiharcèlement et de procédures de traitement des plaintes. On peut s’y référer pour se guider, et aussi faire appel à son programme d’aide aux employés (PAE) pour obtenir des conseils. Selon Cynthia Mathieu, les études montrent que la plupart des cas de harcèlement se déroulent entre collègues de même niveau. On fait donc part de sa situation à son supérieur immédiat ou au responsable des RH. «Il faut savoir que jusqu’à cette étape, on n’est pas encore obligé de citer des noms, par exemple si on craint des représailles. C’est quand on formule une plainte qu’on doit nommer les personnes en cause.» De son côté, l’employeur qui respecte sa politique interne a alors le devoir d’intervenir. «On ne peut pas changer la personnalité de quelqu’un, mais on peut l’aider à modifier son environnement et ses comportements, ajoute Ghislaine Labelle. Savoir qu’il y aura des conséquences disciplinaires peut suffire à motiver le changement, car l’individu craindra sinon d’entacher sa feuille de route.»

4. Déposer une plainte

Quand rien ne change, on porte plainte en suivant la politique interne de l’entreprise, la convention collective, ou alors on l’adresse à la CNESST. «Mais on doit se faire épauler dans ce processus et se demander si on a des appuis au sein de l’entreprise, prévient Cynthia Mathieu, car il arrive régulièrement que la personne toxique est protégée par la haute direction. Ce n’est pas tout le monde qui peut entreprendre une telle démarche, il faut être solide. Comme les victimes d’agression sexuelle, on doit être prêt à revivre les événements, à les raconter encore.»

Quant aux personnes bénévoles, elles sont incluses par la plupart des entreprises et organismes sans but lucratif dans leur code d’éthique et leur politique antiharcèlement au travail. Toutefois, comme elles ne sont pas couvertes par la Loi sur les normes du travail, sauf quelques exceptions, elles doivent porter plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

5. Quitter l’entreprise ou l’organisme

On ne se sent pas soutenu, la culture organisationnelle favorise le silence, les démarches sont trop énergivores? «Il n’y a pas de honte à quitter son emploi ou son poste de bénévole, même si ça peut nous sembler injuste, avance la professeure. Avant de le faire, on peut consulter un psychologue, peser les pour et les contre. Plusieurs partent aussi parce qu’ils ne veulent pas être étiquetés.» On peut également décider de dénoncer un individu toxique une fois qu’on se sera trouvé un nouvel emploi. La loi nous donne jusqu’à deux ans après la dernière manifestation de harcèlement pour le faire.

Pour plus d’info: Éducaloi (Section La loi, vos droits; Travail; Bien-être au travail); CNESST (Section En cas de…); Agir comme médiateur pour rétablir la paix au travail, de Ghislaine Labelle, Éditions Carte Blanche, 2014.

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