La nuit venue, notre monde onirique peut nous en apprendre long sur nous-même… à la condition de s’y intéresser.
On a tous fait, une nuit ou l’autre, un rêve marquant. Mais peu d’entre nous se souviennent de leurs songes le matin au réveil. La bonne nouvelle, c’est qu’il est tout à fait possible de s’y exercer, et d’ouvrir ainsi une porte sur notre monde intérieur.
Je dors, donc je rêve
Les rêves surviennent durant le sommeil paradoxal, un stade découvert par la science dans les années 1950. Le sommeil se divise en effet en deux parties: le lent et le paradoxal. Pendant le sommeil lent, on parcourt trois stades, allant du sommeil léger au sommeil lent profond. «Tout ralentit: notre respiration, nos battements cardiaques, notre pouls; on est en mode économie d’énergie. Les ondes cérébrales sont très lentes, on passe du système nerveux sympathique, qui sert à affronter les difficultés, au système parasympathique, qui les évite et abaisse la vigilance», explique Roger Godbout, Ph. D., professeur au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal et directeur du Laboratoire et de la Clinique du sommeil à l’Hôpital Rivière-des-Prairies. On peut rêver durant ces trois premiers stades, mais il s’agira alors d’une succession de pensées sans véritable scénario. «On revoit le plus souvent de façon passive ce qu’on a vécu dans la journée.»
Puis, entre 70 et 90 minutes après l’endormissement, on tombe en sommeil paradoxal. «Il s’agit d’un sommeil très actif, note M. Godbout. Le cerveau revient un peu comme à l’état d’éveil. Le cœur bat plus vite, notre respiration s’accélère et devient haletante, entrecoupée d’apnées, et nos tympans vibrent. Nos zones d’ondes cérébrales sont actives, nos yeux bougent très vite dans toutes les directions. Par contre, notre tonus musculaire est complètement à plat. On est paralysé et c’est pratique, parce que c’est là qu’on fait nos rêves classiques, les plus élaborés.» En effet, si le corps pouvait bouger, nous deviendrions un danger tant pour nous-même que pour la personne dormant à nos côtés!
Pendant la nuit, ce cycle lent-paradoxal, qui dure de 90 à 100 minutes, se répétera de 3 à 5 fois, et laissera progressivement davantage de temps au sommeil paradoxal, et donc aux rêves. À l’âge adulte, ce dernier occupe environ 20 % de nos nuits. À partir de la quarantaine, on perd progressivement le sommeil lent profond, remplacé par un sommeil léger de stade 2. Et notre sommeil paradoxal est entrecoupé de sommeil léger. En résumé, on ne dort plus comme un bébé. En moyenne, on rêve 100 minutes par nuit, ce qui signifie qu’une personne de 60 ans a passé environ cinq années de sa vie au pays des songes!
Le rôle des rêves
Selon certaines études, 80 % des rêves comporteraient de l’infortune: on court après un bus qu’on a manqué, on essaie de parler mais rien ne sort de notre bouche, on se fait poursuivre par un méchant, on voit un proche mourir… C’est pourquoi la science attribue notamment au rêve une fonction de préparation à l’adversité. «Quand on administre aux animaux, qui tombent eux aussi en sommeil paradoxal, une substance les empêchant de paralyser, on s’aperçoit qu’ils reproduisent en gestes des comportements essentiels à la survie: chasser, manger, se reproduire. Comme s’ils s’exerçaient», illustre Roger Godbout.
Sachant qu’une des fonctions du sommeil paradoxal est d’inscrire dans la mémoire à long terme les informations pertinentes reçues dans la journée (leur tri se fait durant le sommeil lent), cela pourrait expliquer pourquoi, lorsqu’on apprend un nouveau sport, par exemple, on peut y rêver, comme on si consolidait nos acquis durant la nuit.
La psychanalyse attribue quant à elle d’autres rôles à nos rêves, principalement celui de contribuer à notre équilibre psychique en devenant le véhicule d’une part niée de soi. «Il arrive que, pour toutes sortes de raisons, on ne sache pas faire face aux épreuves de façon constructive, affirme Marcel Gaumond, psychanalyste et psychothérapeute à Québec. Par exemple, afin de s’assurer d’être aimé par des proches qui nous manqueraient de respect, on fera mine de ne pas être choqué par leur attitude. Il appartiendra aux rêves de mettre en scène la réalité bien justifiée de notre colère. C’est ce que Jung appelait la “fonction de compensation” du rêve. Si on tient à tout prix à ne donner aux autres qu’une image de soi positive, on deviendra alors prisonnier d’un personnage n’ayant rien d’authentique. En revanche, admettre après un rêve nous montrant sous un jour pas du tout reluisant que nous sommes aussi cela contribuera à entretenir un rapport moins superficiel et donc plus satisfaisant avec les autres.»
Bref, le rêve agirait comme un révélateur de l’inconscient dans son rapport avec le conscient. C’est pourquoi les psychanalystes s’en servent comme outil dans le cadre d’une thérapie. «Selon Jung, on retrouverait dans les rêves l’expression spontanée de l’état actuel de l’inconscient. Pour les comprendre ou les décoder, on devra se familiariser avec leur langage symbolique», souligne M. Gaumond.
Comment se souvenir de nos rêves?
Pour déchiffrer notre monde onirique, encore faut-il s’en rappeler au réveil! Heureusement, on peut s’y exercer. Et pour cela, tous les experts s’accordent sur le fait qu’il n’y a qu’une méthode: laisser en permanence du papier et un crayon sur notre table de chevet afin de prendre des notes.
«On n’utilise pas un téléphone ou un appareil électronique, parce que ça exige trop de manipulation, prévient Roger Godbout. Dès qu’on se réveille, on ne bouge pas, on garde les yeux fermés et on tente de voir les images qui restent de notre rêve.» Puis, on se dépêche de les noter sous forme de mots-clés: chat, tempête, cambriolage, bataille… Ces indices deviendront alors «des fils d’Ariane nous permettant souvent de reconstituer le rêve», indique Marcel Gaumond. Si aucune image ne s’impose au réveil, on inscrit tout simplement «rien». Mais au fil du temps, notre journal de rêves se remplira de mots-clés et de récits, ce qui nous permettra peut-être de constater des récurrences.
Fait intéressant à souligner, «les rêves comportant le plus d’émotions sont ceux dont on se rappelle le plus, mentionne M. Godbout. Ils sont plus marquants. Logique, puisque les émotions et la mémoire font partie des mêmes réseaux dans le cerveau.» En outre, les chances de se réveiller en plein milieu d’un rêve sont élevées, car le sommeil paradoxal est plus important au petit matin. «La dernière période de sommeil paradoxal dure de 40 à 50 minutes, précise le spécialiste. En laboratoire, on peut établir une corrélation statistique assez claire entre le nombre de mots que les gens utilisent pour décrire leurs rêves et la longueur du sommeil paradoxal précédant leur éveil.»
Des clés pour les interpréter
Le psychologue et chercheur Roger Godbout ne croit pas que les rêves ont une signification symbolique. «J’aime citer cette phrase de Freud: “Parfois, un cigare n’est rien d’autre qu’un cigare.”» Cependant, comme la majorité des experts, il estime que «chacun porte en soi le sens du symbole qu’il voit en rêve». Car même s’il existe des thèmes universels indépendamment des cultures – comme rêver d’être pourchassé, de perdre ses dents, d’être nu en public, de tomber, de perdre l’usage de la parole –, on ne peut les soumettre à une interprétation collective. Autrement dit, seul le rêveur détient les clés pour interpréter son rêve. Alors, comment y arriver?
D’abord, on se demande ce que notre rêve évoque par rapport à notre vie actuelle. Reflète-t-il une préoccupation? Un état de stress ou de débordement? On identifie également les émotions présentes dans le rêve.
Ensuite, on tente de faire des liens avec des événements marquants de notre passé récent ou lointain. On peut aussi recourir à la méthode de l’association libre, c’est-à-dire qu’on note tout ce qui nous vient en tête en pensant à notre rêve.
Enfin, on essaie d’établir des liens entre les éléments et les émotions de notre rêve, ce qu’il nous inspire par rapport à notre vie actuelle ou passée, mais aussi la fréquence à laquelle il revient, si c’est le cas. Et gare à la tentation d’utiliser des sites Internet pour l’interpréter! On risque alors d’obtenir 20 significations différentes pour le même élément, des plus littérales (rêver d’un chou-fleur symbolise le cerveau) aux plus loufoques (rêver de manger du chou-fleur indique un besoin de nourriture spirituelle).
«À mesure qu’on travaille sur nos rêves, qu’on leur porte attention, qu’on les observe et qu’on les note, on se rendra compte qu’il s’en dégage une lecture assez impressionnante de notre rapport à la réalité», estime le psychanalyste Marcel Gaumond. Et en chemin, on aura appris à mieux se connaître.
Pour plus d’info, on consulte le Dictionnaire des symboles, de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (Robert Laffont), et Le livre des symboles, ouvrage collectif (Taschen).
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