Rencontré au début du confinement l’animateur et comédien était en arrêt forcé. Une occasion pour lui de faire de multiples prises de conscience… sans remiser cet appétit pour le plaisir qui le caractérise! Entrevue gourmande avec Christian Bégin.
Comment s’est passé le confinement dans votre maison à Kamouraska?
Quelque chose dans la ruralité appelle au confinement, de par le territoire, la distance qu’il y a naturellement entre les gens, les maisons, les villages, dans cette idée de pouvoir porter son regard loin, sans qu’il bute toujours sur quelque chose. C’est un grand privilège que j’ai eu d’être ici. En même temps, je vis seul, avec mon chien, alors ça exacerbe parfois ma solitude.
Qu’est-ce que tout ce temps soudainement libre vous permet de faire?
Je n’ai jamais autant cuisiné, c’est fou! Depuis dix ans que j’ai ma maison ici, ce sera la première fois que j’y passerai tant de temps consécutif. Habituellement, à Montréal, je suis toujours au resto, puisque j’habite seul et que je n’aime pas popoter juste pour moi. En ce moment, je fais de la bouffe, et j’en donne les 7/8 à ma tribu kamouraskoise et à des gens plus touchés que moi par le confinement. Je pensais pouvoir utiliser le reste de mon temps pour écrire, mais je n’y arrive pas! À part pour ma collaboration avec le magazine Caribou. Mon énergie créatrice n’arrive pas à se focaliser sur mes projets de roman et de pièce de théâtre.
Comme vous l’écriviez justement dans une magnifique chronique, vous mangez beaucoup de silence…
Oui, vraiment. Ce qui émerge du silence, c’est pour moi un apprentissage. Parce que dans mon hyperactivité, il n’y a pas beaucoup de place pour le silence. Alors qu’ici, il y en a. Je me force pour ne pas l’enterrer. Je ne mets pas la radio ou les infos en continu, parfois même pas de musique.
Vivez-vous quand même bien avec vous-même?
Ça fluctue. Je dois dire qu’à un moment donné, j’ai frappé un mur. J’ai internalisé le fait que ça pourrait être long et que mes journées pourraient se ressembler encore pour un bout.
Votre action citoyenne vous occupe également…
En effet, je m’implique dans le projet Manger notre Saint-Laurent, qui veut mettre en valeur les ressources de notre fleuve et favoriser l’autonomie alimentaire. Je souhaite que cette pandémie amène de réelles modifications dans notre façon de vivre en relation avec nous-même, avec les autres, le territoire et la planète. On peut spéculer tant qu’on veut sur l’après-COVID-19, mais soit on repartira à fond la caisse comme avant, soit les choses changeront. Reste que la pandémie est déjà en train de nous faire prendre conscience qu’on est trop dépendants des importations et qu’une grande partie de ce qu’on produit est destinée à l’exportation. Quatre-vingt pour cent de nos homards s’en vont à l’étranger, ça n’a aucun sens! On est passé d’un taux d’autosuffisance alimentaire de 80 % dans les années 50 à moins de 20 % aujourd’hui. Ça, je pense que ça va changer pour vrai, notre façon de consommer, d’acheter plus local.
Le Québec au complet s’est mis à faire du pain. Pourquoi on revient aux bases comme ça?
En effet, il y a comme un marché noir de la levure en ce moment! (rires) Je lisais ce matin dans un article que la crise économique actuelle est beaucoup liée au fait qu’on achète seulement ce dont on a besoin. C’est formidable de se rendre compte qu’on achète trop. Quand on résiste à l’injonction, à la pression de consommer, on revient à l’essentiel, et on fait du pain. Je ne sais pas si ce sera une tendance durable, mais elle est bien réelle en ce moment.
La pandémie force aussi à revoir la façon dont on se nourrit d’art…
En effet. J’ai écouté Encore une fois si vous permettez, de Michel Tremblay, à ICI Radio-Canada Première, j’ai adoré! Ça nous ramène à l’époque des radio-théâtres, où tout le monde était mobilisé en même temps. Il va s’inventer d’autres façons de diffuser l’art, car on en a besoin pour vivre. C’est sûr que ça ne sauve pas des vies, mais… si on était coupé de toute forme d’art en ce moment, ce serait doublement morose.
Méditez-vous sur le temps qui file?
Vieillir m’angoisse, alors que je sais pertinemment que c’est un grand privilège. J’ai des amis qui n’ont pas eu la chance de franchir le cap de mon âge – je viens d’avoir 57 ans. Dans ma gloutonnerie, il y a en moi quelque chose d’inassouvissable qui me donne l’impression que je n’aurai pas le temps de faire tout ce que je désire. La situation actuelle m’oblige à réfléchir à ce que je veux vraiment. Et je me rends compte que j’ai été esclave de ma gloutonnerie, de ma soif d’être toujours en action. Et peut-être que ça m’aidera à faire la paix avec l’idée de vieillir. Il y a aussi l’idée de ralentir dans vieillir. Et ça m’amène à me demander ce que je veux prioriser. Je m’aperçois que ma vie intime souffre de mon hyperactivité. Je dois réaménager les espaces de ma vie, afin qu’il n’y en ait pas seulement un de nourri, et les autres en état de disette.
On vous verra plus tard cette année dans Les mecs. Ça raconte quoi?
C’est l’histoire de quatre amis qui traversent leur cinquantaine avec plus ou moins de facilité, d’outils pour comprendre les changements dans la société, les rôles, les codes relationnels. Ce sont leurs hauts, leurs bas, leurs failles, leur côté complètement niaiseux, mais aussi éclairé.
Votre dernière série télé remonte à Trauma…
En effet, et c’était il y a six ans. Puis on m’a donné trois rôles coup sur coup: Christian dans Les Mecs (plus tard en 2020 sur ICI TOU.TV EXTRA), Pretzel dans M’entends-tu? (sur telequebec.tv) et Jean-Charles dans Fragile (sur ICI TOU.TV EXTRA). Je suis content de ne pas avoir été enfermé dans un type de rôle ou un terrain de jeu. J’aurais pu devenir seulement un animateur, ou faire juste de la scène. Là, j’ai une compagnie théâtrale, j’écris, j’anime, je joue. Ça fait 36 ans cette année que j’évolue dans ce milieu. Il y a eu des creux, mais, comme j’ai toujours refusé d’attendre au bord du téléphone, j’ai écrit des shows, j’en ai mis en scène, j’ai toujours rebondi. Je sais que tout peut s’arrêter demain, et en même temps, je ne sais pas si, à 90 ans, j’aurai encore envie de tourner. Une partie de moi se prépare à l’après… J’ai toujours eu ce fantasme d’être aubergiste.
Votre fils Théophile étudie à Séoul. Y avez-vous fait des découvertes culinaires?
On a été invités chez des amis coréens. On nous a servi du crabe bleu, qu’on aspirait cru. De la pieuvre vivante. Les tentacules bougent encore dans l’assiette. Il faut les mastiquer très bien, parce que si on ne tue pas le nerf, elle pourrait s’enrouler autour de la luette et nous étouffer! Il y a une culture culinaire fascinante en Corée, la quantité de petites entrées servies avant le plat principal, le kimchi, les barbecues au milieu de chaque table au resto. Et oui, j’ai goûté au ram-don, les nouilles préparées dans le film Parasite. C’est vrai que c’est très bon.
À Curieux Bégin cette année, vous avez été désarçonné…
Oui, on s’est promenés jusqu’à Bicolline, à Saint-Mathieu-du-Parc, un immense village médiéval où j’arrivais armé d’une tonne de préjugés, qui sont tombés les uns après les autres. La magie et la grandeur du lieu m’ont jeté par terre. C’est comme franchir un portail temporel. On a terminé ça avec un banquet gargantuesque à la Astérix. Un des moments les plus psychotroniques des 12 saisons de Curieux Bégin! [Cet épisode a été diffusé à Télé-Québec le 21 mai.]
En rafale
Ce qui vous fait rire Martin Matte.
Ce qui vous enrage L’insouciance, l’égoïsme liés à une certaine ignorance ou bêtise.
Ce qui vous ouvre l’appétit L’idée de manger un hamburger. Même si je suis un grand gourmet, que j’ai eu la chance de m’asseoir à des tables renommées, il n’y a pas grand-chose qui me fait plus plaisir qu’un hamburger. J’en parle et je salive.
Ce qui vous le coupe Mon seul dédain alimentaire, c’est le fromage bleu. Ça ne passe pas, d’aucune façon.
Votre film de bouffe préféré Alexandre le bienheureux, juste pour son installation de lit: trop génial! The Lunchbox, un film indien sur un homme qui tombe amoureux d’une femme par le biais des boîtes à lunch livrées à son travail. Et L’odeur de la papaye verte.
Une série dont se gaver C’est comme ça que je t’aime et Faits divers, deux séries québécoises exceptionnelles, déjantées, formidables. Fragile, aussi, que j’ai dégustée au complet, même si je joue dedans.
Votre livre de recettes le plus écorné Le premier de Daniel Pinard et le premier de Josée di Stasio. En ce moment, moi qui suis un carnivore impénitent, je lis Loounie Cuisine – Recettes et astuces 100 % végétales, de Caroline Huard. J’aime son approche, qui n’est pas dogmatique, mais veut plutôt ouvrir les esprits. Elle me donne le goût de faire l’effort de manger végan, elle ne me l’enlève pas.
Commentaires: