Le bitcoin a-t-il atteint son pic le 20 janvier 2025?

Le bitcoin a-t-il atteint son pic le 20 janvier 2025?

Par Éric Pichet, Kedge Business School

Crédit photo: iStock

«Achetez la rumeur, vendez la nouvelle», proclame un adage boursier. Maintenant que le bitcoin a atteint 109 000 dollars américains, peut-il encore monter? Ou ne rappelle-t-il pas les grandes bulles de l’histoire financière, comme la tulipomanie?

Dans un article paru dans The Conversation, en novembre 2017, nous analysions les causes de l’envolée du bitcoin, passé au-dessus du seuil symbolique des 10 000 dollars. Sa divisibilité jusqu’à huit chiffres après la virgule, le rendant pratiquement accessible à tous les humains, expliquait largement un engouement mondial inédit pour un actif spéculatif sans aucune valeur intrinséque. Conçu par un algorithme plafonnant son nombre à 21 millions à terme, le bitcoin créé un gigantesque effet d’entonnoir – une demande potentielle extraordinairement supérieure à une offre strictement limitée.

Nous estimions alors qu’il ne fallait surtout pas vendre à découvert le bitcoin, car nul ne pouvait prédire ni la durée ni le sommet de la vague spéculative. Comme nous l’a enseigné Keynes: «Le marché peut rester plus longtemps irrationnel que vous ne pouvez rester solvable.»

Un adolescent à scandales

Né sous X le 3 janvier 2009 et qualifié abusivement d’« or numérique », le bitcoin a connu une adolescence agitée. Les écologistes le blâment d’être extrêmement énergivore, le processus de minage, principalement au Kazakhstan et aux États-Unis, consommant en 2024 l’équivalent de la consommation électrique de la Pologne, ainsi qu’une très grande quantité d’eau.

Les États et les services fiscaux l’accusent également d’être un outil de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, du fait de son intraçabilité. Les régulateurs lui reprochent de faciliter les escroqueries de haut vol comme celle de FTX en novembre 2022. Dernier exemple en date, en janvier 2025, Binance, la première plateforme de cryptos au monde avec 35% de part de marché – et 50% en France – fait l’objet, à Paris, d’une information judiciaire. Les accusations: blanchiment aggravé, blanchiment de fraude fiscale, blanchiment en lien avec un trafic de produit stupéfiant et exercice illégal de la profession de prestataire de services sur actifs numériques.

Pour couronner le tout, les investisseurs ne sont jamais à l’abri d’un détournement de leurs actifs numériques sur les plateformes de conservation, comme le note le rapport annuel 2025 de Chainalysis. Ce dernier relève 2,2 milliards de dollars de vol de cryptomonnaies en 2024, dont 60 % par des hackers affiliés à la Corée du Nord qui financerait ainsi 5 % de son PIB en toute impunité. Dernier casse spectaculaire, le plus important de l’histoire des cryptomonnaies, l’attaque de la plateforme Bybit le 16 février 2025. Montant total des dommages: 1,5 milliard de dollars d’Ethereum, la deuxième plus grosse cryptomonnaie.

Flambée des cours depuis l’élection de Trump

Malgré tous ces déboires, le bitcoin a connu une flambée spectaculaire depuis l’élection de M. Trump. Il est passé de 70 000 dollars, dès la publication des résultats le 6 novembre 2024, à 90 000 dollars pour culminer, le 20 janvier 2025, jour de l’investiture, à plus de 109 000 dollars US. Ce jour-là, le nouveau président annonçait une dérégulation des cryptomonnaies, la démission symbolique du président de la Securities and Exchange Commission (SEC) et sa détermination à faire des États-Unis la capitale crypto de la planète. Comment ? En facilitant les stables coins, tout en tuant dans l’œuf le projet de dollar numérique soutenu par l’administration Biden.

Cette folle hausse est purement états-unienne et de nature essentiellement politique. Rappelons que Trump est un ex-contempteur du bitcoin, cette pseudo monnaie étant «fondée sur du vent», selon ses dires au cours de son premier mandat, en juillet 2019. La volte-face s’explique bien sûr par son obsession anti-Biden, mais aussi par son intérêt bien compris. L’industrie des cryptos a financé à hauteur de 200 millions de dollars sa dernière campagne électorale et il détient un portefeuille important du jeton Maga qui a été multiplié par plus de cinquante grâce à ses déclarations, avant de s’effondrer.

Buzz des réseaux sociaux

La vague de hausse a également été facilitée par l’essor des trackers sur le bitcoin qui ont, selon Bloomberg, collecté 116 milliards de dollars en 2024. Il faut bien comprendre que les sociétés de gestion qui conçoivent ses produits, comme le leader BlackRock, qui représente environ la moitié des encours, ne prennent aucun risque. Mais les commissions récurrentes qu’elles touchent sur les encours en font des avocates intéressées des cryptomonnaies.

Le buzz sur les réseaux sociaux lancé par les ingénieurs du chaos, Elon Musk en tête, qui a versé à lui seul 250 millions de dollars supplémentaires à la campagne de M. Trump, a attiré d’innombrables spéculateurs. Ces néo-investisseurs sont très majoritairement des jeunes hommes, dont 57% auraient entre 18 et 34 ans et 24% moins de 25 ans. En réalité, ils achètent tout ce qui ressemble au bitcoin comme les meme coins qui représentaient environ 100 milliards de dollars, fin décembre 2024, mais désormais 60 milliards.

Leçon des précédentes bulles financières

Ce boom généralisé des cryptos et la forte décrue des cours du bitcoin autour des 80 000 dollars en février 2025, n’est pas sans rappeler les grandes bulles de l’histoire financière.

Nul doute que son évolution à court terme dépendra des déclarations du nouveau président états-unien. Ironie du sort, il vient d’annoncer, le 2 mars 2025, la création d’une réserve stratégique fédérale de cryptos qui a déclenché une brève reprise au moment même où le Salvador abandonne le bitcoin comme monnaie officielle pour pouvoir emprunter auprès du FMI. Il est dès lors utile de méditer les leçons du passé.

Plusieurs bulles spectaculaires ont en effet émaillé l’histoire financière des derniers siècles. La tulipomanie, bulle mythique ayant éclaté en Hollande le 6 février 1637, semble avoir été quelque peu exagérée par les historiens.

Les plus instructives sont celles, concomitantes, de la South Sea Company et de la compagnie du Mississippi de John Law. Entre 1715 et 1720, de part et d’autre de la Manche, à Londres et Paris, alors deux grands centres de la richesse mondiale, elles ruinèrent des milliers d’épargnants. À l’époque de l’apogée du système de Law en 1720, la spéculation se déchaînait rue Quincampoix à Paris. À Londres, comme le rappelle Burton Malkiel dans une savoureuse anecdote tirée de son best-seller, Une marche au hasard à travers la Bourse, (traduit par nos soins en 2005), d’innombrables sociétés avaient été créées ex nihilo pour satisfaire la voracité des agioteurs dont « une compagnie d’un grand intérêt, mais dont l’objet devait rester secret ». Sans doute un lointain ancêtre des meme coins de l’ère Trump…

Le legs du bitcoin: blockchain et euro numérique

Si la chute du bitcoin depuis son pic du 20 janvier nous rappelle la pertinence de l’adage boursier «Achetez la rumeur, vendez la nouvelle», un éventuel effondrement du bitcoin ne mettrait pas en péril l’économie mondiale. Sa capitalisation, au cours actuel de 85 000 dollars, de 1 700 milliards de dollars ne représente qu’un dixième de la valeur du stock d’or mondial et reste très inférieure à chacune des plus grandes sociétés cotées comme Apple, Microsoft ou Nvidia.

En réalité, seuls les nombreux spéculateurs et le petit écosystème qui s’est constitué autour des cryptos souffriraient. Quoi qu’il advienne du destin du bitcoin, l’outil de la blockchain restera une formidable innovation qui servira notamment de support à l’euro numérique. Du fait de l’abandon du dollar numérique par M. Trump, la monnaie européenne numérique conférera même, à l’horizon 2026, une longueur d’avance aux Européens dans la compétition des monnaies mondiales de réserve.La Conversation Canada

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. 

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