Table ronde: les aînés sont-ils discriminés?

Table ronde: les aînés sont-ils discriminés?

Par Nolsina Yim

Crédit photo: Charles Briand

Les préjugés et mythes sur les «vieux» sont tenaces: vote à droite, incapacité techno, richesse à la retraite… Comment lutter contre ces clichés d’un autre âge? Propositions de solutions par nos invités. 

 

Autour de la table

Louise Édith Hébert, directrice, porte-parole et cofondatrice des Mémés déchaînées.

Winston McQuade, acteur et animateur de télévision, porte-parole de Greiche & Scaff depuis 2014.

Julien Simard, chargé de cours au certificat en gérontologie sociale urbaine de l’Université de Montréal — FEP, anthropologue, doctorant en études urbaines, membre de l’INRS, du CRÉGÈS et de l’Équipe V.I.E.S., et coauteur de Les vieillissements sous la loupe: entre mythes et réalités.

Roger Simard, porte-parole de Rêve d’aîné (initiative de l’Observatoire de la santé lancé par Cossette), collaborateur au livre Vivre vieux, vivre heureux, pharmacien communautaire spécialisé en gériatrie, président et fondateur de Soins Pharmaceutiques inc.

Josiane Stratis, cofondatrice et rédactrice en chef des sites Ton petit look et TPL Moms, initiatrice du projet Incluses et auteure.

 

Bel Âge M. McQuade, des gens vous ont trouvé trop vieux pour présenter des publicités à la télé.

 

Winston McQuade Il y a trois ans, Greiche & Scaff, que je représentais, a reçu des commentaires négatifs, intimidants et déplaisants par rapport à mon âge. J’ai réagi de façon très forte dans les journaux et un peu partout. On s’est alors assis avec mon employeur pour régler le problème. J’ai proposé une solution intergénérationnelle, celle d’inclure ma petite-fille dans la publicité. Nous avons également lancé une campagne anti-âgisme. Au lieu de baisser la tête, on a créé une synergie qui nous permettrait à la fois de dire «Non, on n’accepte plus cette situation, c’est assez!» et de trouver une solution pour contrer cela.

 

Il y a toujours ce préjugé de représenter les aînés comme un bloc uniforme, qui pense et se comporte de la même façon dans tous les secteurs: politique, habillement, technologies, santé…

 

Roger Simard L’âgisme, comme toute discrimination, est basé sur les différences. En 2007, après 25 ans sans exercer, je suis revenu à la pharmacie, et j’ai dû faire une remise à niveau à l’université pendant un an pour retrouver mon permis de pratique. J’avais six travaux en équipe à préparer, mais je n’ai jamais réussi à être accepté par un groupe de jeunes étudiants pour les réaliser! Ils considéraient probablement que je baisserais leurs notes. Le plus frustrant était que j’avais développé un logiciel qui permettait une formation continue sur internet, ainsi qu’un portail d’éducation et de formation en cardiologie! Je me suis senti à l’écart à cause de mon âge. Pourtant, j’avais seulement 50 ans!

Louise Édith Hébert Je ressens beaucoup cette discrimination. Je me sens comme un soldat en guerre! Dès qu’on révèle son âge, les gens commencent à nous parler différemment. On devient «la petite madame» ou «mon beau monsieur». C’est très ostracisant, infantilisant et désagréable! Mais le plus grave, ce sont les aînés qui se mettent eux-mêmes de côté: «À mon âge, là…» On entend aussi: «À son âge, elle encore très bien malgré tout…» Le langage est toujours négatif. Moi, j’ai décidé de le changer!

Julien Simard La discrimination par l’âge n’est pas arrivée tout d’un coup. Cela date d’il y a très longtemps. Le problème, aujourd’hui, est lié à l’inactivité économique. Pourquoi discrimine-t-on les plus vieux? Parce qu’on les perçoit, parfois inconsciemment, comme des oisifs, des paresseux: ils ne travaillent plus. Cette idée s’applique d’ailleurs à toutes les personnes inactives sur le marché du travail: les vulnérables, les racisés, les assistés sociaux.

R.S. Au Québec, le vieillissement de la population est souvent associé à un fardeau. On le voit comme un coût économique pour la société, qui ne s’est pas donné les moyens de la mettre à contribution. La nouvelle économie de demain, dans les 10-20 prochaines années, sera pourtant propulsée par les 65 ans et plus. À Boston ou San Francisco, la vieillesse représente une opportunité d’affaires, une valeur ajoutée! Toute une économie se développe actuellement autour d’elle compte tenu de la population vieillissante, avec des entreprises spécialisées dans le développement de produits adaptés aux 75 ans et plus. Chez nous, le discours des politiciens et des milieux d’affaires diffère parce qu’on est en retard dans la réflexion. L’aîné n’est pas considéré comme un acteur économique de premier plan.

Josiane Stratis Il y a aussi un problème de transmission du savoir des aînés aux jeunes générations, comme cuisiner ses propres aliments, par exemple, ou préparer son pain. Garder contact avec les personnes âgées est très important, mais c’est plus difficile quand la famille est éloignée. Si ma belle-mère vivait avec nous, on me dirait: «Pauvre toi!» alors que c’est un bel échange d’apprendre à nos enfants à vivre à plusieurs générations sous le même toit, c’est d’une richesse infinie.

W.M. Dans les pays scandinaves, on a tenté des expériences qui se sont avérées positives. On a construit des endroits collectifs, où des jeunes, des universitaires, des petites familles cohabitent avec des gens de mon âge. On communique alors entre différentes générations pour briser l’isolement. Cela stimule l’intellect, nous ramène à certaines émotions et nous replace dans la vie.

L.É.H. Ce qui importe, c’est de placer les êtres dans une situation de vie ordinaire, un dialogue. Dans le continuum d’aujourd’hui, on ne regarde pas ce que le «vieux» peut apporter de neuf. On ne s’attend pas à ce qu’il ait de nouvelles idées!

 

Contre quelles généralisations faudrait-il se battre en priorité?  


R.S. On se dit souvent: «On est discriminés!» Mais on doit aussi comprendre notre rôle, celui à jouer dans la promotion de notre cohorte. Notre comportement est très important pour déboulonner les mythes. En demeurant au contact de jeunes pharmaciens finissants, je me rends compte qu’ils sont conscients que mon expérience peut leur apporter de bons conseils.

 

On est une personne, point. Sans être rangé dans une case par son âge. Partir de cette base permettrait déjà de casser les préjugés…

 

L.É.H. La société aime catégoriser; ça la repose.

Jul.S. Cette catégorisation provient aussi des mécanismes de l’État. Ainsi, pour recevoir telle mesure sociale ou tel programme, on doit rentrer dans cette case ou celle-là. 

L.É.H. La retraite, pour moi, c’est: «Je me retire pour mieux sauter!» Si tu mets quelqu’un de côté, tu l’obliges à se reposer, peut-être. Mais, s’il n’a jamais pris de repos, on le condamne certainement à devenir un candidat à la maladie mentale!

Jos.S. Il faudrait retirer le mot «retraite», comme le mot «congé de maternité», qui est loin d’en être un! 

Jul.S. Si on replace la retraite dans une perspective historique, elle est née dans les années 1930, et même avant, au XIXe siècle. À l’époque, les gens travaillaient toute leur vie 14 heures par jour dans les usines. Ils ont donc lutté pour obtenir leur retraite. Ce mot «retraite» avait du sens à l’époque, mais plus dans notre monde actuel.

R.S. C’est incroyable, il est tellement ancré dans la tête des gens! J’ai 61 ans, beaucoup de mes amis âgés de 65 à 70 ans m’interrogent: «Tu n’es pas tanné de continuer? Tu ne veux pas t’arrêter?» Je suis fatigué de les entendre.

W.M. J’ai 75 ans. Depuis que j’ai quitté Radio-Canada où j’ai travaillé pendant 35 ans, je suis devenu travailleur autonome, et c’est très loin de la retraite! Je continue à avoir de la curiosité, à générer des activités et à les diffuser. Et si les jeunes, dès leur entrée au primaire, au secondaire, recevaient des informations sur les gens âgés, sur ce que représente la vieillesse au quotidien? Pour un grand nombre de personnes, elle signifie la diminution d’à peu près tout. Moi, plus je vieillis, plus j’en sais, et plus j’ai de l’expérience dans beaucoup de domaines. Investissons dans le ministère de l’Éducation!

R.S. Ce serait un cours de citoyenneté, qui expliquerait l’évolution humaine: à quoi sert une personne âgée de 80-90 ans, qui vieillit. À 75 ans, chez nos voisins américains, on est à la tête d’un État, à 80 ans, on démarre des entreprises! Au Québec, après l’âge de 60 ans, on considère que notre capacité de création, d’innovation et d’être des leaders a disparu!

L.É.H. Tout est dans la compréhension du langage et dans l’éducation. Si on parle de droits, on parle aussi de devoirs. Et de dignité de l’être humain. Les petits, on doit leur montrer ce qu’est la dignité.

Jos.S. Je ne comprends pas pourquoi on ne déchire pas plus notre chemise pour parler des CHSLD, des conditions de vie horribles.

L.É.H. Parce qu’ils nous renvoient à notre propre mort. À notre vie dedans. Ce sont des mouroirs… 

Jul.S. La discrimination par l’âge ressemble au racisme. Qu’est-ce que l’exclusion identitaire? C’est de ramener l’identité à une caractéristique: son âge, son genre, son origine ethnique. La dignité ne correspond pas à l’âge d’une personne. L’âge, c’est ta position, ton expérience. J’en parle avec les infirmières, comment aborder les patients un à un, en fonction de leurs besoins, de leur histoire. Ça prend du temps pour que les patients se racontent, pour humaniser les soins. C’est le manque de temps dans les CHSLD qui empêche les infirmières d’y arriver. Aux soins palliatifs, on a 10 heures de soins quotidiens prévus, contre 3,5 heures dans les CHSLD…

R.S. La désorganisation des soins de santé entraîne l’accumulation des préjugés. Quand on arrive à l’hôpital et que l’infirmière nous annonce qu’à 75 ans, il faudra penser à nous placer bientôt, c’est dur de ne pas se sentir vieux! Le changement viendra des citoyens. La responsabilisation est très importante, et provient de l’éducation, en amont.

 

Tout est une question de dialogue. Et cela doit aussi passer par la politique.

 

Jos.S. Les gens sont bons pour s’arranger par eux-mêmes. Par exemple, organiser des campagnes qui sensibiliseront les gens pour moderniser un hôpital. Je suis pour ce moyen. On doit sensibiliser, choisir les acteurs de changement et leur expliquer le problème, pour qu’ils le voient.

W.M. Dans un autre ordre d’idée, je voudrais aussi parler des préjugés sur la sexualité des aînés. Les enfants ne veulent pas en entendre parler. Alors que le sexe est ce qu’il y a de plus important dans la vie d’un individu. Il ne cesse jamais, mais demeure un tabou: on refuse d’en discuter! On ne veut pas imaginer une femme de 85 ans atteindre son troisième orgasme! On est inconfortables avec la sexualité des aînés.

Jul.S. Dans notre livre, nous parlons des agressions sexuelles chez les femmes aînées. Et les couples âgés sont-ils à l’abri des violences conjugales? La sexualité, on n’y pense pas !

R.S. J’ai vu le documentaire de Fernand Dansereau L’érotisme et le vieil âge. Dans ce film, les enfants décident de la sexualité de leurs parents dans le CHSLD. Il me semble qu’on est arrivés à un âge où on peut faire ce qu’on veut!

 

Comment lutter alors contre la discrimination? 


W.M. Cela passe par la communication, la publicité. Cette dernière s’arrête à un public cible âgé de 55 ans, car après, on a décidé qu’il n’avait plus de pouvoir d’achat! 

Jos.S. Sur mon site TPL Moms, je vais inclure une section pour les grands-parents; il y a beaucoup de questionnements à leur sujet. On doit essayer d’intégrer la vie des tout-petits dans la vie des aînés. On manque de programmes d’échange. Il faut établir des petits ponts, pour le dialogue. 

Jul.S. Une des solutions passe par le vivre-ensemble, qui s’organise dans l’espace. On voit le problème quand on constate la distribution des aînés à Montréal. Ils se répartissent du côté de Gouin, de Pointe-aux-Trembles dans les résidences privées, pendant que 10 % des personnes âgées vivent dans des CHSLD. Les résidences privées sont chères: 1 850 $ et plus pour y vieillir. Il nous faut plus de lieux et de maisons intergénérationnels. Aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves, il existe par exemple des quartiers complets aménagés pour les aînés atteints de démence.

R.S. C’est incroyable qu’on doive changer de lieu, de quartier selon notre niveau de santé. On déconstruit le réseau familial, on délocalise les gens. La société ne sait pas où mettre ses personnes âgées, d’où la solution des CHSLD ou des résidences privées, car les gens sont tellement occupés. Ma fille m’a dit que je resterai toujours avec elle, mais c’est 0,1 % des jeunes qui pensent comme elle! Alors que ma grand-mère a habité chez nous pendant 25 ans.

L.É.H. La réalité aussi est que lorsque tu deviens malade, le regard des autres sur toi change. Même toi, tu as du mal à ne pas l’avoir, ce regard… J’ai écrit un poème sur ma canne. Je ne la prends pas souvent, elle est toujours par terre: c’est un support mais aussi un dérangement. 

 

Quelles solutions devrait-on initier? 


W.M. L’éducation est primordiale. Et la communication aussi, pour faire passer le message.

Jul.S. Il faut une politique du logement social audacieuse, pas seulement des HLM, mais aussi des habitations coopératives. Le problème à Montréal est le manque d’espaces libres dans les quartiers sociaux; les logements locatifs sont convertis en condos. Il y a 40 % du parc locatif en logement social en Scandinavie. Ici, on est en dessous de 10 %.

R.S. La sensibilisation et l’éducation sont la base. Plusieurs solutions existent, pas juste une seule. On doit avoir une prise de conscience. Vieillir n’est pas un fardeau. Les aînés doivent penser différemment par rapport à eux-mêmes, et les gens doivent penser différemment face aux aînés.

Jos.S. Quand on a de l’influence, on est la raquette, on doit saisir la balle au bond. Ça fait huit ans que je me bats pour l’inclusion des gens, et à la seconde où j’ai pu le faire, je l’ai fait. Si on occupe une position privilégiée, on a une responsabilité.

L.É.H. L’éducation est fondamentale! Je suis consciente que ça évolue lentement, mais ça va aboutir. Tout le monde pense les Mémés déchaînées utopistes, eh bien, bravo à l’utopie! Sinon, on ne va pas loin. On devrait retrouver la grande communauté humaine, en comptant sur ces valeurs-là. Il faut une vie sociale et de la reconnaissance pour nos aînés. On n’est pas des numéros.

 

 

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