On l’appelait «flore intestinale», avant de se rendre compte, il y a quelques années, que le terme n’était pas tout à fait juste. Microbiote – biote signifiant vie – convient davantage. «Le microbiote est en quelque sorte un organe virtuel, explique Denis Roy, professeur de sciences des aliments à l’Université Laval. C’est 100 000 milliards de microbes, surtout des bactéries, mais aussi des levures et des virus. Chaque type de microbe a son rôle à jouer dans notre organisme, essentiel à plusieurs niveaux.» Un peu comme une empreinte digitale, la composition du microbiote est unique à chaque personne et dépend de plusieurs facteurs. On naît avec un microbiote très rudimentaire, qui se développera au fil du temps. Les milliards de microbes qui tapissent notre intestin (mais aussi notre peau, notre bouche, notre nez et nos organes sexuels) se modulent selon plusieurs facteurs, dont l’alimentation, le stress, les maladies ou les médicaments.
Pour mieux comprendre ce que certains appellent notre «deuxième cerveau», voici quelques-uns de ses étonnants secrets…
1. Les bactéries de notre intestin sont essentielles à la digestion.
«Ce que notre organisme ne peut évacuer est dégradé par certains types de microbes, explique le Dr Gérard Eberl, directeur du Département d’immunologie de l’Institut Pasteur, à Paris. C’est le cas notamment des sucres complexes. Il s’agit d’un des rôles les plus importants du microbiote.» Ainsi, lorsque ce microcosme bactérien est adéquat, c’est-à-dire diversifié et équilibré, notre digestion ne devrait pas poser de difficultés. Mais comme notre microbiote fluctue notamment en fonction de ce que l’on mange, notre système digestif peut connaître de petites variations d’humeur.
Toutefois, lorsqu’il existe un véritable déséquilibre de notre microbiote – on parle alors de dysbiose –, cela peut générer des problèmes digestifs plus importants, tel le syndrome du côlon irritable ou la maladie de Crohn. Selon une étude parue dans Nature Scientific Reports en 2015, le microbiote des personnes atteintes du syndrome du côlon irritable avec diarrhée serait appauvri, comparativement à celui d’une personne non atteinte ou chez qui le syndrome est plutôt accompagné de constipation. Pour le microbiologiste Joël Doré, expert du microbiote, toutes les études montrent aussi de manière évidente que les patients atteints de maladies inflammatoires de l’intestin ont un microbiote intestinal très appauvri.
2. C’est une barrière de protection contre les agents pathogènes.
Entre notre microbiote et notre système immunitaire s’installe, depuis le tout début de notre vie, un dialogue incessant. Dès les premiers stades de sa formation, le système immunitaire doit apprendre à contrôler cette foule de microbes formant notre microbiote, en évitant bien sûr de tous les détruire, mais aussi en empêchant les microbes nocifs de s’installer. «C’est grâce au microbiote que notre système immunitaire mature est plus efficace», souligne Denis Roy. Le lien entre les deux est très étroit: quand le système immunitaire est à la traîne, le microbiote s’en ressent, et vice versa.
3. Ses bactéries sont aussi essentielles que les vitamines.
Si certaines vitamines dont on a besoin se retrouvent dans notre organisme, c’est grâce à notre microbiote. «Plusieurs de ces bactéries fonctionnent comme de petites usines de transformation des aliments», explique le Dr Eberl. Elles participent, par exemple, à la synthèse de certaines vitamines (vitamine K, B12, B8). Elles facilitent aussi l’assimilation des nutriments grâce aux enzymes qu’elles produisent et ont un effet régulateur, favorisant notamment l’absorption du calcium, des acides gras et du magnésium. Dans un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (France), on relevait d’ailleurs que les animaux élevés sans microbiote avaient des besoins énergétiques de 20 à 30 % supérieurs à ceux d’un animal normal!
4. Nous sommes en contrôle de notre microbiote.
L’efficacité de notre microbiote dépend principalement de sa diversité: les différents types de bactéries qui le composent doivent être assez nombreux pour remplir leurs fonctions. «Généralement, une personne en bonne santé aura un microbiote diversifié, note Denis Roy. Notre alimentation est l’un des facteurs avec le plus d’impact sur ce dernier. Son apport serait de 30 à 40 %. Plus notre alimentation sera variée et saine, mieux s’en porteront nos bactéries!» Les fibres, les petits fruits – notamment la canneberge –, les grains entiers, les noix, les tubercules (panais, betteraves), les produits fermentés (yogourt, kéfir, kombucha) et les légumes verts sont à privilégier. Certains types de prébiotiques et de probiotiques favorisent également le bon équilibre de notre microbiote. «Cela dit, on aura beau en prendre, les probiotiques ne feront pas de miracles, nuance le spécialiste. Si on mange trop gras et trop sucré, cela favorisera certains groupes microbiens. Ces derniers deviendront alors trop abondants, et il y aura déséquilibre.»
Notre microbiote fluctue sans cesse, c’est normal et rattrapable. Mais si le déséquilibre (la dysbiose) persiste, cela peut entraîner certaines complications: problèmes digestifs, système immunitaire affaibli, fatigue chronique, etc. Oui, notre alimentation peut en être la cause, mais pas seulement elle! La prise d’antibiotiques, l’hérédité et le stress expliquent aussi ce dérèglement. «Faire de l’exercice régulièrement, dormir suffisamment, éliminer le plus possible le stress… ces règles de vie auront un impact direct sur notre microbiote, explique le Dr Eberl. Par exemple, comme notre intestin est directement lié à notre cerveau par le nerf vague, qui est composé de millions de neurones, quand on produit trop d’hormones de stress, cela a un impact immédiat sur notre intestin et notre microbiote, venant brouiller la communication et déséquilibrant ce lien symbiotique.»
5. Ces milliards de bactéries modulent notre humeur.
Le lien est désormais confirmé: microbiote et humeur vont de pair! En 2012 déjà, une étude soutenait que les bactéries intestinales influençaient la personnalité des animaux. En l’absence de microbiote, des souris avaient développé un comportement anormal, manifestant notamment des capacités d’apprentissage limitées. Mais il a suffi de leur transmettre une flore intestinale pour qu’elles retrouvent des réactions normales. Selon les chercheurs, le microbiote change le niveau de protéines cérébrales impliquées dans l’humeur et l’anxiété. Il joue même fort probablement un rôle dans le développement de notre personnalité. On pourrait donc prédire un jour certains troubles somatiques ou psychiques susceptibles d’affecter un enfant simplement en analysant son méconium (les premiers excréments du nouveau-né)! Et, qui sait, peut-être même parvenir à influencer sa santé en changeant le régime de sa mère ou en modifiant son microbiote…
6. Un microbiote pauvre est lié à plusieurs problématiques.
Allergies alimentaires, asthme, obésité, et même cancer… De plus en plus d’experts constatent une corrélation entre le déséquilibre du microbiote et certaines affections. Selon une étude publiée en 2016, les enfants naissant avec un microbiote déficient en certaines bactéries ont trois fois plus de risques de souffrir d’allergies et d’asthme. De nombreuses recherches ont conclu que la plupart des gens obèses avaient un microbiote plus pauvre que les autres. Au Danemark, lorsque des scientifiques ont imposé à des personnes un régime amaigrissant, celles qui affichaient davantage d’un certain type de bactérie (Prevotella) ont perdu beaucoup plus de poids que les autres. Des liens existeraient aussi avec certains cancers, comme le cancer colorectal: la surabondance de certaines espèces du microbiote augmenterait les risques d’en être atteint.
Le rapport se fait également avec plusieurs maladies neuropsychiatriques, comme l’autisme, la schizophrénie, l’anxiété, la dépression ou les troubles bipolaires. En 2016, des chercheurs de l’Université de Genève, en Suisse, ont relevé la surabondance de bactéries inflammatoires chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Sans en être la cause directe, le déséquilibre du microbiote constituerait l’un des nombreux facteurs favorisant l’émergence de ces pathologies.
7. Le microbiote pourrait nous soigner.
Compte tenu de l’influence significative sur la santé de cet écosystème logé dans notre ventre, de nombreux experts se demandent comment l’utiliser avantageusement. Des chercheurs de l’Institut national du cancer aux États-Unis sont arrivés, par exemple, à contrer l’obésité chez les souris en modulant la diversité des microbes de leur microbiote. D’autres de l’Institut Pasteur et de l’Inra ont démontré l’efficacité accrue de la chimiothérapie quand le microbiote est en équilibre. Par ailleurs, des greffes fécales commencent à être pratiquées, notamment pour des patients atteints de la bactérie C. difficile, chez qui la prise de fortes doses d’antibiotiques a causé un déséquilibre important du microbiote. Étant donné le lien étroit entre alimentation et microbiote, des scientifiques ont même développé des stratégies thérapeutiques et nutritionnelles destinées aux athlètes afin de maximiser le rôle de leur microbiote et ainsi améliorer leurs performances.
Et ce n’est là qu’un bref aperçu de toutes les recherches en cours, qui donneront certainement lieu dans un avenir rapproché à d’autres percées médicales étonnantes! En attendant, sans aller jusqu’au menu scientifiquement pensé en fonction de notre microbiote, on devrait néanmoins en tenir beaucoup plus compte. «Au fil des ans, comme n’importe quel autre organe de notre corps, notre microbiote tend à se déglinguer un peu!» observe avec humour le Dr Eberl. Heureusement, en prenant les bons moyens (bien manger, penser aux suppléments de pré ou probiotiques, rester actif et gérer le stress au mieux), on a le pouvoir de ralentir cette dégringolade! Une équipe de chercheurs de l’Université MacMaster a d’ailleurs démontré qu’un traitement aux prébiotiques et aux probiotiques freinerait l’inflammation et certaines maladies liées à l’âge. Traitement qui s’est déjà avéré efficace chez les souris. Il faudra attendre plus de résultats pour en être certain, mais c’est déjà encourageant!
Pour aller plus loin: Moi, microbiote, maître du monde!, d’Ed Young (Dunod), L’étonnant pouvoir du microbiote, d’Erica et Justin Sonnenburg (Edito), et La nouvelle microbiologie: des microbiotes aux CRISPR, de Pascale Cossart (Odile Jacob)
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