Selon une enquête des Comptables agréés du Canada, un Canadien sur six a déjà correspondu sur les médias sociaux ou par courriel avec une personne qui masquait sa véritable identité. Or, cet anonymat cache parfois des motivations inquiétantes… Les deux catégories de personnes les plus ciblées par la fraude sur Internet sont les jeunes et les plus de 50 ans, affirme Benoît Dupont, professeur en criminologie à l’Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sécurité et technologie et directeur scientifique du Réseau intégré sur la cybersécurité (SERENE-RISC). Pourquoi? Parce que les jeunes sont les plus connectés, et risquent donc davantage de se retrouver face à quelqu’un de malveillant. Quant aux plus de 50 ans, les arnaqueurs communiquent directement avec eux, récupérant quelques informations sur la personne visée pour mettre sur pied un stratagème de manipulation appelé harponnage.
Le cyberfraudeur tente de «harponner» sa cible en lui envoyant un courriel annonçant un gain, ou bien en essayant de la faire entrer dans une relation amoureuse virtuelle. «L’idée est de convaincre tranquillement son interlocuteur d’envoyer de l’argent en échange de quelque chose, que ce soit la promesse d’une grosse somme d’argent ou le développement d’une relation, explique Benoît Dupont. Mais ces perspectives ne se réaliseront jamais.» Pour ces criminels, le plus dur est d’identifier une victime potentielle; ensuite, Ils n’ont plus qu’à enclencher leur mécanisme de manipulation. Et nul n’est à l’abri dans l’immensité d’Internet… «Les pirates ont réussi à automatiser la fraude à une échelle industrielle, constate le professeur en criminologie. Ils sont capables de lancer des campagnes de courriels à des dizaines de millions de personnes chaque jour!»
Une fois que la victime répond positivement au premier contact, la machine est lancée. Les arnaqueurs peuvent se montrer très patients: comme leur but n’est pas de soutirer seulement quelques centaines de dollars, la première demande de versement d’argent ne vient parfois qu’après plusieurs mois… «Les fraudeurs cherchent toujours à s’approprier toutes les ressources financières de la personne», affirme M. Dupont. Peu importe le temps que cela prendra, ils sont prêts à tous les stratagèmes!
Exploiter les plus généreux
Malheureusement, ce n’est pas si compliqué de réussir un mauvais coup. «L’être humain est programmé pour aider autrui, décode Benoît Dupont. Dès que le fraudeur trouve une personne plus confiante que la moyenne, il s’ingénie à développer et maintenir la relation avec elle.» Cela lui demande beaucoup d’effort au départ, «mais le taux de réussite est plus important qu’avec d’autres techniques de fraude», ajoute Mélanie Dumaresq, sergente et porte-parole pour la Sûreté du Québec. Cette manipulation au long cours mise souvent sur l’isolement social de la victime. L’arnaqueur la pousse progressivement à se couper de son entourage. «Le mécanisme de manipulation psychologique est comparable à celui d’une secte, illustre M. Dupont. On change les paramètres de décision de la personne, on lui recrée de nouvelles priorités afin qu’elle prenne un jour des décisions contraires à ses intérêts.»
Le but du manipulateur est d’éviter toute discussion de sa proie avec ses proches qui risquerait de la sortir de cet engrenage infernal. «Une fois la victime enfermée dans une situation de déni, seule une intervention extérieure peut l’en tirer», croit M. Dupont. Le problème? Comme cette nouvelle relation ne s’est pas tissée dans la vraie vie mais sur Internet, via les réseaux sociaux ou des échanges de messages, l’entourage ne voit pas forcément la victime s’enfoncer dans le piège. Internet est l’endroit rêvé pour manipuler les gens, bien davantage qu’en bas de chez nous. «Quand quelqu’un nous aborde dans la rue, toutes sortes de signaux peuvent alerter notre cerveau, explique l’expert. Observer le visage de cet inconnu pendant qu’il nous parle nous permet déjà de lui accorder de la crédibilité ou non.» En ligne, par contre, la seule information qu’on obtient sur notre interlocuteur est celle qu’il a bien voulu nous donner! «Le jugement se base sur des renseignements plus réduits et plus faciles à falsifier, comme une adresse courriel piratée ou un site contrefait.»
Or, les malfaiteurs sont très forts pour adopter un comportement persuasif. «Ils prennent une position d’autorité par exemple, en se faisant passer pour des hauts dignitaires d’un pays étranger.» D’autres jouent sur la corde sensible, en réclamant de l’argent pour soigner un enfant malade. «S’ils frappaient à notre porte, on repérerait plus facilement leurs mensonges.» Certains, quand leur proie n’a plus un sou, n’hésitent pas à la pousser même à emprunter auprès de son institution bancaire pour continuer à recevoir de l’argent, affirme encore M. Dupont. Puis, une fois la victime complètement dépouillée, ils s’évaporent.
Pas parano mais prudent
Bon nombre de ces fraudeurs agissent de l’étranger. Ils courent donc peu de risques d’être rattrapés, d’autant que leurs victimes ressentent souvent une certaine honte de s’être fait avoir. «Nous ne sommes pourtant pas là pour juger les victimes, mais pour leur apporter du soutien et arrêter les criminels», rassure Mélanie Dumaresq. Il est en effet possible d’en retrouver certains. «Nous nous adaptons à ces fraudes en ligne», indique la porte-parole de la Sûreté du Québec. Certains policiers sont spécialisés en cybersurveillance et en cybercriminalité. «Localiser des fraudeurs à l’extérieur du pays est parfois difficile, reconnaît Mme Dumaresq, mais nous avons des ententes avec certains pays pour contrer ce phénomène.»
Photos et vidéos embarrassantes sont d’ailleurs de véritables cadeaux pour les criminels. «Quand vous transmettez une photo ou un vidéo de vous en ligne, vous n’avez plus de contrôle, rappelle Mélanie Dumaresq. Pensez-y à deux fois… Dans la vraie vie, vous n’enverriez probablement pas d’images compromettantes de vous à un inconnu.» Si le document nous présente dans une situation embarrassante, on risque de nous faire chanter. C’est de la sextorsion: un inconnu menace de diffuser une image intime d’une personne à ses proches via les réseaux sociaux.
Par ailleurs, en reprenant une photo ou une vidéo nous identifiant sur notre page Facebook ou autre, un cyberfraudeur peut aussi se faire passer pour nous et tromper nos connaissances. La prudence est donc de rigueur… «Sans devenir paranoïaque non plus, il convient d’adapter son comportement, reconnaît Benoît Dupont. Internet, c’est comme une balade en automobile. On sait qu’on peut avoir un accident, mais on ne va pas se priver de prendre son véhicule pour autant. Par contre, on bouclera sa ceinture avant de partir!» Au moment de prendre la route des réseaux sociaux, c’est pareil: on ne communique pas sans faire attention des informations personnelles telles que son nom réel, sa date de naissance et son adresse résidentielle. Cela évitera de faire monter un passager malveillant sur la banquette arrière!
Bon à savoir
– Même si une arnaque n’a pas fonctionné sur nous, on peut la rapporter pour aider les autres au Centre antifraude du Canada, qui recense les fraudes sur Internet: centreantifraude.ca ou 1 888 495-8501.
– On peut parfois annuler un transfert monétaire au cours des premières heures qui suivent la demande de virement, même si l’argent est déjà parti à l’étranger. Comme certains fraudeurs utilisent des comptes bancaires intermédiaires, le montant qu’ils ont soutiré pourrait en effet être encore gelé avant de passer d’un compte à l’autre. Une bonne raison d’alerter son institution financière au plus vite!
Quand se méfier?
Certains messages reçus devraient nous inciter plus que d’autres à la prudence…
– On reçoit une communication (courriel, message sur les réseaux sociaux) d’une personne qu’on ne connaît pas.
– On reçoit une communication nous promettant monts et merveilles. Si c’est trop beau pour être vrai, c’est que ce n’est pas vrai!
– Il n’y a jamais d’héritage à donner ni de prix de loterie offerts au hasard sur Internet.
– Si un de nos proches, francophone, nous écrit en anglais, ce n’est peut-être pas lui qui a rédigé le message mais quelqu’un qui a piraté sa messagerie.
– Si un proche nous écrit en panique de l’étranger alors qu’il voyage peu, mieux vaut d’abord chercher à le joindre en personne pour vérifier si cette situation est bien réelle.
– Sur un site de rencontres, des personnes nous sollicitent avec des photos très attirantes à l’appui… et nous déclarent leur amour inconditionnel après seulement quelques échanges de messages.
– Les banques ne communiquent jamais par courriel avec leurs clients au sujet des changements de mots de passe ou d’identifiants. Tout se fait par courrier postal ou téléphone. Et dans ce cas, c’est à nous d’appeler le numéro habituel de notre institution financière.
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