Elle a temporairement rangé sa plume, mais sous son chapeau de script-éditrice et de productrice, Fabienne Larouche travaille encore aussi fort – et adore ça.
Cet automne, vous produisez deux séries qui, comme Unité 9, nous amèneront dans des milieux peu explorés. D’abord, Les Armes, qui se déroule sur une base militaire…
Ce qui est intéressant, c’est ce qui pousse ces hommes et ces femmes à adopter ce mode de vie, à vouloir servir et protéger leur pays, à participer à des missions. Ça prend un certain courage. On est donc dans un microcosme, au cœur d’un suspense en 24 épisodes d’une heure. C’est écrit par Pierre Marc Drouin (Doute raisonnable) et réalisé par Jean-Philippe Duval, avec qui on a fait Unité 9, Toute la vie, Doute raisonnable, À cœur battant.
Vincent-Guillaume Otis s’est entraîné un an pour son rôle d’officier, François Papineau a dit que son rôle de colonel pourrait marquer sa carrière…
On travaille toujours pour faire la plus belle série possible, que les gens l’adoptent. Il y a aussi Ève Landry en policière militaire, et une belle brochette de recrues. J’ai mis beaucoup de séries au monde et, chaque fois, c’est exaltant. Même si au Québec, on a voté contre la conscription, il y a une culture militaire. Et des enjeux très actuels, comme l’Arctique, convoité par de grandes puissances. On a beau être pacifiste, si on se fait envahir…
Il y a aussi Dumas, avec Gildor Roy dans le rôle-titre, qui nous amène dans l’univers des firmes de sécurité privées…
Un milieu fascinant parce qu’elles vont là où la police ne peut pas aller. Les enquêtes sont variées et le matériau est riche. Luc Dionne a pris une pause d’un an après District 31 et nous a fait cette proposition. La beauté de mon métier, c’est que je suis toujours la première à lire les textes, et j’ai toujours beaucoup de plaisir à lire Luc. Quand j’ai vu les premières images, c’est évident que Gildor lui donne sa propre couleur… et qu’on est loin du commandant Chiasson!
Qu’est-ce qui fait qu’une série touche le public?
Méchante question. L’expérience entre certainement en ligne de compte. J’ai quand même écrit 1500 heures de télé. La lecture d’un scénario m’en dit beaucoup. Il y a aussi les gens, les acteurs, la personne qui réalise. Et puis, je peux me tromper. Mais je répondrais assurément beaucoup de travail. Si tu demandais aux gens autour de moi ma principale qualité, on répondrait l’enthousiasme, qui veut également dire passion. Je suis passionnée et très travaillante. C’est dans ma nature. L’insouciance des vacances, je ne connais pas ça. Après cinq jours, je m’ennuie.
Vous avez fondé Aetios, votre maison de production, avec votre mari Michel Trudeau, il y a 25 ans. Qu’est-ce que ça a changé dans votre vie?
Jamais je n’ai regretté cette décision. J’ai été une grande bagarreuse. J’avais une idée de ce que mes séries devraient être et j’avais donc de la difficulté à travailler avec des producteurs. Et vice- versa. Aujourd’hui, je suis plus polie envers mes collègues que je ne l’étais à l’époque. Il y a 25 ans, j’étais auteure, je voulais décider par moi-même, être autonome, indépendante et souveraine dans mes décisions. Ça n’a pas été facile, personne ne m’a ouvert la porte, sauf les patrons de chaînes et monsieur Macerola, à Téléfilm Canada. Michèle Fortin, l’ancienne patronne de la télévision française à Radio-Canada, est celle qui m’a donné le feu vert pour Virginie, et elle a changé ma vie professionnelle.
Qu’est-ce qui vous rend le plus fière dans votre parcours?
D’avoir résisté. Ça n’a pas tout le temps été facile, et je n’ai pas toujours facilité les choses. Je savais ce que je voulais. J’étais déterminée. Mais j’ai quand même fait preuve de beaucoup de résilience. Et de résistance, qui est peut-être ma plus belle qualité. Je suis une fan de Céline et, dans le documentaire Je suis: Céline Dion, elle dit: «Si tu veux monter vite, tu montes toute seule. Mais si tu veux rester, tu dois avoir une équipe.» J’ai des gens avec qui je travaille depuis 12, 15, 20, 25 ans. Ils sont là parce qu’ils savent que je vais les accompagner jusqu’au bout. Oui, je suis exigeante. Pour le téléspectateur, pour le privilège de faire ce métier. Il y a tellement de gens qui n’aiment pas leur travail! J’ai toujours été hyper consciente de ce privilège.
Ça prend quelles qualités pour le faire?
De la passion. J’ai toujours l’impression que je suis la dernière responsable de ce qu’on voit à l’écran. Alors, j’écoute tout en direct, même si j’ai déjà vu les montages, pour m’assurer que la colorisation est bonne, qu’on entend bien les dialogues. Il faut avoir cette passion en soi, sinon com- ment peut-on prétendre intéresser les gens? Est-ce que je réussis tout? Non. Mais je pense que si on regarde ce que j’ai fait, j’ai eu plus de succès que moins.
Vous dévorez donc de la télé 24 heures sur 24…
Je travaille tout le temps, je regarde ce qui se fait ailleurs. Mais j’aime ça. Là, j’écoute Présumé innocent et je trouve ça wow. J’avais vu le film en 1990, alors je sais comment ça va finir, mais j’ai beaucoup de plaisir à voir le chemin pour s’y rendre. Je regarde aussi la troisième saison de The Bear, même s’il y a des choses qui me fatiguent dans le scénario. Cette saison explore les ravages que l’alcool a faits dans cette famille. Et Jamie Lee Curtis, qui a mon âge, me jette à terre. Plus personne ne veut se montrer à la télé [le visage ridé] comme ça.
La télé a changé depuis vos débuts il y a 35 ans…
Les moyens, l’écriture, les thèmes, la société, tout a changé. C’est sûr que les séries de madame Payette m’ont beaucoup touchée. La Bonne Aventure, c’était la première fois que je sentais qu’une série québécoise s’adressait à moi. Et c’est là que j’ai commencé à me dire que je pourrais moi aussi écrire des histoires. Je suis une enfant de la télé, qui a fait notre éducation. La Ribouldingue, Quelle famille!... Quand je pense que madame Bertrand a 99 ans et qu’elle travaille encore. J’adore!
Vous êtes aujourd’hui une femme puissante. Qu’est-ce que le pouvoir, pour vous?
Les mots clés dans mon cheminement sont résistance et résilience. Et colère, aussi. Le pouvoir, à mes débuts, était beaucoup entre les mains des hommes. Alors, je l’ai pris. Personne ne me l’a donné. Et aujourd’hui, à 65 ans, je suis heureuse, je fais encore des séries, j’ai une belle vie. Le jour où je ne ferai plus de bonnes séries, je ne serai plus là. Alors, le pouvoir que j’ai, c’est celui de travailler. Quand j’ai commencé comme enseignante, la sécurité d’emploi n’existait déjà plus.
Vous avez grandi auprès de femmes fortes. Qu’est-ce que votre mère vous a appris qui vous sert encore?
D’être autonome et indépendante financièrement. Elle et sa sœur ont quitté leur Lac-Saint-Jean, où elles avaient fondé un syndicat d’enseignantes, pour la Rive-Nord de Montréal. Ma mère a toujours travaillé, défendu les droits des femmes. Avec mon frère, on avait chacun nos tâches, on faisait le souper avec notre père, qui participait à la vie domestique. Mon père était un doux.
Cette discipline pour votre travail, mais aussi pour votre santé, vous en avez hérité ou vous vous l’êtes imposée?
Pour ma santé, ça s’est imposé parce que je suis un peu hypocondriaque. J’ai commencé à faire des migraines avec aura à 20 ans. Je détestais. À cause de ça, je n’ai jamais fumé, je ne bois pas d’alcool, je n’ai jamais mangé de charcuterie, de fromage. J’ai très vite été consciente qu’on a juste un corps et qu’on doit en prendre soin. Mais il m’est quand même arrivé de passer des nuits blanches puis de rentrer travailler au Saint-Hubert le lendemain! J’ai déjà goûté à de l’alcool, mais je n’ai jamais été ivre. Je n’ai jamais perdu le contrôle.
Trouvez-vous difficile de vieillir en étant une personnalité publique?
J’ai trouvé très dur le passage à 40 ans. Je ne voulais pas célébrer ma fête cette année-là! Mais à 65 ans, je suis en pleine possession de mes moyens. Tout le monde vieillit. J’assume. On naît, on vit, on meurt. Après, c’est sûr que je n’aime pas me voir en gros plan en HD! Mais il y a plein d’exemples de femmes de plus de 65 ans qui sont belles et actives. Ma mère ne voudrait pas que je dise son âge, mais elle est encore en forme, elle conduit, joue au bridge.
Vous célébrez cette année un autre jalon, vos 25 ans de mariage avec Michel, votre inséparable. Qu’est-ce qui soude votre couple?
Avant, il y avait des couples qui ne se séparaient pas, mais qui auraient dû le faire! Il n’y a qu’à voir le film Les belles-sœurs pour comprendre… Mais quand on trouve sa personne, on le sait. Michel et moi, on s’est trouvés, on s’est aimés, on s’est mariés. On travaille ensemble, c’est mon meilleur ami.
Finalement, votre fameuse série Terre de sang verra-t-elle le jour?
Oui! Ces jeunes filles, dont une majorité d’orphelines, ont survécu à un long voyage en bateau pour immigrer en Nouvelle-France et marier des hommes pas mal plus vieux qu’elles! Elles ont été résilientes et résistantes. Elles ont défriché, ont élevé une multitude d’enfants, ont été sous le joug des robes noires. Je veux prendre le temps de bien l’amener à l’écran. Je ne dis pas que ce sera ma dernière série, car on ne doit jamais dire jamais. Je suis allée voir quatre shows des Rolling Stones et chaque fois c’était censé être leur dernier!
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