La pandémie de Covid-19 a mis en lumière le manque de ressources québécoises pour soutenir les personnes âgées vulnérables.
Avant 2020, le système de santé québécois montrait déjà des signes de sous-financement, notamment dans les services à domicile, nécessitant l’intervention de proches aidants et de personnes oeuvrant dans les secteurs communautaires et de bienfaisance.
En réponse à la pandémie, des organismes comme la Croix-Rouge canadienne ont implanté des programmes de soutien aux personnes aînées vulnérables. Malgré les politiques gouvernementales de soutien aux personnes aînées, les pressions budgétaires ont eu un impact sur le financement des organismes communautaires, les poussant à solliciter les fondations philanthropiques pour maintenir leurs services.
Notre réseau de recherche, PhiLab, dont le siège se trouve à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), étudie les actions du secteur philanthropique face aux inégalités sociales et aux défis environnementaux. Nos recherches tendent à démontrer qu’une meilleure collaboration entre le gouvernement et les organismes philanthropiques permettrait d’atténuer la présente crise.
Pression sur le secteur philanthropique
On considère généralement au Québec qu’une personne âgée de 65 ans et plus est un aîné ou une aînée. Selon les données de l’Institut national de santé publique du Québec, cette tranche d’âge représentait environ 20 % de la population québécoise en 2021, et représentera le quart de la population en 2030.
Depuis 2012, le gouvernement du Québec soutient et encourage le maintien à domicile des personnes aînées le plus longtemps possible. Mais les budgets alloués aux services à domicile (dits « prioritaires ») restent insuffisants.
Les gens qui travaillent dans les services et soins à domicile et de proximité ont relevé une contradiction inquiétante entre la priorité affichée du gouvernement pour les services à domicile et l’absence de mesures concrètes, notamment sur le crédit d’impôt pour faciliter ce maintien.
Par ailleurs, selon Statistique Canada, en 2012, parmi les 2,2 millions de personnes au pays qui ont reçu des services ou des soins à domicile, 15 % n’ont pas bénéficié de tous les soins nécessaires. De ce nombre, 24 % étaient âgées de 65 ans et plus.
D’après les organismes communautaires, ce nombre ne va pas en s’améliorant. Au niveau provincial, environ 140 000 personnes âgées ont reçu des services de soins à domicile au Québec en 2020. Le financement public québécois en matière de santé et de services sociaux privilégie les institutions publiques tels les hôpitaux et les CHSLD. Les initiatives de sensibilisation, les programmes de dépistage et les interventions préventives sont souvent menés en dehors de ces institutions, ce qui laisse un angle mort en matière de services qui pourraient être couverts par l’État.
Carences de l’État
Cette situation soulève des questions sur la capacité de l’État à répondre aux besoins des personnes aînées, notamment en matière de prévention et d’isolement social. Le besoin de soutien psychologique constitue également un enjeu que doit prendre en compte l’État, comme nous l’a récemment rappelé la fin tragique d’une aînée de 88 ans. La dame réclamait des soins à domicile et de l’aide psychosociale depuis des années, en vain. Elle a mis fin à ses jours l’an dernier.
L’accès au logement, aux soins à distance, à l’information et à la technologie, ainsi qu’aux produits de première nécessité, doit lui aussi être amélioré.
Les organismes communautaires dénoncent la présente situation comme étant paradoxale et contreproductive. Ils déplorent un engagement gouvernemental déséquilibré entre le «visible» (l’institutionnel et la guérison) et le «maintien à domicile» parfois perçu comme forcé.
Compte tenu des carences de l’État, ces organismes se tournent de plus en plus vers les fondations subventionnaires dotées de programmes liés à la « cause aînée ». Cependant, comme ces fondations sont peu nombreuses, les quelques-unes en place subissent une importante pression pour répondre aux besoins non comblés.
Un système philanthropique fragmenté
Peu de fondations interviennent directement sur la « cause aînée ». Sur les quelque 16 000 fondations que compte le Québec, seulement une quinzaine orientent clairement leur programme philanthropique vers les personnes aînées. Parmi elles, on trouve la Fondation Mirella et Lino Saputo, la Fondation Luc Maurice et Mission Inclusion, entre autres.
Il est clair que les financements accordés par des fondations privées ou communautaires à des actions sociales de lutte contre la pauvreté permettent une offre de services à des personnes aînées. Cependant, ces financements s’inscrivent dans un contexte plus large. Ils ne sont donc pas nécessairement bien adaptés à la cause aînée.
Il serait donc judicieux d’augmenter le nombre de fondations se consacrant aux personnes âgées et de mieux coordonner les efforts des fondations spécialisées et non spécialisées dans ce domaine. Un leadership clairement défini serait nécessaire afin de mobiliser efficacement les parties prenantes et assurer une coordination optimale.
Les freins à une prise en charge efficace et pertinente
La collaboration entre les acteurs sociaux – dont les fondations subventionnaires – et l’État est nécessaire pour garantir une prise en charge adéquate des personnes aînées. Cependant, cette collaboration est entravée par deux obstacles principaux : la méconnaissance du gouvernement à l’égard de la philanthropie et des personnes aînées, ainsi que le frein culturel québécois.
Tout d’abord, le gouvernement a une compréhension limitée du rôle et du fonctionnement des fondations subventionnaires, en partie en raison de connaissances générales peu approfondies sur le secteur philanthropique. Malgré des efforts récents réalisés par le milieu de la recherche universitaire, dont les travaux de notre Réseau, PhiLab, à partir de 2013, et le Projet Canada Perspectives des Organismes de Bienfaisance (PCPOB), les connaissances sur la philanthropie québécoise restent peu développées. Il en est de même pour les modalités de collaboration entre les fondations et le législateur québécois.
Une tension existe dans la société québécoise entre l’intérêt public et le bien commun. L’État est généralement considéré comme l’acteur légitime pour représenter l’intérêt public, ce qui peut limiter la reconnaissance du rôle des fondations philanthropiques dans la défense du bien commun. Cette perception influence l’engagement de l’État envers les personnes aînées, lequel est souvent perçu comme sa responsabilité exclusive, plutôt que partagée avec la famille et la communauté.
Cette orientation culturelle limite la mobilisation du secteur philanthropique pour la cause des personnes aînées. Il s’agit d’un choix culturel, que d’autres sociétés, par exemple le Japon, ont traité différemment. Dans d’autres pays, d’autres cultures, les personnes aînées et les enfants ne font qu’un. Cette vision influence les programmes gouvernementaux qui fonctionnent naturellement de façon intergénérationnelle.
Ainsi, au Québec, les fondations philanthropiques restent à l’extérieur du champ d’action.
Combler un vide
La question du soutien philanthropique québécois aux personnes aînées est complexe et multifactorielle. Les besoins croissants de ces personnes, combinés à un État débordé et à un secteur philanthropique peu orienté vers cette cause, laissent un vide.
Face à une capacité d’agir moindre de l’État, il est impératif que les fondations philanthropiques s’impliquent davantage. Le mécénat d’entreprise, comme le font la compagnie d’assurance Beneva, et sa Fondation La Capitale, pourraient également prendre part au financement de services communautaires destinés aux personnes aînées.
Repositionner le secteur philanthropique afin que ce dernier intervienne de façon plus importante pour la « cause aînée » ne se fera pas automatiquement. Cela nécessiterait un leadership fort et une meilleure compréhension des enjeux et défis spécifiques à cette cause.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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