Faire pousser des bananiers à Montréal

Faire pousser des bananiers à Montréal

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Chantale Lecours

Un défi colossal qu’a relevé Lucie Hérard, 70 ans, horticultrice autodidacte.

C’est un peu à cause du chanteur Robert Charlebois s’il y a des bananiers qui sortent de terre à Montréal et dans la province. Mais c’est surtout grâce à Lucie Hérard, qui a réussi, à force de recherches et d’acharnement, cet exploit.

«En 1976, j’avais 22 ans. C’était l’année des Olympiques et celle où Charlebois a sorti la chanson Cartier (Jacques), dans laquelle il imaginait une rue Sherbrooke bordée de cocotiers et le mont Royal, couvert de bananiers. Ces paroles ont semé quelque chose en moi. J’ai vu, dans ma tête, des bananiers en ville. Et cette image ne m’a jamais quittée.»

Cinquième d’une famille de neuf enfants, enracinée dans le Plateau- Mont-Royal, Lucie adorait visiter le Jardin botanique de Montréal quand elle était petite. «J’avais aussi un don pour trouver des trèfles à quatre feuilles, ce qui, je crois, m’a permis de développer mon sens de l’observation.» Cette fonctionnaire retraitée ne se doutait pas qu’il lui servirait un jour à cultiver avec succès des plantes tropicales que personne ne croyait acclimatables au Québec.

Essais, erreurs

Les années passent. Lucie élève deux enfants avec son mari, Michel, sans donner suite à cette idée, faute d’informations disponibles. L’arrivée d’internet lui ouvre enfin les portes du savoir. «Je me suis mise à fureter sur des sites d’horticulture. J’ai fini par dénicher un homme qui faisait pousser des bananiers en Colombie-Britannique et qui m’a parlé de la variété Musa basjoo. Mon premier défi a été d’en trouver, car ça ne se vendait pas ici.»

Commencent alors les années d’autoformation. Lucie avait un but: que ses bananiers puissent pousser à l’extérieur, et survivre à nos hivers! «Je n’avais aucune idée des critères de base pour les acclimater. Des échecs, j’en ai eu. Mais j’ai finalement compris que l’exposition jouait un rôle fondamental. Je n’utilise aucun fil chauffant pour mes bananiers, je me sers d’une fondation qui fait face au soleil, emmagasine de la chaleur et la transmet au sol.» Si au début, elle devait les rentrer, rigueurs de l’hiver obligent, elle s’est plus tard inspirée des cultivateurs pour protéger les troncs avec de la paille et une bâche afin qu’ils puissent rester de- hors. «Le premier printemps, quand j’ai vu que mon bananier avait survécu, je me suis dit: C’est un miracle!»

Transmettre son savoir

Au fil des années, Lucie a commencé à partager ses réussites, qui ont suscité énormément d’intérêt chez les horticulteurs amateurs. Ce qui l’a incitée à lancer, sous le nom de Montréal tropical, sa page Facebook, qui compte aujourd’hui plus de 8000 abonnés. L’étape suivante, la vente de bananiers, est venue naturellement.

«Il y a eu quelques reportages sur moi et l’engouement a été fulgurant. Je me fais un point d’honneur de partager avec mes clients tout ce que je sais sur leur culture. Après toutes ces années, je suis rendue à transmettre mon savoir.» Ces derniers peuvent en commander, ainsi que d’autres plantes exotiques, sur montrealtropical.ca et visiter le jardin luxuriant de Lucie une fois l’an, sur inscription.

Si le Musa basjoo ne produit pas de bananes comestibles, plusieurs personnes profitent des retailles, car Lucie doit couper ses hautes plantes à l’automne pour protéger les troncs. «Chaque année, je demande sur ma page qui en veut. J’ai eu des gens d’origine pakistanaise qui ont fait un curry avec les troncs, d’autres qui ont cuisiné des tamales avec les feuilles. Beaucoup de gens repartent comme si je leur avais donné un trésor. Ça me fait aussi tisser des liens avec plein de Montréalais.» Sans parler de tous ceux qui s’arrêtent devant chez elle pour se prendre en photo devant le jardin tropical en façade, incluant des mariés!

Ce qu’a réussi Lucie Hérard est en fait si exceptionnel qu’elle est considérée comme une légende par des profs en horticulture (une étudiante au cégep de Saint-Hyacinthe le lui a appris) et que c’est à elle que le Centre des mémoires montréalaises a pensé en premier pour faire partie de son exposition Détoursrencontres urbaines, qui permet de rencontrer, en vidéo, des Montréalais au parcours singulier.

«Le formulaire demandait si j’acceptais que mon nom et mon travail soient inscrits pour toujours dans les mémoires de Montréal. Ça me touche de laisser ma trace à ma façon. C’est le plus bel héritage que je puisse laisser à mes enfants : qu’ils soient fiers de moi.»

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