Hypothèque ou REER?

Hypothèque ou REER?

Par Ronald McKenzie

Crédit photo: iStockphoto.com

Rose-Marie a 57 ans. Elle vient de concrétiser un vieux rêve: l’achat d’une maison de banlieue de 250 000$ pour laquelle elle a contracté une hypothèque de 139 990$, amortissable en 23 ans au taux de 5,7%. Ses mensualités sont de 905$. Elle est bien fière de sa nouvelle propriété, mais ce qui la tracasse, c’est qu’elle finira de la payer à… 80 ans! «Moi qui pensais prendre ma retraite autour de 65 ans, je vais devoir travailler encore longtemps…»

Chaque année, Rose-Marie réussit à économiser 10 000$. Elle est travailleuse autonome depuis plus de 25 ans et touche des revenus annuels de 70 000$. Actuellement, elle investit ces 10 000$ dans son REER, qui vaut 190 000$. «Si j’utilisais plutôt ce montant pour rembourser mon hypothèque plus rapidement, gagnerais-je au change?», se demande-t-elle.

À l’aide d’une calculatrice en ligne, Rose-Marie constate que, si elle met 10 000$ sur son hypothèque chaque année, elle aura fini de payer sa maison dans 8 ans, économisant ainsi 76 475$ d’intérêts. Elle aura alors 65 ans. Par contre, elle aura négligé son REER, son seul capital de retraite. «Si j’investis ces 10 000$ par année dans mon REER pendant 8 ans, l’argent accumulé générera-t-il assez de revenus pour payer les mensualités de l’hypothèque jusqu’à l’âge de 80 ans?» Ces questions l’embêtent et les calculs sont compliqués. Pour tenter d’y voir clair, elle décide de consulter Richard Proulx, planificateur financier au Groupe Investors, à Laval.

Un choix difficile

«Effectivement, la réponse n’est pas simple, car il faut tenir compte de plusieurs facteurs», confirme Richard Proulx. Le premier: l’âge. Si Rose-Marie avait eu 30 ans, par exemple, elle aurait dû accorder la priorité à son REER plutôt qu’à l’hypothèque. En effet, plus on cotise tôt, plus l’argent a le temps de fructifier à l’abri de l’impôt.

Viennent ensuite les questions fiscales. On sait que le taux d’imposition grimpe à mesure que le revenu s’élève. «Le taux marginal d’imposition de Rose-Marie est de 42,4%. Cela veut dire qu’une cotisation REER de 10 000$ lui procure un remboursement d’impôt de 4 240$», calcule l’expert.

Rose-Marie doit aussi examiner le rendement qu’elle peut tirer de ses placements, en comparaison avec son taux hypothécaire. Quand les coûts d’emprunt sont faibles et les rendements élevés sur les marchés boursiers, ce qui est le cas des trois dernières années, investir dans des produits de placement peut s’avérer très rentable. Enfin, la situation budgétaire de notre consommatrice est également à surveiller. En cas d’urgence, l’argent que Rose-Marie aura déposé dans son REER sera accessible rapidement. Au contraire, une maison, même libre de toute dette, demeure un actif peu liquide.

Passons aux calculs

Passons aux calculs

REER ou hypothèque? Afin de voir quelle option est la plus payante, Richard Proulx a utilisé deux méthodes d’analyse qu’il applique à deux scénarios: 10 000$ de paiement d’hypothèque et 10 000$ investis dans le REER.

Avec la première méthode, Richard Proulx n’a pas tenu compte de la valeur actuelle du REER de Rose-Marie ni de ses besoins budgétaires à long terme. Il a fait un calcul dans l’absolu, juste pour voir quelle serait la valeur nette des actifs de sa cliente à la fin de sa 65e année. «J’ai utilisé un facteur d’inflation de 3% (2% pour la maison), un taux d’imposition de 48,2% et des rendements de 4%, de 5,7% et de 8%.» Pourquoi un taux d’imposition de 48,2% alors que le taux marginal de Rose-Marie est de 42,4%? «Parce que si Rose-Marie décide de liquider tous ses avoirs à 65 ans, elle sera imposée au taux de 48,2%.»

Scénario 1 (10 000 $ sur l’hypothèque). On suppose que, chaque année pendant 8 ans, Rose-Marie rembourse son hypothèque d’un montant de 10 000$. Résultat: à 65 ans, la consommatrice aura fini de payer sa maison qui vaudra alors 303 255$, comme l’indique le tableau Valeur nette des actifs à 65 ans, ci-dessous.

Scénario 2 (10 000 $ dans le REER). Ici, Rose-Marie investit ses 10 000$ dans un REER. Pour montrer l’appréciation potentielle de ce capital, Richard Proulx utilise des taux de rendement de 4%, de 5,7% (le même que celui que porte l’hypothèque) et de 8%. Le remboursement d’impôt que reçoit Rose-Marie (4 240$) est appliqué à l’hypothèque, et ce, pendant 8 années consécutives. Comment s’en tire-t-elle? Les résultats figurent dans le tableau Valeur nette des actifs à 65 ans, ci-dessous.

Valeur nette de la maison* 303 255$    
Moins: impôt de 48,2 %** 0$    
Valeur nette après impôt 303 255$    
       
Scénario 2
10 000$ dans le REER
4 % 5,7 % 8 %
Valeur nette de la maison* 247 716$ 247 716$ 247 716$
REER*** 95 828$ 103 496$ 114 876$
Moins: impôt de 48,2 % (46 189$) (49 895$) (55 370$)
Valeur nette après impôt 297 355$ 301 327$ 307 222$

* Facteur d’inflation de 2%

** Nous présumons que Rose-Marie réclame l’exemption d’impôt sur le gain en capital au moment de la vente de la maison

*** Nous présumons que la cotisation REER est effectuée au début de chaque année.

La deuxième méthode

C’est seulement si Rose-Marie parvient à décrocher un rendement annuel de 8% ou plus sur ses placements que le scénario 2 deviendrait plus profitable. En effet, la valeur nette combinée de son REER et de sa maison (307 222$) dépasserait alors celle de sa maison entièrement payée (303 255$). «Pour que les deux scénarios soient équivalents, soit 303 255$ de chaque côté, il faut que le rendement annuel moyen du REER soit de 6,5%, estime Richard Proulx. Si Rose-Marie pense pouvoir faire mieux, elle doit favoriser son REER. Autrement, qu’elle rembourse son hypothèque.»

Or, ce n’est pas évident d’obtenir plus de 6,5% chaque année pendant 8 ans. Pour y parvenir, Rose-Marie doit accepter de courir des risques financiers. À moins de 10 ans de la retraite, elle se demande si elle est prête à embarquer dans une chasse au rendement. Richard Proulx comprend les hésitations de sa cliente qui penche de plus en plus vers le remboursement accéléré de l’hypothèque. Toutefois, une mise en garde s’impose: «Pour que cette stratégie porte ses fruits, Rose-Marie doit être très disciplinée. Les 10 000 $ doivent servir uniquement à rembourser l’hypothèque, et la totalité de la somme doit y être consacrée.»

La deuxième méthode

Ici, l’expert a considéré la situation financière globale de sa cliente: REER, projection des revenus de retraite, évaluation budgétaire, etc. Dans les deux scénarios, il a posé comme hypothèse que Rose-Marie prendra sa retraite à 65 ans. Il a aussi tenu pour acquis qu’elle demandera sa rente du RRQ à cet âge-là afin de ne pas être pénalisée, et qu’elle commencera à toucher sa Pension de la sécurité de la vieillesse. Une analyse budgétaire établit à 2 250$ le montant mensuel de ses dépenses, net d’impôts. Pour les fins de la démonstration, les paiements hypothécaires ont été calculés séparément.

Scénario 1 (10 000$ sur l’hypothèque). À 65 ans, Rose-Marie aura fini de rembourser son hypothèque. Son REER vaudra alors 312 917$. Compte tenu de ses revenus et dépenses, il sera épuisé à l’âge de 82 ans.

Scénario 2
(10 000$ dans le REER). La maison sera payée au bout de 15 ans et 9 mois. Rose-Marie aura alors 73 ans. Comme elle aura privilégié son REER, notre consommatrice aura vu ses dépenses passer à 3 155$ par mois pendant près de 7 ans. En effet, durant cette période, Rose-Marie aura versé des mensualités de 905$ en paiement de son hypothèque (2 250$ + 905$ = 3 155$). Une fois cette dette effacée, ses dépenses redescendront à 2 250$ par mois. «Au moment de prendre sa retraite à 65 ans, son REER vaudra 416 413$. Mais puisqu’elle y puisera davantage jusqu’à 73 ans, son capital sera à sec lorsqu’elle aura 82 ans, comme dans l’autre scénario», estime Richard Proulx.

L’un dans l’autre, les deux situations s’équivalent : Rose-Marie aura épuisé son REER à 82 ans. Rien de très réjouissant. «Si elle veut maintenir son niveau de vie jusqu’à 90 ans, son REER devra rapporter en moyenne 7% ou plus par année. Il est possible d’obtenir un tel rendement à long terme, mais ce n’est pas garanti», note Richard Proulx. De fait, le véritable danger réside dans l’utilisation du remboursement d’impôt pour payer toute autre chose que l’hypothèque. Si c’est ce que fait Rose-Marie, son REER sera épuisé à 77 ans.

Quelle que soit l’option retenue, notre future retraitée sait qu’elle devra faire preuve d’une grande discipline financière. «Trop de personnes négligent de mettre en place les stratégies que nous leur conseillons. C’est dommage, car les chiffres parlent d’eux-mêmes», conclut Richard Proulx.

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