Ah, dormir! Poser sa tête sur l’oreiller et se réveiller sept ou huit heures plus tard plein de vitalité, c’est ce que tout le monde souhaite. Ce scénario de rêve correspond somme toute à l’idée que chacun se fait d’une bonne nuit de sommeil.
Hélas!, la réalité est souvent différente. Il suffit de mal dormir pour que la nuit, paradis des rêves, devienne cauchemar. Il n’y a pas moment plus propice pour faire d’une bagatelle une montagne. Rien comme l’insomnie pour gâcher non seulement la nuit, mais aussi le jour qui s’en vient! Du moins en théorie puisque, en pratique, il y a tout de suite lieu de faire une précision importante : manquer de sommeil n’est pas forcément une catastrophe et mal dormir ne fait pas nécessairement du lendemain une journée perdue.
«Les conséquences dramatiques que l’on attribue au manque de sommeil sont exagérées, soutient le psychologue clinicien Mario Sirois. L’effet est beaucoup moins grand qu’on le croit.» Très souvent, la journée se passe quand même plutôt bien et il y a de fortes chances que, le soir suivant, on trouve le sommeil aussi facilement qu’un enfant!
Combien d’heures?
Le psychologue précise que les besoins de chacun diffèrent grandement. Certaines personnes s’en tirent avec 4, 5 ou 6 heures de sommeil tandis que d’autres ont besoin de leur 9 à 11 heures solides. Vouloir dormir «comme les autres» n’a donc pas tellement de sens.
Les spécialistes du sommeil n’établissent aucune norme puisque tout un chacun se sentirait plus ou moins décalé par rapport à celle-ci. Le sommeil est en fait quelque chose de très intime. À chacun selon ses besoins! Un couple est souvent formé de deux dormeurs très différents, l’un debout à 5 h, l’autre jamais avant 8 h! On se sent en forme au réveil, ni trop somnolent ni incapable de se concentrer? Tout va bien, que l’on ait dormi 4, 7 ou 10 heures. Il s’agit de bien se connaître. Chercher à dormir davantage peut donner mal à la tête, accentuer une humeur dépressive ou faire que l’on se sentira très fatigué.
Il faut savoir aussi que le sommeil n’est pas immuable; un bébé et un ado dorment nettement plus longtemps qu’une personne âgée qui, elle, perd du sommeil profond et connaît un sommeil plus fragmenté.
Il reste que dormir s’avère une nécessité biologique: le sommeil répare corps et esprit. Mais sur la nature précise de ces réparations, on ne sait pas encore tout…
Avant de conclure à l’insomnie
Avant de conclure à l’insomnie
Le mot insomnie, en un siècle, est devenu un véritable fourre-tout! Prétendre souffrir d’insomnie quand on dort mal une nuit de temps à autre serait comme dire qu’on a la tuberculose chaque fois que l’on éternue… À quoi avez-vous vraiment affaire?
- Vous passez au moins 30 minutes à chercher le confort de tous côtés sans dormir? Vous avez un problème d’endormissement.
- Vous vous réveillez parfois en pleine nuit, après trois petites heures de sommeil seulement, l’esprit clair et alerte, en songeant à vos rentes de retraite et rien ne laisse croire que vous vous rendormirez sous peu? C’est un problème de maintien du sommeil.
- Vous vous éveillez trop tôt, avec le sentiment de ne pas avoir assez dormi; vous vous sentez entre deux eaux, pas totalement reposé mais incapable de vous rendormir? Il s’agit d’insomnie matinale.
- Le pire scénario, c’est la nuit blanche, de la couleur du plafond. Rien à faire, et vous savez que vous ne vous endormirez pas de sitôt car la tension vous en empêche. C’est l’insomnie pure et dure.
Grand spécialiste du sommeil, Charles Morin, professeur à l’école de psychologie de l’Université Laval et fondateur de la Société canadienne du sommeil, a découvert, au terme d’une étude portant sur 2 000 adultes québécois, que 2 adultes sur 10 s’endorment difficilement ou restent longuement éveillés au moins 3 nuits par semaine; 1 sur 10 souffre d’insomnie chronique. Ce sont deux fois plus souvent des femmes que des hommes. Les personnes âgées, malades ou d’un naturel anxieux ont aussi le sommeil plus fragile.
Quand ça arrive rarement, il n’y a rien là d’anormal ni de dramatique. On peut tout simplement être excité à l’idée d’une invitation à souper qu’on a lancée pour le lendemain, ou perturbé par la maladie d’un proche, par le décalage horaire, par une mauvaise nouvelle… Règle générale, on identifie facilement la cause. Quand le stress disparaît, tout rentre dans l’ordre.
L’insomnie véritable et chronique peut au contraire grandement perturber. Le lendemain, on a les paupières qui voudraient fermer boutique à tout moment et la tête lourde comme une grosse boule de jeu de quilles. Bref, la vie perd de sa qualité et ça peut devenir intolérable. Selon la psychiatre Sylvie Royant-Parola, spécialiste française des troubles du sommeil, l’insomnie devient préoccupante et chronique quand elle se produit au moins trois nuits par semaine et dure depuis trois mois et que rien ne laisse croire que ça changera. Il faut y voir.
Votre médecin décidera peut-être de vous diriger vers une clinique du sommeil (chaque centre hospitalier universitaire en a une). Vous y «dormez» sur place pendant quelques nuits, branché sur des appareils, tandis que des spécialistes analysent votre sommeil pour ensuite vous proposer des moyens pour mieux dormir.
Les empêcheurs de dormir en rond
Les empêcheurs de dormir en rond
Douleur, apnée, jambes lourdes, certains médicaments contenant des excitants ou même certaines maladies peuvent nuire au sommeil. Mais le scénario de loin le plus commun consiste à avoir la tête encombrée d’idées tenaces au coucher ou dès un réveil en pleine nuit. «L’anxiété explique un très grand nombre de cas d’insomnie», assure l’omnipraticien Jean Gariépy.
«Aussitôt que notre esprit – et notre corps, par conséquent – se met en mode alarme, veille ou éveil, notre sommeil est perturbé, ajoute le psychologue Mario Sirois. Pour bien dormir, il faut une phase d’endormissement qui nécessite une absence d’émotion, d’anxiété, de tracas et la présence de quiétude.»
Cette quiétude vient avec une certaine dose de sécurité extérieure (oui, les portes sont bien verrouillées, les lumières sont éteintes), intérieure (température corporelle plus basse, vessie vidée, pas soif ni faim, pas de digestion trop lourde en cours, pas de douleur…) et psychologique (ni pensée angoissante ni appréhension).
Mettre au point une certaine routine aide à atteindre cet état. Puisque la température du corps doit s’abaisser pour que l’on dorme, on évite bien sûr de faire du sport intensif au moins trois heures avant d’aller au lit. En revanche, en faire durant le jour fait partie des bonnes habitudes à adopter. «Ça génère une bonne fatigue corporelle qui favorise l’endormissement», précise Mario Sirois. On évite aussi toute activité émotive intense quelques heures avant d’aller au lit (film d’horreur, chicane ou discussion enflammée), et tout stimulant comme café, thé, cola, alcool, cigarette, drogue.
Surtout pour les insomniaques, le lit ne doit être réservé qu’au sommeil. «Votre cerveau doit faire un lien : lit = relaxation = endormissement = sommeil. Point à la ligne», insiste Mario Sirois. Seule exception: on peut y faire l’amour, ce que Freud a qualifié de meilleur somnifère! L’acte sexuel détend et fatigue. Après, on ressent tendresse, quiétude et plénitude, des états qui préparent bien au sommeil. Sans compter que l’orgasme a fait libérer beaucoup d’endorphines, un sédatif naturel.
Si l’on persiste à étudier la décoration de la chambre une partie de la nuit, le mieux consiste à se lever, puis à faire une activité relaxante comme lire ou écouter de la musique douce. On retourne se coucher dès que l’on bâille. Pour faire échec à toute rumination obstinée qui empêche de dormir, il n’y a rien de tel comme de se lever pour noter ce qui nous tracasse, puis de retourner se coucher en s’interdisant d’y penser. Aucun risque de l’oublier, puisque c’est noté…
Mario Sirois estime qu’il faut une certaine discipline mentale pour s’aider à dormir. Si l’on se surprend à penser à des choses très anxiogènes (compte de banque à sec), très excitantes (journée de randonnée attendue demain), très émotives (j’en veux tellement à mon voisin d’avoir écrasé mon chien), il faut savoir le reconnaître et remplacer immédiatement ces pensées par d’autres plus ennuyeuses (compter des moutons) ou apaisantes (marcher dans la forêt).
Si l’insomnie nous fait redouter le sommeil, que l’on associe au bout d’un certain temps à quelque chose de difficile, on peut transformer ces pensées négatives par d’autres plus positives. «Je ne dors pas, tant pis; j’en profiterai pour relaxer et me recueillir dans le silence», illustre Mario Sirois. «Contrôler ses pensées est plus facile à dire qu’à faire, j’en conviens, mais je sais par expérience que c’est possible d’y arriver à force de s’y exercer», conclut-il. On peut aussi se discipliner à aimer le sommeil et ces moments précurseurs où flottent souvenirs, projets, images de rêve…
Autres trucs pour mauvais dormeurs
Autres trucs pour mauvais dormeurs
Parfois, le sommeil se rétablit ou s’améliore tout simplement par une bonne hygiène du sommeil. Essayez quelques-uns de ces trucs.
- Avoir un cycle de sommeil régulier, ce qui inclut se coucher et se lever environ aux mêmes heures.
- Faire un souper de glucides: pâtes, riz, légumineuses, ou encore de salade, réputés favoriser le sommeil.
- Boire un verre de lait ou manger un yogourt avant d’aller au lit; manquer de protéines, donc ressentir la faim, durant la nuit peut réveiller.
- Avoir un bon matelas. Toute douleur perturbe le sommeil. Le vôtre est-il trop mou ou trop dur, source d’inconfort chronique et de douleur au dos, aux épaules, au cou? Les ressorts sont-ils en train de transpercer le tissu… et votre peau? S’il le faut, investissez et retrouvez le confort essentiel pour bien dormir.
- Le soir, 60 à 90 minutes avant d’aller au lit, prendre un bain plutôt chaud (15 minutes dans l’eau à 40oC), ce qui force le corps à abaisser sa température, et favorise donc le sommeil.
- Contrôler la température. Dans une chambre trop chaude, on dort très mal; 18 oC ou 19oC convient parfaitement. Faire entrer de l’air frais, même en hiver; un très mince filet suffit.
- Se couvrir si l’on est frileux: pyjama, chaussettes et, pourquoi pas, un bonnet. Si, au contraire, il fait trop chaud, sortir les pieds de sous les couvertures pour baisser la température du corps.
- Dormir le plus possible dans le noir. Une lumière, même faible, influe sur l’horloge biologique.
- Éviter la présence d’appareils électroniques (télé, ordinateur, radio…) dans la chambre en raison des ondes électromagnétiques qu’ils dégagent, même éteints.
- Essayer le plus possible de se coucher quand l’ensommeillement arrive. Et se coucher plus tard quand on a tendance à se réveiller la nuit ou trop tôt le matin.
- Éviter les grasses matinées, qui peuvent influer sur la nuit suivante. Se lever idéalement à la même heure sept jours sur sept.
Ne regardez pas l’heure!
Ne regardez pas l’heure!
L’horloge est devenue une obsession. Plutôt que d’assouvir nos besoins quand nous les ressentons, nous les casons de force dans un horaire. Quand on souffre d’insomnie, vouloir absolument dormir pendant huit heures entre telle et telle heure et garder les yeux rivés sur le cadran pour calculer, c’est la pire chose à faire. On devient anxieux, ce qui nuit au sommeil. Les psychologues appellent cela la performance du sommeil.
En cas de sommeil difficile, oubliez l’heure. Couchez-vous quand vous ressentez l’endormissement et ne regardez pas l’heure avant de vous lever le lendemain. Jamais. Ne calculez pas. N’entrez pas dans ce jeu obsessif (rappelez-vous combien de fois c’est l’horloge qui a déclenché l’anxiété). Reposez-vous plutôt. Restez calme. Peu à peu, vous perdrez la notion du temps durant la nuit. Vous vous sentirez peut-être en forme même après avoir passé une partie de la nuit éveillé. Au bout du compte, vous avez peut-être besoin de moins de sommeil que vous croyez.
«Plusieurs études ont prouvé que les gens ont dormi en fait quatre à cinq heures même s’ils déclarent en avoir dormi trois, explique Mario Sirois. Tous ceux qui dorment mal ont tendance à sous-évaluer le temps dormi.» Quand on est le moindrement anxieux, on s’endort par exemple pour 45 minutes et, en ouvrant les yeux, on est si en alerte qu’on pense ne pas avoir dormi du tout.
Les mauvais dormeurs perçoivent une partie de leur sommeil comme de l’éveil. «Parfois, à l’enregistrement, on constate sept heures de sommeil chez quelqu’un qui déclare ne pas dormir», écrit le Dr François Marchand, dans Des nuits sans insomnie. Entre bons et mauvais dormeurs, l’écart de durée moyenne du sommeil n’est que de 35 minutes environ, précise le spécialiste.
Ne pas regarder l’heure la nuit aide à devenir sensible à la qualité de son sommeil plutôt qu’à la quantité. De mauvaises nuits devraient théoriquement accoucher de mauvaises journées. Or, après avoir longuement étudié de nombreux insomniaques, le Dr Marchand affirme que c’est souvent le contraire. Les véritables somnolents durant le jour restent minoritaires. Les autres fonctionnent bien.
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