Jacinthe Dompierre vient d’une famille de mélomanes et de véritables musiciens – clin d’oeil à son frère François. Elle a elle-même suivi des cours de piano pendant 13 ans, éducation chez les Soeurs grises oblige, et c’est tant mieux. Pourrait-on dire que ce talent a été tout naturellement transmis à sa fille? Il y a effectivement de cela: Catherine a fait preuve très tôt d’un don exceptionnel que sa mère a décelé alors que l’enfant n’avait que quatre ans. «Elle a appris à lire la musique avant ses lettres», de déclarer fièrement la maman. Il s’est avéré que la fillette avait l’oreille absolue (même si Catherine n’aime pas trop qu’on en parle). Non sans difficulté compte tenu de l’âge de sa fille, Jacinthe va réussir à la faire entrer à l’école Vincent-d’Indy où elle suivra, pendant neuf ans, les cours de madame Élisabeth Papageorges. Alors oui, il y avait le talent, inné, mais il y a eu aussi et surtout le travail. La pratique d’un instrument exige une constance sans laquelle rien ne peut vraiment s’accomplir. Durant 15 ans, Catherine Major l’a eue, cette persévérance, toujours encouragée par sa mère. L’artiste en convient: «La musique classique m’a construite. C’est ma base. Il fallait que je passe par là pour être capable de composer.»
Quel genre de petite fille Catherine était-elle donc? Selon Jacinthe, c’était une enfant à la fois calme et dynamique, indépendante, qui jouait souvent seule. «Malgré la place importante qu’occupait la musique dans sa vie, l’école ne l’a jamais rebutée. C’est à l’adolescence que sa personnalité d’aujourd’hui, plutôt hyperactive, a commencé à se révéler.» La jeune fille fréquentait alors l’école secondaire Pierre-Laporte, un établissement public à vocation musicale où elle participait volontiers aux activités parascolaires. La maman tient à préciser que durant cette période, malgré quelques difficultés propres à l’adolescence et malgré sa séparation d’avec le papa, une entente exceptionnelle a toujours régné entre elle et sa fille. Jacinthe laissait une assez grande liberté à ses enfants (Catherine a une soeur cadette, Laurence). Les valeurs qu’elle désirait leur inculquer étaient des plus simples: «Être polies, reconnaissantes, gentilles, courtoises. Autant de qualités qui ont tendance à s’estomper…» La seule consigne qu’elle donnait à ses ados était: «Ne disparaissez pas!» Autrement dit, comme toutes les mamans le souhaiteraient, elle voulait savoir en tout temps où se trouvaient ses rejetonnes, pour ne pas se ronger les sangs inutilement. Catherine, maintenant maman de Frédérique et Margot, doit comprendre viscéralement cette consigne.
À l’unisson
Lorsque Catherine Major a bifurqué vers autre chose que le pur classique (elle a obtenu un baccalauréat en musique pop), Jacinthe ne s’en est pas offusquée, bien au contraire. On sent que pour elle, la seule chose qui comptait, c’était que sa fille se réalise dans ses choix personnels. Et puis vint la chanson. Là encore, Jacinthe a joué un rôle important. L’adolescente savait plus ou moins que sa mère écrivait. Un jour, donc, alors qu’elle «fouille» dans un tiroir, elle y découvre un texte qui la saisit, alors même qu’il aborde des sujets profonds et tristes. «J’ai tout de suite eu envie de mettre en musique les mots de ma mère», affirme-t-elle. Ce sera «La Clé», qui figure sur son tout premier album, Par-dessus bord, pour lequel elle a obtenu, en 2004, le fameux prix Coup de coeur de l’Académie Charles-Cros. Cette collaboration n’a jamais cessé depuis. Catherine Major s’était déjà fait remarquer à Petite- Vallée, poussée par l’animatrice Monique Giroux. La sortie de Rose sang (2008) viendra magnifiquement confirmer qu’elle n’était pas une simple chanteuse, mais bien une auteure-compositrice-interprète, et de quel calibre!
Entre la mère et la fille, il n’y a pas vraiment de règle établie. Parfois Catherine offre une musique à Jacinthe; d’autres fois, cette dernière soumet un texte à sa fille. Et dans ce dernier cas, cela donne des chansons comme «Amadeus», «Chanson sans lui» (un texte qui ne contient pas la lettre e, un défi!) ou encore «Bouche-à-bouche», qui figurent dans Le désert des solitudes, le troisième album sorti en 2011. L’artiste a déjà déclaré en entrevue : «Ma mère écrit des textes qui me chavirent.» Et lorsqu’elle les chante, ils nous chavirent tout autant. Car elle est «chavirante», Catherine Major, dans la vie comme sur scène: intense, passionnée, fébrile par moments. Il semble que la pomme ne soit pas tombée trop loin de l’arbre puisque, sous son air calme et détendu, Jacinthe avoue être tout aussi anxieuse: «Je suis une angoissée. Dans la famille, on est tous comme ça.»
Anxiété et remise en question
Mais le rôle de grand-mère n’est-il pas venu atténuer quelque peu ce sentiment? Pas vraiment. Lorsque Catherine a appris à sa mère qu’elle était enceinte de son aînée, à la joie de voir sa fille devenir maman s’est immédiatement ajoutée une sorte d’inquiétude: «Tu vas donc aimer quelqu’un plus que moi!» Quel constat inattendu! Et Catherine de rétorquer: «On aime sa maman comme on aime sa maman.» Quant à elle, ses filles sont devenues le centre de sa vie, l’ont «amenée dans la réalité», mais elle ne pense pas avoir changé pour autant. «J’ai les mêmes besoins de manger, de vivre, d’être constamment en éveil…» Manger en priorité! Compte tenu de sa silhouette, à la fois gracile et sensuelle, on ne s’y serait pas attendu… (Rires…) Pourtant, elle abonde dans ce sens: «Nous faisons partie d’une famille de gourmands. Chez nous, la bouffe occupe une place démesurée. De plus, ma mère a toujours cuisiné avec beaucoup d’amour.» Et d’ajouter que son père passe maintenant le plus clair de son temps à mitonner des petits plats dont il fait profiter sa fille et les siens qui habitent au-dessus de chez lui.
Fait assez inusité, à 33 ans, Catherine Major vit dans le triplex qui l’a vue naître, à Outremont. Au bout d’un moment, on se dit que malgré le côté tourmenté de ses chansons, elle n’est pas si pessimiste que ça, Catherine Major. Simplement elle se remet en question souvent, et il y a eu dans sa vie des périodes «de chute hormonale complète» qui ont donné lieu à des textes plutôt sombres. On la sent proche de son corps. À ce propos, il faut la voir sur scène agissant et réagissant parfois comme un animal traqué. Elle en convient: «Je ne ferai jamais de chansons légères et je n’en écoute pas non plus.» Pour elle, une chanson se doit d’être musicale, littéraire, et porteuse de messages qu’on devrait pouvoir découvrir même après de nombreuses auditions. Idéalement, tout texte offre matière à une réflexion que chaque personne peut s’approprier. Ainsi «Un blanc sur ma mémoire» est en lien direct avec l’état d’âme d’une Haïtienne ayant perdu tous ses proches dans le tremblement de terre. Elle lui fait dire: «Je chante pour prier deux fois / Je prie pour calmer en moi / Les restes d’effroi.» Une jeune femme, décédée depuis, avait confié à Catherine que l’évocation de ce cataclysme pouvait aussi bien s’appliquer à ce qu’elle vivait elle-même, un cancer.
Une inventivité exceptionnelle
Alors non, on ne trouve pas l’interprète au détour d’une chansonnette. Loin d’elle, les rengaines. Son public, majoritairement composé de fans dans la quarantaine, attend d’elle ce qu’on pouvait attendre d’une Barbara, «la pianiste chantante». Que les textes soient écrits par elle-même, par Jacinthe, par Moran – son conjoint, père de ses filles – ou encore, à une occasion, par le désarçonnant Christian Mistral, tous exigent un effort de notre part, et c’est ce qu’elle veut. «Mes chansons sont finalement très simples, mais je n’offre pas de “prémâché”.» De plus, son inventivité exceptionnelle, Catherine l’applique à des musiques de films qu’elle compose. En ce qui a trait à la musique, justement, le classique est là pour durer, et l’expérience vécue avec l’Orchestre symphonique de Québec lui a donné l’envie de faire appel à une telle formation pour son prochain album. On le lui souhaite et on se le souhaite.
Jacinthe rappelle à Catherine, qui l’avait oublié, que petite, elle avait donné un nom à son piano: il s’appelait Chocolat. Son piano! «Quand j’en joue, il faut qu’il se fasse brasser!» En spectacle, c’est un fait qu’elle ne l’épargne guère. (Là encore, on pense à Barbara.) Sa mère a une réflexion touchante et fort belle relativement à Catherine et à son instrument: «Tu prends ton piano comme tu le ferais d’un enfant ou même d’un amoureux.» C’est vrai. Chanter, jouer et bouger sont indissociables pour l’artiste. Sa relation au piano revêt une sorte de sensualité qui n’est guère coutumière et qu’on aime. Là encore, les deux femmes sont proches, ça se voit, ça se perçoit, on les sent prêtes à la confidence.
La peur de vieillir
Quelque chose les différencie toutefois: la jeune Catherine a carrément peur de vieillir, alors que Jacinthe le prend bien. À peine sexagénaire, elle se sent devenir plus sage tout en étant toujours prête «à faire des folies». Son mantra : accepter ce que la vie nous offre en gardant son coeur d’enfant et en vivant le moment présent. Même si l’expression est galvaudée, elle n’en est pas moins pertinente. Qu’est-ce qui fait donc peur à Catherine? Elle est si jeune encore! «Vieillir, pour une femme, n’est pas facile, et devant les caméras, c’est pire!» On le comprend, mais le sentiment exprimé devient poésie: «Le temps de négocier / Le prix qu’il faut payer / Quand rien n’est plus à vendre.» Ce temps est encore loin et d’ici là, «bien des moments de bonheur et de grâce» restent à venir – moments qui donneront naissance à des petits bijoux que l’artiste nous offre, dans une langue âpre et belle portée par une musique à fleur de peau.
Yolande Dompierre, la grand-mère maternelle, pour qui Félix Leclerc a écrit «Notre sentier», avait vu juste le jour où elle a fait remarquer à Jacinthe, qui se le rappelle avec grande précision et beaucoup de tendresse: «Regarde comme cette enfant est capable, à son âge, de dompter la bête!» De ce point de vue, rien n’a changé, et cela s’appelle la passion, seul viatique indispensable pour mener à bien une carrière et une vie. Et de cet ingrédient, Catherine Major en est pétrie.
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