Surdité : Fini les malentendus!

Surdité : Fini les malentendus!

Par Marie-Josée Lacroix

Crédit photo: iStock Photo

«Mon audition a commencé à baisser il y a 13 ans. Mes enfants ne comprenaient pas que j’entendais mal, moi qui avais toujours eu une ouïe si fine. Je ne l’admettais pas, et leurs commentaires me blessaient.» Jocelyne Cordeau fait partie des 10 % de la population, tous âges confondus, qui présentent des problèmes d’audition, dont 8,5 % ont entre 55 à 64 ans. Ce chiffre atteint 25 % chez les 65 ans à 74 ans. 

«Les gens qui développent une perte d’audition progressive ne s’en rendent pas compte tout de suite. Ils trouvent des excuses: ce sont les autres qui marmonnent, qui articulent mal, observe Jean-Paul W. Tremblay, psychologue au programme Aînés à l’Installation Raymond-Dewar (IRD) du CIUSS Centre-Sud de l’Île de Montréal (raymond-dewar.qc.ca). Les personnes qui deviennent sourdes attendent en moyenne de sept à dix ans avant de consulter parce que, dans leur esprit, la surdité est associée au vieillissement. C’est un stigmate social.»

Cette dégradation de l’ouïe crée bien sûr des difficultés de communication verbale. «Le bruit ou la musique environnants nous coupent les voies», souligne sans jeu de mots Mᵐᵉ Cordeau. On se retrouve incapable de suivre les conversations lors de réunions familiales et en public. Les grands-parents entendent moins facilement les confidences de leurs petits-enfants. La vie intime et sociale du couple se trouve affectée. «Devant ces difficultés, les personnes qui deviennent sourdes s’isolent, explique Johanne Rousseau, psychologue attachée au programme Adultes de l’IRD. Elles se sentent diminuées, honteuses, moins compétentes… Leur estime de soi diminue. Se sentir ainsi exclu engendre de la tristesse. Il y a également un impact au travail: certains cachent leur handicap à leur patron et à leurs collègues par crainte de perdre leur emploi.» D’autres devancent même le moment de la retraite. 

Quel outil pour qui?

Jocelyne Cordeau a mis son orgueil de côté et consulté un audiologiste qui lui a appris qu’elle avait une perte d’audition avancée à une oreille et légère à l’autre. «Je me suis alors inscrite au centre de réadaptation Le Bouclier (bouclier.qc.ca) pour apprendre la lecture labiale et à l’association Audition Québec (auditionquebec.org) de ma région, dont je suis maintenant présidente. Je me suis aussi procuré des prothèses auditives. Ça m’a permis, entre autres, de suivre des cours de danse. Depuis, je conseille à tous d’en porter!» 

Pourtant, bien que ces prothèses soient d’une utilité indéniable, seulement une minorité de malentendants les adoptent… D’abord parce que peu d’entre eux consultent, selon Christophe Grenier, audioprothésiste exerçant dans une clinique Lobe. Il conseille de faire vérifier ses oreilles aux deux ans, comme pour nos yeux, surtout à partir de 55 ans, par un audiologiste dans un centre hospitalier ou une clinique en santé auditive. 

La perception de ces aides auditives en rebuterait aussi plusieurs. «Les gens pensent aux grosses prothèses beiges qu’ils ont vu leurs parents porter, alors qu’aujourd’hui, les appareils sont beaucoup plus discrets et s’adaptent aux besoins de chacun. Les prothèses rechargeables seront par exemple idéales pour ceux dont la motricité fine est affectée. D’autres transmettent l’information dans les deux oreilles lorsqu’on parle au téléphone, ce qui améliore grandement la communication.» Un système MF (modulation de fréquence) permet quant à lui d’écouter la télévision et la radio aussi fort que nécessaire sans déranger les autres.

Au jour le jour

Les professionnels ont également élaboré des stratégies de communication pour se faciliter la vie au quotidien. La plus importante? Dire tout de suite à nos interlocuteurs qu’on est malentendant et préciser nos besoins. L’attitude des gens changera. Ce handicap étant invisible, on ne doit pas hésiter non plus à les faire répéter. La liste des autres stratégies est disponible dans la plupart des cliniques et associations pour malentendants. On y trouve aussi la CommuniCarte, qui permet de s’identifier comme personne malentendante dans les magasins, banques, épiceries ou hôpitaux, et qui indique aux interlocuteurs quelques conseils de base.

Un répertoire des salles de loisir adaptées créé par Audition Québec est aussi disponible sur demande (514 278-9636). Et le programme Adultes de l’IRD, qui réunit psychologues, psychoéducateurs et travailleurs sociaux, peut aider à s’adapter aux nouvelles réalités et aux petits deuils auxquels on fait face quand la perte d’audition progresse (info: 514 284-2214, poste 3601).

Être là

«L’entourage ne comprend pas toujours ce que devenir sourd signifie et croit parfois que le malentendant fait preuve de mauvaise volonté», se désole Jean-Paul W. Tremblay. Or, les proches peuvent vraiment aider à se sentir mieux. Pourquoi ne pas accompagner par exemple la personne chez le spécialiste pour connaître sa condition réelle, les types de prothèses offerts et leurs limites? «Le proche apprend alors ce qu’elle perçoit, ce que j’appelle « l’effet gruyère », ces trous dans la phrase entendue, les consonnes ou les voyelles qui manquent et qui font que la personne ne comprend pas», explique Johanne Rousseau. L’IRD dispose d’une simulation sur logiciel de ce que la personne entend. Quand on le fait écouter à l’entourage, «ils sont stupéfiés», affirme M. Tremblay.

Autre astuce, pour amener quelqu’un à consulter, le psychologue suggère une tactique subtile: le proche pourrait demander au malentendant de l’aider: «J’ai de la difficulté à communiquer avec toi. Pourrions-nous voir quelqu’un pour savoir ce qui se passe?» La personne qui a des difficultés d’audition hésitera moins et aura moins honte… 

«L’environnement est également un facteur important. Il faudrait veiller à communiquer seul à seul avec une personne malentendante, dans un endroit aux bruits ambiants assourdis.» Elle aura alors plus de plaisir à participer aux réunions de famille et entre amis, et ne se sentira pas exclue. De même, pour faciliter la lecture labiale, l’interlocuteur devrait regarder le malentendant, parler lentement sans crier, bien articuler, mais pas de façon excessive (cela déforme les mots). Pour situer le contexte, on précise également de quoi on parle, et on signale clairement un changement de sujet. Enfin, si la personne a le sens de l’humour, afin d’éviter des incompréhensions potentiellement conflictuelles, «on peut lui demander ce qu’elle a entendu. C’est souvent drôle, on en rit tous ensemble et ça allège l’ambiance», poursuit M. Tremblay.

«L’entourage peut aussi interroger le malentendant sur ses besoins et ce qui l’aiderait, souligne Johanne Rousseau. Ça ne va pas de soi pour ceux qui ne connaissent pas cette réalité.» Le programme Adultes de l’IRD offre d’ailleurs aux proches des ateliers de sensibilisation aux stratégies de communication. «Ainsi, les gens voient qu’ils ne sont pas seuls. Ils se rencontrent et partagent des trucs, ce qui a parfois plus d’impact.»

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