Apnée du sommeil, syndrome des jambes sans repos, somnambulisme, terreurs nocturnes, hypersomnie… L’éventail des troubles du sommeil est très large, et l’insomnie se trouve en tête de liste. «L’insomnie n’est pas tant reliée au nombre d’heures que l’on dort, mais à une altération du sommeil, explique le neurologue Alex Desautels, professeur à l’Université de Montréal et directeur du Centre d’études avancées en médecine du sommeil (CÉAMS). Cela peut se traduire par une difficulté à s’endormir, le fait de se réveiller n’importe quand durant la nuit ou de se réveiller beaucoup plus tôt qu’escompté.» La journée suivante, l’insomnie aura laissé des traces: on se sentira fatigué, on sera moins performant dans nos tâches, on éprouvera de la difficulté à se concentrer, voire des migraines ou de l’anxiété. «Cela dit, bien que le nombre d’heures de sommeil dont un adulte a besoin se situe généralement entre 7 et 9 heures, certaines personnes peuvent ne dormir que 5 heures par nuit et être tout à fait fonctionnelles, nuance le Dr Desautels. Chaque personne est différente.»
Qui est concerné?
À peu près tout le monde a déjà vécu un épisode d’insomnie, que ce soit à cause d’un stress important, positif ou négatif, du décalage horaire, de mauvaises habitudes de vie prenant temporairement le dessus, etc. Habituellement, le sommeil revient en même temps que le retour à la normale, quand le stress s’est dissipé, qu’on a repris de bonnes habitudes (pas une si bonne idée après tout, le café à 21 h!). Mais pour environ 10 % des gens, le problème est récurrent. «Certains sont plus disposés à souffrir d’insomnie, les personnes de nature plus anxieuse par exemple, explique le Dr Desautels. Sans qu’on sache très bien pourquoi, les femmes sont aussi plus sujettes à faire de l’insomnie, probablement pour des raisons hormonales.» Le problème s’installe aussi parfois peu à peu jusqu’à devenir chronique. Quand on commence à être obsédé par son sommeil, par exemple, cela ne fait souvent qu’augmenter le niveau d’anxiété et empirer le problème. «Souvent, on va involontairement alimenter le problème d’insomnie en se disant, par exemple, que si on ne dort pas tel nombre d’heures, on se sentira mal, on tombera malade, etc. Plus le sommeil devient un sujet de préoccupation, plus notre niveau d’anxiété grimpe… et plus on a de difficulté à bien dormir», explique Lynda Bélanger, psychologue à la Clinique du sommeil de la Capitale.
Par ailleurs, si la venue de la soixantaine a fait fuir Morphée, on peut au moins se dire qu’on n’est pas seul. «Quand on avance en âge, nos rythmes circadiens changent et on a moins de phases de sommeil profond», décode le Dr Desautels. Les rythmes circadiens, ce sont les cycles de veille et de somnolence qui régulent nos journées, notre fameuse horloge biologique. Différentes raisons peuvent expliquer ce changement de cycle: habitudes de vie différentes, sous-exposition à la lumière, anxiété due à des soucis de santé… «Le problème peut aussi être causé par une condition médicale, comme une douleur chronique, le diabète ou encore par la prise de certains médicaments», ajoute le neurologue.
Quelles conséquences?
En 2016, l’Enquête canadienne sur le sommeil a révélé que 70 % des Canadiens avaient inscrit un sommeil de meilleure qualité sur leur liste de souhaits. Une nuit peu satisfaisante se traduisait pour la moitié d’entre eux par une moins bonne performance au travail, et pour 40 %, par une humeur à fleur de peau. Une certaine fatigue, un manque de concentration ou de l’irritabilité se supportent à la limite relativement bien, à condition toutefois que le problème ne dure pas et qu’on retrouve vite un bon sommeil. Mais si ce n’est pas le cas, si le problème persiste ou ressurgit fréquemment, notre santé, tant mentale que physique, s’en trouve hypothéquée.
En ne prenant pas l’insomnie au sérieux, que risque-t-on? D’abord, les rhumes, gastro et autres virus indésirables profiteront sans remords du système immunitaire affaibli. À long terme, l’insomnie augmente aussi les risques de souffrir d’une maladie cardiovasculaire, d’hypertension, d’un cancer, d’obésité, de vieillissement précoce, d’anxiété aiguë et de dépression. Plusieurs recherches associent même l’insomnie chronique à une espérance de vie plus courte. En analysant 16 études sur le sujet, des chercheurs américains ont déduit que les nuits altérées à répétition augmentaient nos risques de mourir de 12 %. Et ce, toutes causes liées à l’insomnie confondues: maladies, distraction ayant mené à un accident, etc.
10 solutions
La grande majorité des cas d’insomnie peuvent être sinon tout à fait réglés, du moins significativement améliorés. Voici quelques pistes pour retrouver un sommeil satisfaisant.
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L’exercice
Plusieurs recherches l’ont démontré: bouger régulièrement contribue à un meilleur sommeil la nuit. L’une d’elles, menée par des chercheurs américains en 2010 auprès de femmes de plus de 55 ans, a conclu que 2,5 heures d’exercices aérobiques et une séance de musculation deux fois par semaine amélioraient considérablement la qualité de sommeil (ainsi que l’humeur et la qualité de vie en général), même chez les insomniaques chroniques. Des recherches indiquent qu’il est préférable de faire de l’exercice le matin, mais rien ne nous interdit de bouger le soir si on le souhaite, idéalement au moins une heure et demie à deux heures avant de se mettre au lit en cas d’exercice plus intense.
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Un menu adapté
L’alcool et les mets gras ou épicés peuvent nuire à notre sommeil. En revanche, d’autres le favoriseraient. En raison des réactions qu’ils provoquent dans notre corps, certains aliments (notamment ceux contenant du tryptophane, un acide aminé précurseur de la sérotonine qui aide au sommeil) seraient à privilégier. En voici six à inclure dans nos collations du soir: les bananes, l’avoine, le lait chaud, le miel, les amandes et les céréales de grains entiers.
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La mélatonine
Cette hormone produite par notre cerveau en l’absence de lumière favorise l’endormissent. Elle est aussi disponible sous forme de suppléments, en vente libre dans les pharmacies. «Bien que son utilisation n’ait pas été spécifiquement conçue pour traiter l’insomnie, des suppléments de mélatonine aident néanmoins des insomniaques», confirme le Dr Desautels. Chez certains, la mélatonine n’a absolument aucun effet, tandis que chez d’autres, elle fonctionne bien. De plus, selon les recherches actuelles, elle n’entraîne pas d’effets secondaires ni de dépendance. On s’informe néanmoins auprès de notre médecin ou de notre pharmacien avant d’en utiliser.
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Se détendre
Même si on ne se sent pas particulièrement tendu ou stressé, consacrer du temps en soirée à la détente est une habitude à inclure dans notre arsenal anti-insomnie. «Il existe une panoplie de méthodes de relaxation, rappelle Lynda Bélanger. Personnellement, j’aime beaucoup la relaxation progressive de Jacobson, mais plusieurs autres options peuvent se révéler efficaces: des exercices légers, du yoga, des exercices de respiration… L’important est de trouver quelque chose qui nous plaît.» Parmi les moyens éprouvés, la méditation pleine conscience serait plutôt probante contre l’insomnie selon des chercheurs de Harvard, tout comme la pratique du tai chi. La respiration 4-7-8 connaît aussi beaucoup d’adeptes: on inspire pendant quatre secondes, on retient notre souffle pendant sept secondes, puis on expire pendant huit secondes. À répéter chaque jour, deux fois par jour. À chacun donc sa méthode favorite!
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Des suppléments
Les mécanismes de notre cerveau reposent sur un fragile équilibre qu’une simple carence peut venir chambarder. Plusieurs nutriments comme le fer, le calcium, le magnésium et les vitamines du complexe B jouent un rôle dans cet équilibre précaire. Un déficit de l’un ou de l’autre pourrait donc perturber notre sommeil. Si on soupçonne un problème de ce genre, on en parle avec notre médecin: seule une analyse sanguine permettra d’en avoir le cœur net. Surtout, on ne prend pas de suppléments de son propre chef! Certains d’entre eux, comme le magnésium, risquent de provoquer des interactions indésirables si on prend des médicaments, et un surdosage, même s’il est plutôt rare, peut causer de sérieux troubles de santé.
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La thérapie cognitive-comportementale
«Dans 80 % des cas, la thérapie cognitive-comportementale améliorera grandement l’insomnie, voire la réglera complètement pour certains», affirme Lynda Bélanger. En quoi consiste ce type de thérapie? «On fait le tour de tous les facteurs maintenant un état d’insomnie: les habitudes de vie, les sources de stress, les croyances qu’entretient la personne au sujet du sommeil, etc. Par exemple, si quelqu’un croit qu’il doit se coucher beaucoup plus tôt le lendemain d’une nuit d’insomnie, cela peut contribuer à dérégler son rythme circadien et donc nuire à son sommeil.» Une fois le profil de l’insomniaque évalué, le thérapeute proposera des solutions pour rétablir un certain équilibre (meilleures habitudes de sommeil, façons de dissiper les sources de stress et d’anxiété, trucs très concrets, moyens de relaxer).
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Les siestes
Il peut arriver que les siestes nuisent au sommeil nocturne. «Quand on se sent fatigué, on fait parfois de longues siestes un peu n’importe quand dans la journée, puis on se force néanmoins à se coucher tôt, on se réveille alors trop tôt, et ainsi de suite», observe Lynda Bélanger. On n’évite pas pour autant les siestes si on souffre d’insomnie: elles peuvent au contraire atténuer les symptômes liés à de mauvaises nuits, à condition cependant de respecter certaines règles. «Les siestes ne doivent pas durer plus de 20 minutes, être faites avant 15 h et seulement si on en ressent le besoin», explique le Dr Desautels.
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Les plantes
Les effets apaisants de la camomille allemande, de la mélisse et de la valériane sont reconnus. Boire deux ou trois tasses de ces plantes en tisane, chaque jour, favorisera le sommeil chez les insomniaques légers. On peut aussi appliquer quelques gouttes d’huile essentielle de lavande sur nos avant-bras et notre plexus solaire, ou l’utiliser avec un diffuseur dans notre chambre. Attention, toutefois: mieux vaut commencer par déposer une seule goutte sur notre avant-bras et attendre de voir comment on y réagit.
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La luminothérapie
«Certaines personnes n’auront besoin que de s’exposer un peu plus à la lumière du soleil pour constater une amélioration de leur sommeil, note le Dr Desautels. Cela est d’autant plus vrai chez les personnes âgées, souvent sous-exposées à la lumière en raison des changements de leur mode de vie.» Une étude norvégienne a démontré qu’une exposition de deux heures à la lumière du jour améliorait la qualité du sommeil chez 80 % d’entre elles. La luminothérapie, qui consiste à s’exposer quotidiennement à une lumière artificielle blanche imitant celle du soleil, aide à lutter contre les troubles associés au dérèglement de l’horloge biologique interne, comme la dépression saisonnière, et contre l’insomnie. Par contre, on évite autant que possible la lumière bleue (télé, ordinateur, iPad, ampoules DEL, etc.) au moins une heure avant d’aller au lit. Elle diminue notamment la production de mélatonine, essentielle pour s’endormir.
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La médication
Les hypnotiques, ou somnifères, ne sont pas à proscrire absolument. «Ils sont parfois nécessaires, indique le Dr Desautels. L’important, pour éviter que notre corps ne s’habitue et qu’il n’ait rapidement besoin de doses plus importantes, est de les utiliser occasionnellement, et pas plus de deux ou trois fois par semaine.» En revanche, les médicaments pour dormir, les anxiolytiques en vente libre sont, de l’avis du neurologue, à bannir complètement. «Ils ne procurent pas un sommeil réparateur et entraînent souvent de la confusion et des troubles de vision.»
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