Ah! Quel ravissement d’avoir à faire seulement quelques pas pour dénicher au marché des petits fruits tout juste cueillis ou des carottes déterrées la veille! De tutoyer notre fermier du coin comme si on avait gardé les vaches ensemble! D’avoir la certitude que nos œufs viennent d’une poule québécoise, bichonnée et nourrie comme l’entend dame Nature! Serions-nous revenus en arrière de 100 ans? Eh bien non, il s’agit en fait d’un mouvement relativement nouveau, le locavorisme. L’idée a germé il y a quelques années dans la tête de Californiens qui voulaient s’assurer que leurs raisins et artichauts prennent le chemin le plus court avant d’atterrir dans leur assiette. Depuis, la tendance a voyagé et semé l’engouement un peu partout sur la planète.
Au Québec aussi, cette mode a grignoté du terrain. Le nombre de locavores pure laine (ceux qui achètent en priorité des aliments produits localement) grossit chaque année. «Le courant est de plus en plus fort», constate Isabelle Huot, notre nutritionniste au Bel Âge, aussi porte-parole de Mangez Québec (mangezquebec.com). De fait, notre province serait celle qui mange le plus local au pays! Et selon l’édition de 2016 du Baromètre de la consommation responsable, publié par l’Observatoire de la consommation responsable à l’UQAM, un peu plus d’un Québécois sur deux interrogés affirmait consacrer environ le tiers de son budget alimentaire aux aliments produits chez nous.
Du plaisir «fait au Québec»
Qu’est-ce qui fait courir un locavore? Outre la volonté de respecter la nature, d’ingurgiter zéro pesticide autant que possible et d’encourager l’économie locale, c’est le bonheur de manger frais, bien sûr! «Opter pour des fruits et légumes d’ici et, comme de raison, de saison, c’est croquer dans la fraîcheur et la saveur», témoigne Julie Aubé, nutritionniste gourmande (julieaube.com). Un pur délice qui, ajoute-t-elle, ne s’obtient pas aussi facilement quand notre produit vient de l’autre bout du monde: «Il peut alors avoir été cueilli avant maturité et subi un long transport ou un séjour en entreposage.» C’est donc aussi une manière de diminuer le kilométrage. Pour Pascal Hudon, boucher consciencieux qui encourage à manger moins de viande mais des produits de meilleure qualité (pascalleboucher.com), adopter une alimentation locale, c’est assurer la durabilité de celle-ci. «Cela nous permet de nous approprier notre territoire, de nous nourrir de ce que notre localité nous incite à manger, sans pour autant bannir l’importation, mais à petites doses.» Question de goût? Absolument, répond ce boucher qui ne s’approvisionne que chez des éleveurs québécois faisant l’élevage de bêtes adaptées à notre climat selon un mode de production éthique. «Un animal qui passe beaucoup de temps à l’extérieur, l’hiver comme l’été, développera plus de gras et des saveurs bien d’ici.» Tom Gore, vigneron bon vivant, qui chouchoute ses vignes sous le soleil de Sonoma (tomgorevineyards.com), abonde dans le même sens. «La manière de fabriquer le vin est importante, mais ce qui compte davantage pour nous est de cultiver nos raisins afin d’en tirer tout le goût et la qualité. Cela se reflète dans le produit final.»
Coucou, les fermiers!
Contrairement à ce qu’on croit parfois, s’approvisionner chez des agriculteurs locaux plutôt qu’à l’épicerie ne coûte pas forcément plus cher. «Il y a une distinction à faire entre les ingrédients de base (oignons, betteraves, pommes) vendus par le fermier à des prix souvent moins élevés que dans les supermarchés, et les produits fins (épices ou confits du terroir), plus coûteux», explique Julie Aubé, qui ajoute que l’autocueillette aussi est une occasion d’économiser. Les activités agrotouristiques renforcent par ailleurs les liens sociaux, en plus d’être bonnes pour la santé. «Elles favorisent le rapprochement entre le mangeur et le producteur et aident à briser l’isolement de part et d’autre.» Elles permettent également de nous reconnecter à nos racines et d’être conscients de ce qu’on met dans notre assiette. «En faisant provision d’aliments de base, tels fruits et légumes, farines, viandes, fromages et en mitonnant nos propres petits plats maison, on utilise moins d’aliments transformés, souvent plus riches en sucre, sel et gras», poursuit Julie Aubé.
Par où commencer?
On est plutôt vert en matière d’alimentation locale? Dans ce cas, on y va graduellement, conseille Isabelle Huot, pour ne pas se décourager. Voici quelques pistes pour y croquer avec plaisir:
• Participer à une expédition gourmande L’été, on fréquente un marché public près de chez nous pour y faire provision de produits de saison (laitues, fines herbes, asperges, fraises), ainsi que poissons, œufs, viandes, pains, farines, fromages, vins nature et autres (on en profite pour jaser avec un producteur pour lui soutirer conseils et recettes, ça lui fera plaisir!). On peut aussi s’organiser en fin de semaine une visite d’un marché régional avec nos petits-enfants. «En les laissant choisir eux-mêmes les fruits et les légumes, ils se familiariseront avec les variétés et vivront l’expérience du magasinage local», suggère Isabelle Huot. De retour à la maison, on peut faire nos réserves en cuisinant marinades, compotes et autres pour la saison froide. Une belle occasion de transmettre aux plus jeunes nos techniques culinaires, comme la mise en conserve, ajoute Julie Aubé.
• Découvrir les paniers futés Une initiative qui porte ses fruits depuis plus de vingt ans déjà: les paniers bio, livrés presque sous notre nez, en ville, en banlieue ou à la campagne. «Le réseau des fermiers de famille d’Équiterre regroupe une centaine d’entreprises québécoises proposant une grande diversité de fruits et légumes cultivés sur leurs terres», explique Isabelle Joncas, chargée de projets à l’organisation et coordonnatrice de ce réseau. Pour en profiter, il suffit de s’abonner auprès d’un fermier proche et de récupérer ensuite notre panier au point de chute le moins éloigné de chez nous. Dans certaines régions, la livraison à domicile est même possible.
• Ne pas bouder les «moches» Cette idée des grandes surfaces vaut son pesant d’or: consommer les fruits et légumes dits imparfaits. «Économiques et tout aussi nutritifs, malgré leur aspect moche, ils ont leur utilité en cuisine», confirme Mme Huot, qui suggère d’en faire des soupes, des sauces ou des purées. «On évite ainsi le gaspillage, puisque normalement, ces aliments auraient été jetés», précise Isabelle Joncas. Intéressant: l’entreprise Seconde Vie livre même des paniers de fruits et légumes moins parfaits (second-life.ca)!
• Être son propre fournisseur Difficile de faire plus local! Même en ville, on peut cultiver fines herbes, tomates, courgettes, haricots et framboises dans notre cour, sur notre balcon et même sur notre toit. Ou encore, profiter des jardins communautaires ou collectifs. Dans ce cas, on s’informe auprès de la municipalité pour connaître les places disponibles et les tarifs. Et on partage! «Ma femme et moi avons une microferme où poussent tomates, pois mange-tout, figues, asperges, pêches et olives, raconte Tom Gore. Les gens des environs sont invités à venir s’y servir à volonté!»
Sur la piste du local
Qu’on se trouve dans une boucherie, une fromagerie, une boulangerie, une poissonnerie, un restaurant ou une épicerie, ce qui compte, c’est de lire les étiquettes ou le menu pour connaître la provenance des produits. On peut aussi se renseigner auprès d’un commis ou d’un serveur. Pas facile de trouver de la viande locale au supermarché? «L’idéal est de s’approvisionner directement chez un fermier ou chez son boucher (s’il fait affaire avec des producteurs locaux), conseille Pascal Hudon. Sinon, on peut se tourner vers le bio vendu dans les comptoirs des grandes surfaces. Cela dit, l’offre n’est pas encore très élevée.» À nous, alors, de demander à ce qu’elle soit plus grande. «Après tout, c’est notre droit de consommateur!» conclut Julie Aubé.
À surveiller
Le logo «Aliments du Québec» (ou «Aliments préparés au Québec», qui signifie dans ce cas que certains des ingrédients proviennent d’ailleurs, mais qu’ils ont été mélangés ici) s’affiche sur les produits de chez nous et partout où ils sont mis en valeur. On recherche également les logos régionaux, comme Miam en Mauricie, Les Créateurs de saveurs Cantons-de-l’Est, Gaspésie Gourmande et Goûtez Lanaudière.
Nuance!
Manger local ne veut pas dire se priver totalement d’ananas ou de café, par exemple. «L’essentiel, c’est d’opter pour un produit d’ici autant que possible», explique la nutritionniste Julie Aubé. Par ailleurs, même si des études ont démontré que les fruits et légumes récoltés à maturité sont plus vitaminés, ce qui compte avant tout, c’est que «ces champions pour la santé, toutes variétés confondues, occupent la moitié de notre assiette, le midi et le soir», précise sa consœur Isabelle Huot.
Où trouver plus d’info?
– equiterre.org Répertoire du «manger local», astuces pour dénicher les produits locaux et moteur de recherche de paniers bio à proximité de chez soi (sous l’onglet « Solutions-Citoyens»).
– alimentsduquebec.com Répertoire de produits et de recettes.
– apmquebec.com Site de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, avec des recettes et le calendrier des disponibilités des fruits et légumes du Québec.
– ampq.ca Liste des marchés publics québécois.
– exploramer.qc.ca Liste des espèces marines québécoises valorisées par Fourchette bleue 2017.