Grandes entrevues Le Bel Âge: Marie- Claude Lavallée

Grandes entrevues Le Bel Âge: Marie- Claude Lavallée

Par Paul Toutant

Crédit photo: Laurene Labat

Mais au fait, pourquoi a-t-elle décidé de quitter la SRC en pleine gloire, alors que rien ne l’y obligeait? Les médias ont écrit qu’elle partait dans le but de sauver l’emploi d’un plus jeune. La vérité est plus nuancée. Dans son communiqué d’adieu, publié sur sa page Facebook, Marie-Claude Lavallée écrivait que sa décision avait mûri pendant plusieurs mois. Lorsque, au printemps dernier, Radio-Canada a annoncé la suppression de 657 postes supplémentaires, la journaliste qui avait «mal à sa boîte» depuis des mois, s’est sentie incapable de continuer. «Ces nouvelles compressions m’ont arraché le coeur, explique-t-elle. Comment continuer à faire de l’information sérieuse dans de telles conditions? Je travaillais aux bulletins du week-end en compagnie de jeunes recrues bourrées de talent, des jeunes qui arrivent à la trentaine après dix ans d’efforts pour la Société et qui, d’un coup, voient leur avenir bloqué et leur job en péril. Je ne pars pas pour sauver l’emploi d’un jeune. Je dis simplement tant mieux si mon départ peut aider à garder un jeune dans la salle des nouvelles. Je suis cependant très pessimiste et je crains que mon poste ne soit aboli.»

Marie-Claude Lavallée avait commencé à réfléchir lors de la première grande vague de compressions, mais d’autres événements plus personnels ont nourri sa réflexion. «À l’automne 2013, deux de mes plus grandes amies ont été emportées par le cancer. Ça m’a brassée très fort. L’une d’entre elles avait fréquenté le couvent des Ursulines de Québec avec moi, et je suis marraine de sa fille. Quant à l’autre, je la connaissais depuis plus de trente ans. On ne sait pas combien de temps on va vivre. Je me suis demandé ce que je voulais faire du reste de ma vie: continuer à courir comme une hystérique ou prendre du temps pour moi, vivre à un rythme plus lent, passer du temps avec ma mère, mes amis. Mon travail était très exigeant. Pour faire de l’information à RDI, il faut tout savoir sur tout, lire et analyser des tas de documents. Les gens ne se doutent pas de la somme de travail qu’il faut abattre afin d’être en mesure de parler en direct à des correspondants en Chine ou en Ukraine.» 

C’est donc le coeur brisé que Marie-Claude a annoncé à la direction et à ses petits chéris qu’elle quittait ses fonctions. Sa passion va désormais se manifester ailleurs. 

Combattre le stress

Pour l’avoir fréquentée pendant de nombreuses années à Radio-Canada, je peux témoigner de la grande passion de Marie-Claude Lavallée pour son métier et de l’immense respect qu’elle nourrit envers ses collègues. Pas étonnant que, le jour de son départ, ils furent nombreux à pleurer avec elle en ondes. Même le maire de Québec, Régis Labeaume, lui a offert un emploi dans la Vieille Capitale, sa ville natale. «Je vais lui téléphoner, affirme Marie-Claude en riant, on ne sait jamais!» 

Les téléromans qui se déroulent dans des salles de nouvelles ne donnent qu’une vision partielle de ce qui s’y passe vraiment. À mesure qu’approche l’heure du bulletin, la tension devient si intense qu’il faut des nerfs d’acier pour livrer son reportage de façon calme et posée. Ce que le public ignore, c’est la façon dont s’y prennent les journalistes pour évacuer ce stress. Souvenir personnel: imaginez qu’il reste quatre minutes avant que ne débute Montréal ce soir animé par Marie-Claude Lavallée. Soudain, l’ordinateur central du service de l’information tombe en panne: tous les textes et les reportages viennent de s’évanouir quelque part dans le cyberespace. Panique? Surtout pas. Un chant d’oiseau tonitruant s’élève: c’est Marie-Claude qui imite le serin pour faire rire tout le monde. Des mouettes lui répondent, suivies d’un concert d’ânes et de chèvres. Lorsque l’ordinateur revient à la vie, trente secondes avant la mise en ondes, tout le monde est détendu et arbore un grand sourire. Maman a sauvé le show! 

Le mot juste

Marie-Claude adore aussi les interminables conversations sur la recherche du mot juste dans un texte. «On peut passer des heures à discuter d’un mot, confirme-t-elle, afin que notre texte soit le plus correct possible.» Comme la nouvelle génération de journalistes sort d’un système scolaire appauvri, ceux-ci doivent redoubler leurs efforts. Avant les grandes coupes budgétaires, un spécialiste de la langue écoutait chaque bulletin de Radio-Canada, à la radio et à la télé, afin de déceler les anglicismes et les erreurs de grammaire. Il venait ensuite en discuter gentiment avec le journaliste fautif. Son poste a été aboli, et cela s’entend. C’est une tendance universelle: même les journalistes français de TV5 parlent de changements drastiques au lieu de draconiens, ou encore d’un groupe de cents enfants. 

«Les jeunes journalistes sont fantastiques, poursuit Marie-Claude. Dès que j’exprimais un doute sur l’orthographe d’un mot, ils se ruaient sur leurs dictionnaires Internet pour en discuter. Malgré tout, certaines erreurs ont la couenne dure: je ne suis plus capable d’entendre un ça l’a (ça l’a pris deux ans); je déplore aussi la disparition du dont, remplacé par le que (la chose que je te parle). Et que dire du fameux partager (je veux te partager mon idée) et de l’indélogeable c’est que (une grosse bataille à venir; c’est que depuis deux mois…). Et à propos des tics de langage, comme cela dit, ou écoutez en début de réponse, tout le monde a baissé les bras!» 

Pourtant, Marie-Claude Lavallée s’est rendue célèbre à Radio-Canada pour sa détermination à utiliser un français parlé et non écrit dans ses bulletins de nouvelles. Malgré des remontrances de la direction, elle a persisté à dire y a une chose au lieu de il y a une chose. «On ne fait pas de la télévision pour l’élite universitaire, mais pour le plus grand nombre possible de gens, croit-elle, et j’ai réussi à faire évoluer les perceptions dans ce domaine. Le fameux “français de Radio-Canada” des années 1950 n’a existé nulle part ailleurs dans le monde. Il fallait décoincer notre façon de parler.» Je lui fais remarquer qu’une récente étude a démontré que 20% de nos universitaires sont illettrés; alors, pour l’élite, on repassera…

Entrée des artistes

Pendant 14 ans, Marie-Claude Lavallée a rencontré des créateurs à son émission Entrée des artistes à RDI. L’émission est devenue une référence pour quiconque aspire à occuper une telle fonction. Établir une intimité complice avec un invité et faire passer des émotions en moins d’une demi-heure est un exploit à la télévision. Le secret de Marie-Claude? «Écouter! Écouter la personne, ne jamais la quitter du regard, danser sur ses réponses, établir un climat de parfaite authenticité. Peu de gens savent écouter de nos jours, alors quand un artiste a devant lui quelqu’un qui lui accorde toute son attention, il prend cela comme un cadeau de la vie.»

Avec certains invités, ce type de rencontre peut tenir de la magie pure. Marie-Claude se souvient de son entrevue avec Pierre Bourgault. «Il est arrivé en fumant, avec son air fendant, l’air de dire: «T’es qui, toé?» Trente secondes avant le début de l’entrevue, je me suis mis le visage dans les mains afin de répéter mentalement la présentation que j’allais faire de l’invité, sans texte. Quand j’ai relevé la tête, Bourgault avait éteint sa cigarette et me regardait comme un enfant, avec les yeux d’un ange. Ce fut l’une de mes plus belles entrevues. Nous avons parlé de la passion et du doute; il m’a avoué douter de tout, y compris du projet d’indépendance du Québec! Une autre rencontre magique fut celle de Françoise Faucher, une dame très digne qui est restée une petite fille dans l’âme; elle a parlé de sa mère avec les yeux pétillants. Clairette, à qui je demandais en fin d’émission ce que je pouvais lui souhaiter, a répondu: “Rencontrer des sourires comme le vôtre; il me fait grand bien.” Dès que la caméra a arrêté de tourner, je me suis mise à pleurer sans pouvoir m’arrêter. Un ange était passé dans ma vie.»

Un autre grand moment d’émotion: sa rencontre avec René Simard, quelques jours après l’opération qui avait rendu l’ouïe à son fils sourd. «Je lui ai demandé ce que son fils lui avait dit en premier. René a laissé passer de longues secondes de silence, puis a répondu: “Je t’aime, papa”, avant d’éclater en sanglots. J’ai insisté pour que ce long silence ne soit pas coupé au montage. Quelques jours plus tard, TVA a demandé à utiliser cet extrait dans un hommage que le réseau rendait à René pour ses 25 ans de carrière.»

D’autres rencontres furent moins heureuses. Elle se souvient du cauchemar que lui a fait vivre Gérard Depardieu. «Il niaisait et disait n’importe quoi. Il faut dire que les Français se livrent rarement à la télévision dans leur pays, de peur de subir des vacheries. Alain Souchon aussi fut assez pénible: il était saoul ou stone, et il a divagué pendant une demi-heure. Par contre, j’ai eu une entrevue bénie des dieux avec Patrick Bruel, la quintessence du gentleman! Il avait composé une chanson sur son grand-père et je lui ai fait parler de ce vieux monsieur. À la fin, il m’a demandé s’il pouvait revenir à l’émission.» Une autre série qui a profondément marqué Marie-Claude: RDI santé, où elle abordait les problèmes de santé les plus courants avec des spécialistes. «Cela vient de mon enfance, croit-elle. Mes parents étaient des travailleurs sociaux, et ils m’ont communiqué le désir d’être utile. Pour moi, servir la communauté est ce qu’il y a de plus noble.»

Servir encore

Et maintenant? Comment la journaliste-animatrice souhaite-t-elle servir la population à l’extérieur de Radio-Canada? Elle écarte la vie politique, trop contraignante pour elle. Par contre, elle ne détesterait pas faire comme sa consoeur Dominique Poirier, devenue déléguée du Québec à New York. «Je me vois bien ambassadrice, dit-elle le plus sérieusement du monde. À Rome si possible», lâche-t-elle avant d’éclater de rire.

Dans les mois qui viennent, Marie-Claude aimerait bien faire de la radio sur une base temporaire. Les offres ne manqueront certainement pas: déjà, l’été dernier, elle a remplacé Isabelle Maréchal à la barre du 98,5 pendant cinq semaines. Elle aimerait bien animer des colloques, des tables rondes sur la santé, faire des narrations de documentaires. «Je veux aussi me garder du temps pour vivre, ajoute-t-elle, voir plus mes amis et ma filleule maintenant orpheline. Je veux rencontrer des gens allumés, être dans la conscience de la vie plutôt que toujours courir comme une folle, sentir les roses, puis voyager, mais pas en touriste. En fait, j’aimerais m’installer un mois par an dans un pays étranger, y prendre un petit appartement et regarder vivre les gens de mon quartier.» 

Comme tout le monde, Marie-Claude voit dans son miroir les effets du temps qui passe, mais elle a un truc pour ne pas déprimer: «Je me dis que dans 10 ans, je vais regretter la face que j’ai», dit-elle dans un immense éclat de rire. Elle rit tellement fort qu’elle réveille sa petite chienne Gioia (Joie, en italien) qui dormait à nos pieds. Et voilà la brave petite bête qui trouve que l’entrevue a assez duré. Avant de partir, Marie- Claude lui demande de «faire ses finesses». La journaliste, qui a suivi des cours de chant, commence à chanter les notes de la gamme… suivie bientôt par Gioia qui enchaîne les do ré mi fa, mais avec une voix un peu moins juste que celle de sa maîtresse. Bel effort tout de même! 

Une dernière question: que peut-on souhaiter à Marie- Claude Lavallée? «Que le public se préoccupe un peu plus du sort de Radio-Canada, ce réseau avec lequel nous avons grandi et qui a façonné la culture du Québec. Le contexte est difficile pour tout le monde, ajoute-t-elle, et certains peinent à faire leur marché. Mais il faut sauver cette institution qui nous coûte cinq cents par jour. Quand des gens me disent que c’est trop cher, je leur donne trente sous et leur dis de me sacrer patience pendant une semaine!» Je jure que j’ai entendu rire Gioia!

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