C’est vrai que l’ex-animatrice et journaliste est toujours aussi active qu’avant, sauf qu’elle a quitté le monde de la performance à tout prix. Conférencière et bénévole pour plusieurs causes, elle est devenue écrivaine, le temps de publier J’ose déranger aux éditions Libre Expression. Dans ce livre, elle nous fait part de ses réflexions personnelles inspirées des thèmes de conférences qu’elle livre un peu partout. Entre les lignes, on découvre une femme forte, courageuse, mais à mille lieues du pitbull de l’information, comme l’ont surnommée des collègues mâles un peu jaloux de son talent.
Saudite adrénaline
En lisant J’ose déranger, on est frappé par le besoin constant d’adrénaline qu’éprouve encore Jocelyne Cazin. Même si elle se dit sereine dans la vie, elle semble toujours accro à cette substance excitante sécrétée lors des moments de grand stress. Tous les journalistes qui travaillent à la télévision vous le diront, rien n’égale la montée d’hormones qui accompagne une performance en direct devant la caméra et qui ressemble à s’y méprendre à un high de cocaïne. Jocelyne le confirme. Il lui est arrivé de perdre connaissance pendant une pause publicitaire un jour de grande fatigue. «On m’a mis une serviette d’eau froide sous la nuque, et j’ai un peu repris mes esprits. Quand le régisseur a crié: “En ondes dans 15 secondes”, l’adrénaline a pris le dessus, je me suis assise à mon bureau et j’ai poursuivi l’émission comme si de rien n’était. C’est miraculeux, l’adrénaline!»
Il ne faudrait pas confondre Jocelyne Cazin avec une speedée, mais elle admet que ses horaires sont toujours très chargés. «Quand je me lève le matin et que je regarde mon agenda, cela me rassure de voir que j’ai quelque chose à faire jusqu’au soir, dit-elle. Si j’ai une plage vide d’une heure, je m’empresse de la remplir avec une activité quelconque. La grande différence qu’il y a avec la Jocelyne que j’étais avant, c’est que je ne fais aujourd’hui que des activités qui augmentent mon bonheur.»
Parmi ces activités, le golf a pris une grande importance. La journaliste a quitté Montréal pour une charmante petite ville des Laurentides où elle s’adonne tout l’été à son sport préféré. L’hiver, elle s’installe en Floride, pas très loin d’un 18 trous.
Des sujets délicats
Pour gagner sa vie, Jocelyne Cazin donne des conférences pour différents organismes sur des thèmes imposés, ce qui lui a permis de creuser des sujets qu’elle n’aurait jamais cru aborder ouvertement. «Pendant des années, je n’ai pas voulu commenter publiquement la mort tragique de mon collègue et ami Gaëtan Girouard, retrouvé pendu en 1999, précise-t-elle. Un jour, on m’a demandé de donner une conférence sur le suicide. J’ai accepté à condition de traiter de la prévention et non de l’acte comme tel. Pour me préparer, j’ai dû fouiller au plus profond de moi-même et faire resurgir des émotions bien enfouies depuis le drame.»
Jocelyne a réalisé que cinq personnes se sont suicidées dans son entourage. Chaque fois, c’est une part d’elle-même qui est partie. Comment faire face à ces deuils? C’est ce qu’elle raconte dans son livre, sur un ton respectueux et jamais sensationnaliste. «Mes recherches m’ont obligée à regarder en face mes propres instincts suicidaires, confie-t-elle. Cela est devenu très personnel et délicat. J’ai fait vérifier ma conférence sur le deuil par mon psychologue, car je voulais que chaque mot, chaque phrase, soient significatifs, dépourvu d’entourloupettes.» Vous l’aurez compris, sans être une autobiographie, J’ose déranger révèle de nombreuses facettes inédites de la personnalité de l’auteure.
En écrivant ce livre, Jocelyne Cazin voulait également inciter les lecteurs à se montrer plus audacieux dans la vie. Elle trouve que trop de gens «suivent la parade» et n’ont pas assez de culot, surtout lorsqu’ils sont victimes d’une injustice. Elle aurait aimé que son ouvrage porte le sous-titre J’espère que vous oserez aussi un jour. Rien ne l’enrage plus que de voir des gens se laisser manger la laine sur le dos. «Dans un restaurant, si on commande un steak saignant et qu’il arrive bien cuit, on le retourne! Les cuisiniers sont des professionnels et ils ne vont pas cracher dans ton assiette avant de te la retourner.»
La journaliste croit aussi que les personnes témoins de mauvais traitements dans les hôpitaux ou les centres d’accueil devraient réagir, sans craindre d’éventuelles représailles. «Dans les établissements de santé, il y a un ombudsman dont le rôle est de sanctionner les abus du personnel, explique-t-elle. Si on ne l’avise pas d’un problème, comment voulez-vous qu’il le règle?» Jocelyne donne comme exemple cette femme qui a osé aller jusqu’en cour pour dire que sa mère n’avait vraiment pas été bien traitée dans un CHSLD de Saint-Lambert. «Pas besoin de toujours aller en procès, ajoute-t-elle, mais il faut se faire entendre lorsque surgit un gros problème.»
Jocelyne donne un autre exemple qui l’horripile: l’infantilisation des personnes âgées dans les institutions. «Le premier qui m’appelle ma p’tite madame va se faire revirer bien raide, dit-elle en riant. C’est probablement par gentillesse que certains préposés appellent ainsi les vieux qu’ils traitent, mais c’est insultant. C’est aussi débile que de dire à un enfant de manger son kiki avant de boire son lolo. En Afrique, une personne qui a les cheveux blancs a droit à un immense respect, c’est un signe de sagesse. Ici, c’est tasse-toi mon ti-monsieur!»
La responsabilisation
Jocelyne Cazin est consciente d’avoir perdu des amis au fil des ans, parce que certains ne la trouvaient pas assez gentille. «Pas toujours gentille, mais toujours vraie, précise-t-elle, et ça m’a valu quelques baffes. Cela dit, j’ai beaucoup d’amis fidèles, à qui je suis fidèle en retour. Bien sûr, en cours de route, il arrive qu’on s’éloigne de certaines personnes. Nos valeurs changent avec les années, notre style de vie aussi. Pourquoi maintenir des liens avec des gens qui ne parlent plus le même langage que soi?»
Les personnes qui rejettent toujours la faute de leurs échecs ou de leurs malheurs sur les autres ne trouvent pas grâce auprès d’elle. «C’est la faute du boss, du gouvernement, des Anglais, mais jamais d’eux-mêmes, et cela me fatigue au plus haut point, dit-elle. J’en ai tellement vu, des présumées victimes qui voulaient se servir de JE pour les mauvaises raisons: vengeance personnelle ou désir de nuire à un concurrent.»
Jocelyne déplore la déresponsabilisation collective qui semble avoir grugé toutes les assises de la société québécoise. Elle pense à l’escroc Vincent Lacroix qui pendant des années a pu se livrer à ses magouilles financières sous l’oeil indifférent des institutions chargées de le surveiller. «Ces institutions ont accepté de dédommager les 9 500 victimes de Lacroix, mais sans reconnaître une once de responsabilité», s’indigne-t-elle.
Un autre exemple? «Le viaduc du pont de la Concorde à Laval, dont l’effondrement a tué cinq personnes. Après des années d’enquête, personne n’a été jugé responsable de la catastrophe. Ça n’a pas de bon sens! On se rappelle aussi que la bactérie C. difficile a tué seize personnes dans un hôpital de Saint-Hyacinthe. Quelqu’un a-t-il fait de la prison pour ça? Non! Quelqu’un a-t-il perdu son emploi? No ! Qui est responsable? Personne! C’est honteux. Combien de fois par mois entend-on quelqu’un dire: “Ce n’est pas de ma faute”, ou: “Ce n’était pas de ma responsabilité ni de ma juridiction”?»
Jocelyne poursuit sur sa lancée. «Je nous accuse, nous les baby-boomers, d’avoir créé ce monde sans responsables. Nous avons fait des enfants rois à qui tout est permis. Quand un enseignant traite un mauvais élève de paresseux, les parents vont l’engueuler parce qu’il a fait de la peine au petit chéri. On a nivelé les bulletins scolaires par le bas: ce sont les plus méritants qui doivent s’ajuster au niveau des ignorants. C’est ça, le Québec qu’on veut?» Avec une telle fougue, on comprend certains partis politiques, dont la CAQ, d’avoir voulu enrôler Jocelyne Cazin, mais elle a toujours refusé ce genre d’appels. Pour l’instant…
Le bénévolat
Quand elle ne joue pas au golf et qu’elle ne donne pas de conférences, Jocelyne travaille comme bénévole. Porte-parole de la division québécoise de la Société canadienne de la sclérose en plaques, elle s’y est engagée à fond lorsqu’une amie de longue date fut touchée par cette maladie. Jocelyne s’occupe également d’amasser des fonds pour la Maison des soins palliatifs de la Rivière-du-Nord à Saint- Jérôme. «Ces maisons sont encore trop rares au Québec, et elles sont pourtant essentielles. Les personnes en fin de vie y sont traitées avec respect et dignité, ce que l’on souhaite à tous ses amis, explique-t-elle. Malheureusement, les chambres sont trop peu nombreuses et elles coûtent très cher, malgré les efforts d’une petite armée de bénévoles. La Maison Rivière-du-Nord a besoin de deux millions de dollars pour construire trois nouvelles chambres d’ici 2016, ce qui portera le total à douze chambres. Et, non, mon travail de bénévole ne me garantit pas que j’aurai une chambre si j’en ai besoin un jour», précise-t-elle en riant.
Jocelyne Cazin croit que le bénévolat est une solution rêvée pour les retraités qui souffrent de solitude. Des centaines d’organismes ont besoin d’aide, il suffit de trouver celui qui nous plaît le plus. Puis elle est persuadée qu’il est possible de se faire des amis au sein d’un groupe de bénévoles. «C’est primordial de se bâtir un réseau d’amis ou de connaissances quand on prend de l’âge, croit-elle. Lorsque ma mère était en résidence, sa chambre était toujours remplie de gens joyeux alors que sa voisine se morfondait dans sa solitude. Il faut travailler pour ne pas vieillir seul! Une personne qui aime cuisiner peut s’engager dans une popote roulante. Une autre qui a de bons yeux peut faire la lecture à des malvoyants. Personnellement, je vais servir la communauté tant que je le pourrai. Cette notion de service aux autres me vient de mes parents, et j’en suis fière.»
Parler de soins palliatifs nous entraîne sur le sujet de la mort dans la dignité. Jocelyne Cazin trouve que la loi québécoise qu’ont appuyée tous les partis politiques est une belle avancée sociale. «Nous sommes rendus bien plus loin que les autres provinces canadiennes sur cette question, dit-elle, même si des lobbys de droite et certains médecins s’y sont opposés. Bien sûr, on ne parle pas d’euthanasie comme en Belgique ou en Suisse. De toute façon, ce mot est devenu tellement chargé d’émotion que j’hésite à l’employer. Je préfère parler de dignité. Si un jour, je n’ai plus les capacités mentales pour vivre dignement, je n’hésiterai pas à suivre la même voie que Claude Jutra et Pauline Julien. Mais ce n’est pas demain la veille!»
Jocelyne croit que l’arrivée des boomers vers leurs 70 ans va révolutionner les soins offerts aux personnes âgées. «Déjà on réinvente le concept des résidences qui bientôt ne ressembleront plus à celles de nos vieux parents, prédit- elle. On va construire des endroits intergénérationnels comme cela se fait en Europe, où des étudiants vont partager des logements avec des aînés. Les nouvelles résidences seront ouvertes sur le monde et offriront des possibilités de voyager, de s’instruire, bref, de continuer à vivre.»
Pour y arriver, il faudra que les Québécois acceptent de prendre leurs responsabilités et s’engagent dans leur propre avenir: «Il faut que les gens se remettent à oser, comme lorsqu’ils avaient 20 ans, affirme-t-elle, et qu’ils définissent le monde dans lequel ils veulent vivre leurs vieux jours.» Si jamais Jocelyne Cazin se lance en politique, elle pourrait avoir comme slogan: «Tout le monde debout! Osons déranger!»
Je crois bien que je voterais pour elle!
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