Grandes entrevues Le Bel Âge: Isabelle Huot

Grandes entrevues Le Bel Âge: Isabelle Huot

Par Betty Achard

Crédit photo: Martin Laprise

Pourtant, au départ, rien ne prédestinait la belle Isabelle à l’avenir qui allait être le sien. À sa naissance, la famille est installée dans le quartier Mont-Bleu, à Hull. Mais, très vite, tout le monde déménage, destination Candiac, près de Montréal, la fonction de ministre adjoint du père les obligeant à bouger au rythme des changements de gouvernement. Isabelle a alors quatre ou cinq ans. Elle se décrit comme une fillette super tranquille, à l’opposé de son frère cadet qui, au cours des nombreuses chamailleries d’enfants, l’emportait souvent sur sa grande soeur. 

«Dans l’ensemble, j’ai eu une enfance plutôt heureuse, avec des parents attentifs», se rappelle-t-elle. Par contre, lorsqu’il est question de ses études primaires, Isabelle fait un étrange constat: il ne lui reste aucun souvenir de cette période! «Pourtant, je n’ai pas eu de traumatisme ou de difficultés particulières, et je ne me l’explique pas, mais je ne me souviens vraiment de rien! Ni des noms de mes enseignants, ni de ceux de mes compagnes de classe…» Mais lorsqu’on aborde le secondaire, là, les choses s’éclairent. Isabelle réussissait fort bien, et elle s’engageait dans toutes sortes d’activités où elle jouait un rôle de rassembleuse. Elle conserve une excellente impression de ces années-là et elle se rappelle avec tendresse son professeur de pastorale, Claude Labrosse: «C’est d’ailleurs à lui que j’ai fait appel, il y a quatre ans, pour animer la cérémonie lors du décès de ma mère.» Un prof ouvert et compréhensif qui avait su trouver les mots qu’il fallait lorsque l’adolescente de 16 ans a dû faire face à sa première histoire d’amour. Au grand questionnement «j’embarque ou j’embarque pas?», Claude, en fin psychologue, lui avait répondu: «Il faut prendre le risque d’aimer.» Vingt-huit ans plus tard, la jeune femme en est encore touchée. 

C’est au secondaire que s’est également éveillée cette conscience de l’autre qui ne l’a jamais quittée. «J’ai toujours eu tendance à aider. Si quelqu’un semblait rejeté, j’allais obligatoirement vers cette personne.» C’est ainsi que l’étudiante a commencé à faire du bénévolat auprès de handicapés, de même qu’à faciliter l’insertion de jeunes immigrants dont l’un est devenu un grand ami. Il y avait du mère Teresa en elle; la vocation de missionnaire l’a d’ailleurs longtemps habitée. Ce qui ne l’a toutefois pas empêchée d’aller à son bal de finissants vêtue de la belle robe bleue de princesse achetée rue Saint-Hubert! Mais à la fin de son secondaire V, ce ne fut pas là sa préoccupation majeure. S’est alors imposé le choix du cégep. 

Au collège et à l’université

Au Collège Brébeuf que lui suggéraient fortement ses parents, Isabelle a préféré le Collège de Maisonneuve, «moins snob» et surtout doté d’un magnifique jardin intérieur qui a fait ses délices. Mais voilà que, à 18 ans, elle a la bougeotte. Joignant l’utile à l’agréable, déjà expérimentée dans le domaine du bénévolat, elle va pratiquer cette activité en France, dans un cadre étudiant, auprès de personnes atteintes de sclérose en plaques. Par la suite, elle rejoint à Rome son correspondant Fabio, qui l’emmènera dans sa famille, en Sicile. «Puis j’ai continué de voyager seule pendant environ trois mois.» 

Sac au dos, dormant dans des auberges de jeunesse, l’intrépide Isabelle se met à sillonner l’Europe, quitte à se retrouver plongée, parfois, dans des situations pour le moins «délicates», mais sans jamais perdre son sang-froid. Innocemment, notre voyageuse trouvait «gentilles» toutes les propositions qui lui semblaient honnêtes, jusqu’à ce qu’elle se «ramasse» un jour avec carrément un couteau sous la gorge… «Ce séjour m’a permis d’acquérir beaucoup d’autonomie et le sens de la débrouillardise qui me servent encore aujourd’hui.» Pendant ce temps, au Québec, une maman se faisait du sang d’encre! Insouciance de la jeunesse ou trait de caractère? Un peu des deux, sans doute. 

À son retour au pays, Isabelle tente d’être admise à l’Université d’Ottawa (ailleurs qu’au Québec, c’est possible après seulement une année de cégep). Son premier regard se porte sur l’ergothérapie, un programme bilingue. Mais ce ne sont évidemment pas des séjours en France ou en Italie qui ont contribué à l’amélioration de son anglais! Qu’à cela ne tienne, elle va suivre des cours, se représenter et, bingo! être acceptée. Seulement voilà:  Au bout de six mois, je me suis rendu compte qu’en réalité je n’aimais pas cette discipline, et j’ai bifurqué vers la diététique. Entre-temps, une copine étudiante en droit et moi, nous avions fondé, à l’université, Transit Voyages, un bureau destiné à faciliter les séjours d’étudiants à l’étranger en leur trouvant des stages.»

Tout va si bien que nos deux acolytes engagent même du personnel. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, Isabelle décide qu’elle aussi pourrait bien faire de tels stages… 

À Genève

À l’issue de l’envoi de quelque 250 lettres manuscrites (Internet n’existait pas!), elle obtient des réponses positives venant de France, d’Angleterre, d’Italie et de Suisse. Elle séjourne finalement dans la charmante ville de Lausanne, puis à Genève où elle poursuit ses études en nutrition jusqu’à la maîtrise. Et quand on s’appelle Isabelle Huot, on se crée vite des contacts: la voici acceptée comme stagiaire au sein d’une équipe de recherche à l’Hôpital cantonal de Genève, au bord du lac Léman. Il y a pire comme destination. C’est là qu’elle va collaborer à un projet de recherche en santé et épidémiologie: pour celle qui caresse depuis longtemps l’idée d’aller travailler en Afrique, ce genre d’études constitue un préalable obligatoire. 

À Genève, plaque tournante à partir de laquelle on peut accéder à plusieurs capitales, Isabelle se sent comme un poisson dans l’eau, songeant même à y faire sa vie. «J’adore les Européens, leur culture, leur nourriture…» De temps à autre, la jeune femme revient quand même chez elle pour revoir les siens, et c’est lors d’un de ces séjours qu’on lui propose d’apparaître dans des spots publicitaires. Plutôt agréable comme proposition et, qui plus est, assez payant. Elle met donc un terme à l’aventure genevoise et regagne le Québec. Mais elle a toujours en tête l’idée de travailler un jour pour l’Organisation mondiale de la santé, ce qui exige des études poussées. 
En 1996, elle intègre l’Université de Montréal où, tout en travaillant dans les hôpitaux, elle préparera un doctorat en nutrition qu’elle obtiendra en 2003. Son penchant marqué pour cette discipline a fait son chemin! «Ce n’était pas une vocation comme telle, au début. Honnêtement, je m’y suis intéressée pour payer mes études et mes voyages.» 

Médias et vie de famille

On le voit, elle est tout d’une pièce, Isabelle. Pourtant, dans sa propre famille, la bonne alimentation n’était pas la préoccupation majeure: «Mon père mangeait volontiers des gâteaux Vachon en buvant de la liqueur! J’étais un tout petit peu plus attentive et je me présentais comme une “semi-végétarienne”…» Puis, au retour d’un Salon international de l’alimentation tenu à Paris, Isabelle Huot propose un article sur le sujet à feu Capital Santé. Marché conclu. Elle a désormais le pied à l’étrier: le monde des médias vient de s’ouvrir à celle qui deviendra la vulgarisatrice du savoir nutritionnel la plus populaire au Québec. Magazines, radios, télévisions (elle chronique à Salut, bonjour! depuis plus de 10 ans, une prouesse)…, on se l’arrache. Et c’est sans compter son activité dans les réseaux sociaux. 

Du côté de la vie affective et sociale, justement, il semble qu’il y ait eu des hauts, mais aussi des bas, des très bas, même, consécutifs à ce satané défaut qui consiste à faire confiance à des gens qui ne le méritent pas, surtout à ceux qui cachent leur jeu. Isabelle n’a pas eu d’enfants; non par choix, mais pour des raisons d’ordre médical. L’adoption l’a bien sûr tentée, mais mieux vaut mener à deux un tel projet de vie, et ça n’a pas fonctionné au moment où cela aurait dû. Du temps est passé. Maintenant, Isabelle vit en couple (depuis plus de quatre ans) avec Jean-Guillaume, un homme que sa profession d’avocat tient très occupé, tout comme elle. Les voyages se font à deux, dans des conditions plus confortables et sécuritaires qu’avant. Quant au monde des affaires, qui ne l’avait jamais totalement quittée, il l’a happée à nouveau et la tient fermement. 

La femme d’affaires

Au milieu de tout cela, Isabelle garde la tête froide: «Je sais bien que dans ce milieu, et tout particulièrement à la télévision, les femmes sont sur un siège éjectable, surtout en vieillissant.» En habile femme d’affaires, elle ne sera pas prise au dépourvu («le jour où je ne serai plus la saveur du mois!» dit-elle), puisque, avec une indéniable compétence, elle a créé les cliniques Kilo Solution, qui offrent des programmes de perte de poids. Dans cinq établissements, Isabelle emploie psychologues, kinésiologues, nutritionnistes, et elle s’occupe elle-même des cas de troubles alimentaires graves, telles l’anorexie et la boulimie. Elle ne compte pas ses heures et s’est en plus permis de publier une dizaine d’ouvrages traitant de saine alimentation (elle écrit tous les jours entre 6 h 30 et 9 h 30). 

À cet horaire chargé s’est ajouté son «Prêt-à-manger minceur», des repas équilibrés qu’elle élabore soigneusement et qui seront bientôt distribués dans les magasins IGA et Metro. Mieux encore, ces mets seront livrés gratuitement dans tout le Québec aux personnes inscrites aux programmes de perte de poids. Et comment oublier la trentaine de conférences qu’elle donne annuellement? Elle est époustouflante, cette Isabelle, car en plus, elle fait du bénévolat, entre autres pour le Club des petits déjeuners, Moisson Montréal et le Chaînon, dont elle est l’une des marraines. 

Comme il n’y a pas de justice en ce bas monde, la très svelte Isabelle m’avoue candidement qu’elle adore le vin et les fromages et qu’il lui arrive même d’en manger plus que son conjoint! Alors que nous, «pauvres petites créatures», prenons des résolutions à n’en plus finir et ne perdons pas de poids. Isabelle en convient en riant: «C’est vrai qu’il faut faire parfois beaucoup d’efforts pour obtenir bien peu de résultats. Mais il faut l’accepter, et surtout ne pas se culpabiliser. Nous sommes souvent trop dures envers nous-mêmes.» 

À ce propos, elle organise des week-ends genre boot camp (d’entraînement) pour apprendre à mieux s’occuper de soi. Et ça ne consiste pas uniquement à manger bio («Ça revient pas mal cher!»), à éviter le gluten (entre vous et moi, Isabelle n’y croit qu’à moitié, tant est faible le pourcentage de la population réellement intolérante), ou à parsemer sa nourriture de graines de lin, de chia ou de baies de goji en ayant précautionneusement pris son bio k! «Tout cela est bien, mais il faut surtout s’entretenir, bouger, et prêter attention aux ingrédients dans ce que l’on mange. Évidemment, pas de fast-food, mais de la na-tu-ra-li-té.» 

Pour la nutritionniste, une femme qui a des formes, c’est simplement une femme. Oublions les mannequins brindilles, et «acceptons le fait que, passé la cinquantaine, il ne faut quand même pas s’attendre à des miracles». Le message a le mérite d’être clair. Nombre de ces bons conseils, Isabelle les a reçus de sa mère. Cette chère maman partie trop vite – elle n’avait que 63 ans et «avait l’air d’en avoir 50» – était la plus grande fan de sa fille. «Même en séance de chimiothérapie, ma mère écoutait mes émissions.» Tout à coup l’émotion est à fleur de peau et les larmes sont difficiles à endiguer. Le poids de cette perte se fait encore lourdement sentir, d’autant que les liens familiaux se sont distendus depuis ce moment. Mais il est évident que cette maman continuerait d’être fière de sa fille qui, à 44 ans, est déjà parvenue à de grands accomplissements et n’a pas dit son dernier mot! 

Infos: www.kilosolution.com

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