L’an dernier, Jean-François Cimon a accompli tout un exploit: marcher 3500 km, de Springer Mountain, en Géorgie, jusqu’au sommet du mont Katahdin, au Maine. Cette expédition de 121 jours lui a permis de constater que tout est possible quand on met les efforts.
Jean-François avait 19 ou 20 ans quand il a découvert l’existence de l’Appalachian Trail (AT) et ça l’a tout de suite allumé. «J’aime la forêt québécoise et la végétation de ce sentier ressemble énormément à la nôtre. C’est en partie pour ça que je m’y suis intéressé.»
Ce chauffeur d’autobus de Québec a fait de nombreuses randonnées dans sa vie, dont une de trois semaines en Argentine et un périple d’un mois en canot. Le premier appel pour l’AT, il l’a eu en 2008. Hélas, il a dû abandonner son rêve au bout d’une semaine en raison d’une bursite à la hanche, provoquée par le surentraînement et des journées de marche de 42 km. «Cette fois-ci, je me suis entraîné plus intelligemment et, surtout, j’ai programmé des plus petites journées, soit de 10 à 15 km par jour, la première semaine pour habituer mon corps. Je me suis aussi préparé mentalement avant de partir.»
Pas de pluie, pas de fleurs
C’est après avoir lu Appalachian Trials, un guide de préparation mentale écrit par Zach Davis, que Jean-François a eu l’idée de consulter un psychologue dont la clientèle est composée de plusieurs marathoniens.
«Un coureur de fond et un randonneur ont besoin d’endurance à long terme. Avec le psy, j’ai travaillé sur mes peurs ainsi que sur ma capacité à garder le focus, notamment pendant les jours de pluie et durant la traversée de la Virginie, qui est longue et où le terrain est relativement plat. C’est une étape où le moral des randonneurs tend à chuter; on l’appelle Virginia blues. Je me répétais le mantra « pas de pluie, pas de fleurs » pour garder le cap. Ça me parlait, car j’ai déjà été horticulteur.»
Le monde est petit
Durant son périple, Jean-François s’est accordé une journée de congé et a dormi 115 nuits sous sa tente. Le reste du temps, il a dormi dans des dortoirs, des motels et seulement deux fois dans de superbes hôtels.
Comme la majorité des gens, il a commencé son parcours en solo, puis il a sympathisé avec un Américain rencontré la première semaine. «La deuxième semaine, j’ai fait la connaissance d’un gars de Québec qui habite à 10 minutes de chez moi!»
Ayant chacun leur vitesse de croisière – la rapidité de Jean-François lui a d’ailleurs valu le surnom de Fox (renard) parmi les randonneurs ! –, les compagnons marchaient seuls durant la journée et se retrouvaient le soir venu. «Une fois rendu au camp, on soupait ensemble, on se racontait notre journée et on organisait l’horaire du lendemain.»
Il estime qu’avoir des personnes à qui raconter ses journées a fait une énorme différence sur le plan psychologique. «Il y a des gens qui abandonnent parce que la solitude pèse trop. Il m’est arrivé de marcher des heures sans croiser personne, alors, c’était bien de m’asseoir avec des gens en fin de journée pour parler.»
Jean-François donnait également de ses nouvelles par l’entremise de sa page Facebook NOBO 2022 Jeff, créée spécialement pour raconter en mots et en images son expédition au quotidien.
Des légumes, svp!
Avant de partir, une des plus grandes craintes de Jean-François était de manquer de nourriture. «Il y en a qui ont peur des ours, d’autres redoutent de se perdre même si le sentier est balisé, moi, j’avais peur de ressentir la faim. Je suis végétarien et aux États-Unis, surtout au sud de la Pennsylvanie, les gens ne mangent pas très bien. C’était difficile de trouver des fruits et légumes frais parce que les villages qui longent le sentier n’ont parfois qu’une petite épicerie. Je devais me contenter de ce qu’il y avait sur les rayons.»
Après deux semaines d’expédition, s’il a compris qu’il ne manquerait de rien, Jean-François n’a pas toujours mangé à sa faim. Il a perdu 15 kilos alors qu’en moyenne, les gens en perdent deux fois moins. «On estime que le besoin en calories pendant ce genre de randonnée est de 8000 à 9000 par jour et j’en mangeais peut-être 6000 ou 7000. Je choisissais toujours mes aliments en fonction de leur poids et de leurs calories. La nourriture était mon obsession. J’avais tout le temps faim. Je rêvais de manger des légumes. Ils sont lourds, alors je n’en traînais pas beaucoup. Chaque fois que j’allais en ville, par contre, je commençais le repas avec une salade.» Jean-François a aussi englouti plusieurs pizzas XL à lui seul en cours de route!
Transformation physique
En plus de perdre du poids, Jean-François a vu sa masse musculaire fondre. «Mon corps a pris une forme similaire à celle des marathoniens. J’avais très peu d’eau dans le corps, alors ma peau est devenue fine. Et je ne sais pas si c’était les hormones ou le fait de pousser la machine et de brûler beaucoup de graisse, mais je me suis mis à sentir mauvais des pieds. Heureusement, ça s’est replacé depuis!»
Sa randonnée de longue haleine n’a pas amené Jean-François à prendre de grandes décisions. «D’habitude, les gens qui gravitent des sentiers comme celui de l’AT sont en mode expédition et non en quête de sens. Moi, j’y allais vraiment pour relever un défi sportif et être en forêt le plus longtemps possible.»
Reprendre sa vie
«Le retour à la normale a été merveilleux. J’étais tellement content de changer de sous-vêtements tous les jours ! Mais après six semaines, j’ai commencé à trouver ma vie plate, à m’ennuyer de ne pas marcher. Je n’idéalisais pas l’expédition, mais je me disais que c’était donc plus simple de n’avoir qu’à me lever, manger et marcher. Le quotidien m’a vite rattrapé, mais tout est rentré dans l’ordre après un certain temps.»
Sa perception de lui-même après la réalisation de son exploit a néanmoins changé: «J’ai plus confiance en moi, maintenant. Je sais que si je veux accomplir quelque chose, c’est possible si je mets les efforts. Je suis fier d’avoir réalisé mon projet, d’avoir marché de la Géorgie jusqu’au Maine, car seulement 25% des personnes qui entreprennent ce périple le réussissent.»
La prochaine randonnée sur sa bucket list? «J’aimerais parcourir la Pacific Crest Trail, mais je ne suis qu’au stade du peut-être…»
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