Aider un proche sans sombrer

Aider un proche sans sombrer

Par Jacqueline Simoneau

Crédit photo: iStock

Comment prendre soin de l’autre tout en prenant soin de soi? Ayant travaillé 37 ans dans le milieu communautaire, Yves Bélanger, conférencier, bachelier en psycho-éducation et auteur, aborde cet aspect dans son ouvrage Grandir ou souffrir à force d’aider: 7 stratégies pour demeurer longtemps un proche aidant efficace. On en a profité pour discuter avec lui des grands enjeux de la proche aidance.

Avec le vieillissement de la population, de plus en plus de personnes sont appelées à jouer le rôle d’aidant pour un conjoint, un parent ou un ami malade ou en perte d’autonomie. Une enquête réalisée par l’Appui pour les proches aidants met en évidence ce phénomène. Selon les données recueillies, près de 2,4 millions de Québécois agissaient comme proches aidants en 2022, comparativement à 1,5 million en 2018 (Statistique Canada).

Autres chiffres intéressants: la majorité des aidants ont entre 45 et 64 ans, et plus de la moitié sont des femmes. Aussi, 46% des sondés épaulent un proche plus de cinq heures par semaine et un aidant sur quatre accompagne plus d’une personne. Plus étonnant encore: seulement un peu plus du quart des répondants se considère spontanément comme proche aidant. Or, en ne se reconnaissant pas comme tel, ils pourraient avoir plus de réticences à réclamer du soutien et des services, mais aussi à mettre de l’avant leurs propres besoins.

Quels sont les principaux défis des proches aidants?

Prendre soin d’un proche est gratifiant, mais la tâche comporte aussi son lot de difficultés. L’erreur fréquente est de croire que ce sera facile. Les proches aidants ont souvent des attentes très élevées, parfois même irréalistes. Ils oublient que l’état de la personne aidée risque de se détériorer éventuellement. La tâche deviendra alors plus exigeante et lourde à porter. Les devoirs et les responsabilités vont s’accumuler – coordination des rendez-vous, accompagnement aux consultations et aux traitements, soins à prodiguer à domicile, gestion des tâches quotidiennes, démarches administratives, etc. – et il sera difficile de maintenir le même niveau de rendement. À cela s’ajoutent tout l’aspect émotionnel, les impacts financiers s’il faut s’absenter du travail et les obligations personnelles (familiales, professionnelles, sociales) propres à l’aidant.

À moyen ou à long terme, il y aura inévitablement des répercussions: stress, anxiété, insatisfaction, frustration, irritabilité, impatience, culpabilité, et plus encore. Pris dans sa routine, l’aidant va finir par s’épuiser physiquement et psychologiquement sans même s’en rendre compte. Par conséquent, l’un des plus grands défis des proches aidants, c’est d’établir un équilibre entre les besoins de l’autre et leurs propres besoins. Aider et soutenir un proche ne doit pas se faire au détriment de sa propre santé. Pourtant, il n’est pas rare de voir des aidants devenir malades à leur tour parce qu’ils sont allés au-delà de leurs capacités.

Comment devenir un proche aidant efficace?

Les gens sont rarement préparés à prendre soin d’un proche malade ou en perte d’autonomie. Ils peuvent vite se sentir démunis et inaptes. C’est pourquoi il est important de bien se renseigner sur la maladie, son évolution probable et ses conséquences. Plus le proche aidant connaît la situation et ce que vit la personne atteinte, plus il sera en mesure de planifier l’aide et le support requis, mais aussi de cibler ses attentes, ses priorités et ses limites en tenant compte de ses capacités. Le proche aidant a également intérêt à s’informer le plus tôt possible sur les ressources disponibles pour lui et son proche, même s’il n’en ressent pas encore la nécessité. De cette façon, il pourra mettre rapidement sur pied un réseau sur lequel s’appuyer lorsque la tâche s’alourdira. Il peut faire appel au CLSC de sa municipalité, aux professionnels de la santé, aux associations et organismes d’aide pour les aidants, aux groupes d’entraide, aux services de répit, aux services locaux (popote roulante, livraison de médicaments ou d’épicerie à domicile, transport bénévole). Sans oublier la famille, les amis et les voisins. Il faut cesser de penser qu’on peut tout faire seul. Prendre soin d’un proche, c’est un travail d’équipe. Demander de l’aide n’est pas un constat d’échec ni une honte, au contraire. C’est la meilleure chose qu’un aidant puisse faire pour éviter l’épuisement et demeurer longtemps un proche aidant efficace.   

Comment garder son équilibre?  

Le proche aidant a tendance à se préoccuper des besoins de l’autre et à mettre les siens de côté, ce qui peut conduire au surmenage. Or, il est possible de s’impliquer sans pour autant s’oublier. Pour retrouver le plaisir d’aider en fonction de son rythme et de son énergie et de garder le contrôle, l’aidant doit d’abord identifier ses besoins et ses priorités, et y répondre. Cela implique forcément de baisser ses exigences envers soi-même, d’accepter ses limites, de demander de l’aide et de déléguer.

Il doit également apprendre à «dire vrai», ce qui signifie dire oui lorsqu’on en a vraiment l’intention et dire non lorsqu’on ressent le besoin de se ménager ou de se protéger. L’aidant ne doit pas non plus perdre de vue ses activités et ses amis.

L’isolement est l’un des pièges qui le guettent. S’entourer de gens positifs permet de refaire le plein d’énergie, de maintenir un équilibre et d’être un meilleur aidant.

Enfin, je conseille de s’arrêter durant l’aidance pour mettre son corps et son esprit au repos afin de faire le vide et de recharger ses batteries. On s’assoit dans un lieu calme et… on ne fait rien, sauf se concentrer sur sa respiration. On débute par 15 minutes, puis on ajoute 5 minutes à chaque semaine jusqu’à atteindre 30 minutes par jour. Cela exige de l’entraînement, mais ça peut faire toute la différence pour les deux.

Un aidant qui prend soin de lui est-il plus efficace ?

Absolument. Il est important de prendre soin de soi pour pouvoir accompagner l’autre efficacement. Il faut savoir que les émotions sont la première chose qui se transmet d’une personne à l’autre. Si un aidant apparaît fatigué, anxieux ou maussade, la personne aidée le ressentira et se sentira responsable, coupable et affligée. L’inverse est aussi vrai. S’il est bien dans sa peau et sa tête, l’autre sera plus accueillant et réceptif à recevoir de l’aide.

Un trop plein d’émotions est-il nuisible?

Dans la relation aidant/aidé, l’aspect émotif prend énormément de place, ce qui peut être très difficile pour un proche aidant, surtout s’il a appris à taire ses émotions. Au lieu d’apprendre à identifier, à nommer et à exprimer ses émotions, il les refoule encore et encore, parfois pendant des années. C’est ce que j’appelle la «poubelle à émotions». À force de la remplir, elle finit par déborder. Et c’est à ce moment que survient la perte de contrôle. Refouler ses émotions risque aussi d’avoir des impacts sur la santé physique et mentale. Le proche aidant doit donc apprendre à «alléger sa poubelle» pour ne pas en arriver là.

Une façon de faire, c’est de prendre régulièrement conscience de son état et de ses émotions. Parmi les questions qu’il devrait se poser: «Comment je me sens en ce moment : fatigué, impatient, frustré ou heureux de prendre soin de mon proche?», «Pourquoi la situation m’affecte autant?». Il faut parfois prendre un pas de recul pour se donner le temps d’observer ce qui se passe en soi. Cela permet de voir la situation sous un autre jour et de recadrer ses priorités et ses pensées. Il est crucial de ne pas tout garder pour soi. Il faut apprendre à partager ses émotions avec un ami, un membre de la famille ou un professionnel de la santé pour les ventiler.  

Comment soutenir un proche aidant?

Avant tout, s’abstenir de le juger. Ensuite, être présent et à l’écoute. De nombreux proches aidants abandonnent leur réseau social pour se consacrer entièrement à leur rôle. D’où l’importance d’être présent, de le visiter et de l’écouter. On peut lui demander comment il se sent, ce dont il a besoin et lui offrir une aide active, tout en respectant son rythme.

 

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