Enfants préférés, comment gérer?

Enfants préférés, comment gérer?

Par Linda Priestley

Crédit photo: iStock Photo

Henriette, maman sexagénaire de trois garçons, a son préféré. Un secret terrible qu’elle a mis du temps à s’avouer, puis gardé sous silence parce qu’elle avait honte. «Je me suis sentie très connectée avec mon plus vieux dès sa naissance. La venue de mes deux autres fils, que j’aime de tout mon cœur, n’a aucunement altéré ce lien entre nous. C’est lorsque mes enfants sont devenus adultes que j’ai compris à quel point cette complicité avait marqué, à des degrés différents, chacun d’entre eux.» 

Rien de plus normal

D’emblée, qu’on se rassure, avoir un préféré dans sa smala n’est pas un crime et ne fait pas de nous un parent indigne. «Chaque famille a son histoire, et ce genre de situation est fréquente et tout à fait normale», affirme Doris Langlois, travailleuse sociale, psychothérapeute familiale et coauteure de La psychogénéalogie -- Transformer son héritage psychologique (Les Éditions de l’Homme). D’ailleurs, les termes «chouchou» et «préféré» irritent les professionnels. «Je m’oppose à ce qu’on dise qu’on aime nos enfants de manière identique ou qu’on les considère de la même façon, explique la thérapeute Nicole Prieur, auteure de Petits règlements de comptes en famille (Albin Michel). Chaque enfant représente pour chacun de ses parents quelque chose de différent, par exemple parce que le garçon arrive à un moment particulier dans l’histoire du papa ou parce qu’il s’agit d’une fille avec laquelle la maman s’identifie.» 

Atomes crochus ou ça accroche?

Dès le berceau, dans certains cas avant même que notre enfant vienne au monde, plusieurs facteurs influencent le lien qui nous unit à lui, la plupart du temps sans qu’on s’en rende compte. S’il nous ressemble physiquement, par exemple, on se sent peut-être plus proche, mais s’il a hérité des traits d’un parent avec qui on ne s’entend pas, ça risque de jeter un froid sur nos relations. On a des points communs… ou pas du tout, ce qui peut nous rapprocher… ou nous éloigner. «Un parent dira à un enfant: “On se comprend sans avoir à se parler” et à l’autre: “On a beau se parler, on n’arrive pas à se comprendre”, confirme Mme Langlois. Dans un cas comme dans l’autre, l’amour du parent est là, mais c’est différent.» Son rang dans la fratrie ainsi que les circonstances entourant sa naissance (Est-il un cadet comme moi? Était-il désiré? Est-il né en temps de crise économique alors que des soucis financiers nous accablaient ou quand un de nos parents était mourant? Est-il issu d’un viol?) joueront également un rôle déterminant dans la configuration des rapports qui s’établissent. 

Tout un contrat!

Nos propres besoins peuvent aussi changer la donne. Si, par exemple, on a été en panne d’amour quand on était petit, on risque à notre tour de ne pas être en mesure de combler les besoins affectifs de notre enfant. Un conflit non résolu avec un parent ou une profonde déception, comme l’abandon d’un projet qui nous tenait à cœur, nous incitera peut-être à transmettre à notre enfant notre désir de régler ce conflit ou de concrétiser ce rêve. «Dans le cas d’une réalisation de soi ou d’un besoin qui n’a pas été comblé, il arrive qu’on fasse porter à notre enfant le mandat d’accomplir ce qu’on n’a pu réaliser nous-même, confie Doris Langlois. Et ce, sans qu’on le fasse par exprès. C’est ce que j’appelle les “contrats inconscients”.»

Comme Henriette, qui a fini par comprendre que l’attachement qu’elle éprouvait envers son fils découlait principalement du fait que ce dernier occupait la même position qu’elle dans sa famille d’origine. «Être l’aînée a été pour moi une lourde charge. Mes parents ont témoigné peu d’affection à mon égard. Ils m’ont obligée à m’occuper constamment des plus petits et à interrompre mes études pour travailler et subvenir aux besoins de la famille. À la naissance de mon premier garçon, c’est comme si j’avais fait le vœu inconscient de lui épargner tout cela. Mais en même temps, j’avais face à lui des attentes parfois irréalistes.» 

Depuis qu’ils sont petits, on fait des efforts surhumains pour équilibrer l’attention qu’on prodigue à nos enfants. Le hic est que leurs super-antennes leur permettent de détecter toute inégalité. «Le “chouchou” n’est pas celui qu’on aime le plus, mais bien celui dans lequel on se reconnaît le plus, qu’on soutient davantage et qu’on valorise, révèle Nicole Prieur. C’est dans cette attention qu’on leur porte que les enfants peuvent sentir des différences, pas tellement dans la dose d’affection.» Les «non-préférés» se sentent parfois exclus et ont l’impression de ne pas avoir leur place dans la famille: «S’ils vivent un sentiment de rejet, ils pourraient multiplier les bons ou mauvais coups pour nous rappeler qu’ils existent bel et bien», explique Doris Langlois. 

Vidéos