Grandes entrevues Le Bel Âge: Louise Portal

Grandes entrevues Le Bel Âge: Louise Portal

Par Paul Toutant

Crédit photo: Photo: Laurence Labat; maquillage-coiffure: Manon Parisien; stylisme: Martine Leroy

Adieu Valence

Dans son édition de novembre 2011, Bel Âge magazine publie une courte nouvelle signée Louise Portal. Adieu Valence raconte les adieux d’une femme à sa jumelle décédée, une soeur qui avait rompu tout contact avec elle depuis des années. Louise Portal avait écrit ce texte prémonitoire un an avant le décès de sa jumelle Pauline. Les deux femmes fictives, qu’elle avait fait naître un 14 février, se nommaient Valentine et Valence. «J’aimais la définition du mot valence, explique Louise Portal. (NDLR: c’est le nombre d’atomes d’un corps qui peuvent se combiner à un atome d’un autre corps). Un mot parfait pour définir une jumelle.» 

Quatre ans plus tard, la courte nouvelle est devenue un roman, Pauline et moi, publié aux Éditions Druide. Hasard ou signe du destin, je rencontre Louise Portal le jour même de son anniversaire, et de celui de Pauline, pour le compte du magazine dans lequel toute cette histoire a débuté. À fleur d’émotion, entre les rires et les larmes, Louise me raconte qu’elle a écrit ce livre dans l’espoir de se réconcilier définitivement avec sa jumelle disparue et, enfin, d’accéder à une fusion des coeurs avec la femme la plus importante de sa vie.

Mon enfant, ma soeur...

Dans la plupart des romans de Louise Portal, on trouve des jumeaux. Ce n’est pas un hasard. «Avoir été jumelle, me dit Louise en pleurant, a été la chose la plus marquante de ma vie. Ç’a été mon école d’humanité. Je n’ai rien décidé, le livre s’est imposé à moi. J’ai commencé à l’écrire quand je suis arrivée au chevet de Pauline à l’Hôpital Notre-Dame. J’ai laissé la fiction de côté pour m’ancrer dans la réalité, sans me poser de questions. Les souvenirs remontaient, j’ai tout laissé sortir. Je refaisais le chemin de ma vie, une sorte de bilan. Dès les premières pages, j’ai su que c’est à Pauline que je parlais.»

Pauline, née à Chicoutimi le 12 mai 1950, quelques minutes après sa soeur Louise. Est-ce à ce moment-là que bébé Pauline, restée seule dans le ventre de sa mère, s’est sentie abandonnée pour la première fois? Ou quand les parents quittent le Québec pour un an afin d’aller étudier en Europe, laissant leurs filles de trois ans aux bons soins de leur grand-mère et de leur tante? Ou quand Louise quitte le patelin natal pour aller faire du théâtre dans la grande ville? 

Sur les photos d’enfance, Louise est la plus grande, la plus dégourdie. «J’ai toujours endossé le rôle de la grande soeur, raconte-t-elle. Je prenais soin de Pauline qui était très délicate, plutôt secrète et timide, alors que j’étais forte et exubérante.» La mode de l’époque veut que les jumelles soient vêtues à l’identique. Louise se rebiffe et choisit de s’habiller de façon différente. «J’ai eu très tôt envie de me démarquer de cette similitude, poursuit-elle. Déjà que je m’appelais Louise, le prénom le plus courant dans les années 1950. Même Michel Louvain en a fait une chanson! Nous étions huit à nous appeler Louise dans ma classe, de sorte que les institutrices nous appelaient par notre nom de famille. J’ai aussi pris le nom de plume de mon peintre de père, Portal, pour me distinguer du lot. Mais plus je voulais m’émanciper, plus Pauline cherchait la parfaite osmose avec moi. Elle a été forcément déçue, mais ce n’est que plus tard qu’elle m’a fait part de toutes ses frustrations. C’était était une âme fragile, qui connaissait de grandes anxiétés. La vie est difficile dans ces conditions. Je l’admire d’avoir enduré ses malheurs jusqu’à 60 ans.»

Pauline Lapointe deviendra elle aussi comédienne. Surnommée la fille du soleil, elle était la quintessence même de la fille de party. Certains de ses rôles furent inoubliables – qu’on pense seulement au film La Florida. Joyeuse en apparence, elle traînait des zones d’ombre insondables. «Pauline était un clown triste, poursuit Louise. Elle a vécu beaucoup de solitude. C’était une grande amoureuse, comme moi, mais j’étais plus raisonnable qu’elle.»

Pauline et moi

Le roman Pauline et moi aborde avec pudeur les relations tumultueuses entre les deux femmes. Elles s’aimaient profondément, mais les fractures étaient trop nombreuses. Louise Portal tait certains détails de sa relation avec ses proches, par respect pour eux. Par exemple, quelqu’un lui a apporté un jour le journal intime que Pauline a rédigé à 14 ans, un journal où elle exprimait ses désirs, ses joies et ses peines. Nous n’en connaîtrons pas le contenu. Nous ne saurons pas non plus ce qu’était le fameux grand secret que portait en lui leur père, un homme original qui n’hésitera pas un jour à surprendre la maman en faisant apparaître des nuvites: Louise, son papa et ses trois soeurs, flambant nus, courant dans la cuisine pendant que maman pousse des cris d’horreur! Louise en rit encore aux larmes.

L’écriture de ce livre est jalonnée de signes du destin que l’auteure décrit en s’étonnant elle-même. Je ne gâcherai pas votre plaisir en les dévoilant tous, mais Louise assure qu’ils sont authentiques. «J’étais dans la vingtaine lorsque j’ai réalisé que j’étais réceptive aux messages de la vie, des signes qui passent souvent inaperçus mais qui aident à vivre quand on sait les voir», dit-elle.

Dans le dernier chapitre de son roman, Louise s’adresse au lecteur. Elle explique doucement qu’un deuil peut faire du bien si on en profite pour faire du ménage à l’intérieur de soi. «En un sens, Pauline a écrit ce livre avec moi, dit l’auteure. Si nous pouvons inciter les gens à vivre la réconciliation des coeurs, même après la disparition de l’autre, je serais très heureuse. Pauline ne m’a pas parlé sur son lit de mort, mais elle m’a parlé à travers ceux qui avaient recueilli ses confidences. J’ai alors su qu’elle m’aimait beaucoup. Il faut s’ouvrir au message de l’autre: si on reste dans la blessure, la peine, le ressentiment, la colère, on n’y arrivera pas. Mais si on s’ouvre à l’amour, tout devient possible. Si notre chemin de vie peut aider quelques personnes, je serais très contente.»

La vie comme dans un film

La vie est pleine d’énigmes, de signes et de mystères. Pour une auteure comme Louise Portal, tous ces éléments s’imbriquent naturellement, formant des scénarios où le réel se marie à l’imaginaire. «Le roman s’approche beaucoup du cinéma, confirme-t-elle. D’une certaine façon, j’écris le scénario, je le réalise, je joue tous les rôles, j’habille les personnages, je fabrique les décors et les accessoires, et tout ça ne coûte rien, sauf mon temps. Écrire n’est pas un travail pour moi, car je ne suis pas écrivaine à plein temps. Je voyage, je tourne au cinéma et à la télé, je pars présider un festival de cinéma à l’étranger, je reviens pour un autre tournage... Ma vie n’est pas monotone.»

En 2015, le public peut la voir dans trois longs métrages ainsi qu’un court. Au printemps dernier, c’était Les Loups de Sophie Deraspe, tourné aux Îles-de-la-Madeleine, «probablement le plus beau rôle de ma carrière, dit-elle, un tournage humainement exceptionnel». On la verra aussi dans Le garagiste, un premier film de Renée Beaulieu, dans lequel Louise incarne une propriétaire de bergerie, tournage précédé d’un autre de ces hasards incroyables qu’elle raconte dans Pauline et moi. En même temps que son roman, en septembre, sort sur les écrans Paul à Québec, de François Bouvier, inspiré d’une célèbre bande dessinée. « Mon premier rôle avec des cheveux gris, dit-elle avec enthousiasme, un rôle de grand-maman un peu à l’ancienne, qui fait de la bouffe avec son tablier autour du cou. Le bonheur total!» Enfin, on verra plus tard Les mots justes, un film tourné à Paris avec le réalisateur israélien Shemi Zarhin. Qui a dit que le cinéma d’auteur était moribond?

«Notre cinématographie a évolué en beauté, estime la comédienne, et elle est devenue très diversifiée. Des cinéastes comme Jean-Marc Vallée et Denis Villeneuve sont aussi connus à l’étranger que Céline Dion et le Cirque du Soleil, ce n’est pas rien! J’aimerais beaucoup tourner un jour avec Xavier Dolan, un petit surdoué que j’ai rencontré lorsqu’il avait huit ans: il faisait des publicités pour Jean Coutu et j’ai fait les voix pour cette entreprise pendant 15 ans. Un autre de mes rêves au cinéma serait d’incarner la grande chanteuse country Renée Martel et de raconter sa vie. Je serais bonne dans ce rôle-là.» Espérons que le destin lise ces lignes!

Messagère d’amour

Louise Portal sait que pour les comédiens, et surtout pour les comédiennes avançant en âge, les offres se font rares. Des actrices qui étaient «la saveur du mois» il n’y a pas très longtemps sont disparues des ondes et des écrans. «J’ai eu des premiers rôles pendant 20 ans, dit-elle, et aujourd’hui j’accepte des emplois plus discrets, mais je suis à l’aise avec ça.» Elle donne en exemple son rôle de Marie-Louise, la serveuse du bar où les policiers du poste 19-2 allaient décompresser: «Je n’avais pas beaucoup de répliques, explique-t-elle, mais je passais toute la journée de tournage derrière mon bar. Le matin, j’allais saluer les figurants et leur souhaitais la bienvenue dans mon bar. Je suivais l’action, même quand je n’apparaissais pas dans l’image. Le réalisateur Podz l’a remarqué et m’a donné des répliques qui n’étaient pas prévues au scénario. Ce rôle m’a appris à rester humble. En vieillissant dans ce métier, on est plus dans l’être que dans le faire. On est l’acteur de la personne qu’on est, et ce que je deviens dans la vie, je l’offre à mes personnages.» Serez-vous surpris d’apprendre que le tournage de la série 19-2 fut marqué par un signe? Le bar où Louise jouait la serveuse avait appartenu à un de ses anciens copains, et elle s’y sentait vraiment chez elle!

La comédienne constate que les séries offertes à la télé québécoise sont lourdes: cancer, suicides, enlèvements d’enfants, prisonnières désespérées, inceste... On s’étonne après cela que la population soit morose. «J’aimerais jouer dans une série chargée d’espérance, qui nous ferait voir une humanité heureuse, rayonnant dans la lumière, dit-elle avec enthousiasme. Il y a plein de belles histoires à raconter, des femmes de mon âge qui tendent la main à la vie, qui sont importantes pour ceux qui les entourent. On pourrait montrer ça!»

L'importance d’être positif

Louise croit beaucoup à l’importance d’être positif. Elle estime qu’un environnement négatif peut avoir de lourdes conséquences sur notre existence. «Il y avait quatre ans que Pauline était en profonde dépression quand elle a eu un cancer du sein, confie-t-elle. Je pense que le cancer peut accompagner un grand chagrin ou une série de déceptions majeures. Ma soeur souffrait de mon absence; elle envisageait de mener une vie plus saine, mais n’a jamais pu vaincre ses vieux démons. Elle rêvait d’aller vivre au bord de la mer, un autre rêve déçu. Autant elle rayonnait, autant elle souffrait. Pourrais-je connaître le même sort qu’elle? Je ne crois pas que le cancer du sein me menace, mais je me fais examiner régulièrement. François Truffaut lui-même, après avoir lu mon premier roman Jeanne Janvier, m’a écrit que j’étais douée pour le bonheur. Je le crois. Longtemps je me suis donné comme mission de sauver les gens, de les aider. Maintenant j’exerce une peu plus de vigilance dans mes bonnes actions», dit-elle avec un sourire.

Avant de mettre un terme à l’entrevue, Louise Portal me confie le secret de sa sérénité, une phrase qui l’accompagne depuis des années: «Reste blotti dans mon coeur, ne te tourmente plus, ce qui a à être sera et c’est peut-être quand tu le sais le moins que cela se passe le plus!»

«Quand je me répète cette phrase, dit-elle, je deviens relax, je laisse la vie me guider où je dois aller, dans tous les domaines de mon existence.»

Comme la plume au vent...

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