Ensemble: de mères en filles

Ensemble: de mères en filles

Par Jessica Dostie

Crédit photo: Laurence Labat

Avant d’être sexologue, auteure et conférencière, Jocelyne Robert est avant tout mère, grand-mère et même arrière-grand-mère! Sa descendance toute féminine l’a rejointe pour nous le temps d’un portrait.

Nous nous étions donné rendez-vous au studio de notre photographe, histoire de limiter les déplacements entre opérations de déneigement et imminence d’une autre tempête. En bonne arrière-grand-mère, Jocelyne Robert couve du regard la dernière-née de la famille, Louane, tout juste un an, qui s’agite dans les bras de sa grand-mère, l’avocate criminaliste Véronique Robert, pendant que sa maman, Alice Brunel-Robert, fait chauffer le biberon. C’est dans cette ambiance toute familiale que l’aînée des quatre se lance dans les confidences, ponctuées des gazouillis de la petite héritière.

Vous êtes grand-mère et même arrière-grand-mère depuis peu. Quel genre de mamie êtes-vous?

Complètement cinglée! Les gens disent souvent que devenir grand-parent rend gaga, et c’est vrai que j’étais devenue un peu gaga avec Alice. Cette fois-ci, il y a de l’étonnement en plus, comme je n’avais jamais envisagé d’être arrière-grand-mère un jour. Grand-mère, oui, mais pas arrière-grand-mère! Moi-même, je n’ai pas connu mes grands-parents ou à peine, et me voilà à la tête de quatre poupées russes! Ça m’émerveille… Je regarde Louane et je suis éblouie! Une petite brunette alors qu’on est toutes des blondes aux yeux bleus dans la famille! Je trouve ça tellement beau qu’elle casse le moule. Je suis donc gaga, mais aussi raisonnable, dans le sens où je ne suis pas seule au monde à être folle d’elle et c’est correct. Alice et Louane voient davantage Véro, ma fille, et c’est normal. Je ne suis pas jalouse!

Vous réunissez-vous régulièrement toutes les quatre?

On essaie surtout de provoquer des occasions, sinon on n’y arriverait pas comme on est toutes très, très occupées. Il n’y a pas si longtemps, Véronique et moi intervenions à l’émission de radio de Pénélope McQuade. Après, on en a profité pour rendre visite à Alice et Louane puisqu’on était déjà ensemble. Cela dit, on va peut-être se voir plus souvent parce qu’Alice, son mari et Louane s’apprêtent à déménager tout près de chez moi.

Quels liens particuliers vous unissent?

C’est trop comique comme l’histoire se répète inconsciemment de génération en génération: on a eu nos enfants à peu près au même âge toutes les trois – vers 23 ans – avant de retourner aux études avec un jeune enfant. Je suis allée à l’université quand ma fille avait 4 ou 5 ans, puis Véronique a fait son droit alors qu’Alice avait 3 ou 4 ans, et Alice est à son tour étudiante à temps plein avec un bébé. Vraiment le même pattern! C’est ce qui fait que je suis déjà arrière-grand-mère à 71 ans. Mes amies me disent parfois qu’elles aimeraient connaître ça un jour, mais leurs petits-enfants sont encore trop jeunes. Il faut croire qu’on est des femmes chez qui les ovules viennent fous autour de 23 ans. (Rires) Blague à part, il n’y a pas d’âge idéal pour avoir un enfant.

Qu’avez-vous appris au contact de votre fille et votre petite-fille?

On dit qu’on élève nos enfants, mais je pense vraiment que nos enfants nous élèvent, c’est-à-dire qu’ils nous font grandir émotionnellement. Ils changent notre regard sur le monde et notre capacité d’ouverture en faisant de nous de meilleurs êtres humains. L’image est belle. J’aime donner aussi l’exemple du parent qui porte son enfant sur ses épaules, l’élevant psychologiquement et physiquement, car il lui permet de voir plus loin. J’étais la dernière d’une famille de sept, ce qui fait que mes grands frères me portaient toujours sur leurs épaules. Je suis convaincue que ça a contribué à ma personnalité, à la confiance que j’ai toujours eue.

De votre côté, qu’espérez-vous avoir transmis à votre tribu?

Pour Louane, c’est un peu tôt, bien sûr, mais en ce qui concerne ma fille et ma petite-fille, je pense leur avoir transmis la fierté, les valeurs féministes, le sens de la dignité et le droit d’être des femmes de pouvoir qui s’affirment. Je crois aussi leur avoir communiqué le goût du plaisir et l’envie de mordre dans la vie.

De quel genre de monde rêvez-vous pour votre arrière-petite-fille?

Je suis inquiète. Quand je regardais Louane alors qu’elle venait de naître, un côté de moi se demandait dans quelle sorte de monde elle allait vivre. Je n’ai jamais ressenti ça pour Alice, et encore moins pour Véronique. Pourtant, il se passait des choses difficiles dans ce temps-là aussi. C’est peut-être à cause de l’âge. En vieillissant, on devient plus vulnérable aux problèmes dans le monde; ça nous affecte différemment. Alors, je me questionne… Dans quel monde grandira-t-elle? C’est un monde très techno où les enfants ne jouent presque plus dehors, où ils se parlent plus souvent sur l’internet qu’en vrai, un monde que ma mère n’a pas connu et que j’aurai à peine connu moi-même… Tout ça a un impact sur la façon dont l’enfant grandit et forme sa personnalité. Sans compter la pornographie et les stéréotypes qui y sont véhiculés. Même quand Alice était petite, c’était différent. Les proches ont encore plus d’importance qu’avant pour rivaliser avec ce genre de messages et pour transmettre autre chose que des valeurs consuméristes du style «le corps, le sexe, le cash». En même temps, j’ai confiance. Il faut que les enfants soient bien entourés, et aucun doute, Louane le sera. L’amour, la reconnaissance de l’être devant soi, le fait de se sentir accueilli et de ressentir qu’on est quelqu’un d’important aux yeux de son père et de sa mère, c’est fondamental.

Vous avez déjà affirmé que vous manifesteriez jusqu’à la fin de vos jours.

Certains pensent que les vieux doivent se tasser, mais ce n’est pas évident de se tasser quand on est vivant! Moi, je me sens vivante, je suis engagée dans la cause des femmes, et en politique aussi. Je suis très indépendantiste. Et quand je regarde le mouvement #metoo, je suis interpellée parce que ça touche toute la notion d’éducation sexuelle, tant des hommes que des femmes.

Justement, votre dernier livre, Te laisse pas faire!, aborde la question des agressions sexuelles, un sujet tout à fait dans l’air du temps.

Il faut vraiment qu’il se passe quelque chose parce qu’on met des plasters tout le temps. On observerait un gros changement si on donnait une véritable éducation sexuelle aux garçons et aux filles, où on leur expliquerait ce qu’est le consentement, où on leur donnerait des outils. C’est ce que j’essaie d’ailleurs de faire dans mes livres. Je crois beaucoup à l’éducation et à la prévention. Il faut expliquer aux enfants ce qu’est une agression sexuelle, leur dire que ça existe. Cette prévention se passe d’ailleurs à tous les niveaux: les enfants, les parents, les éducateurs et les grands-parents, bref, toutes les personnes dans l’entourage d’un enfant sont concernées et doivent être sensibilisées.

Comment peut-on aborder la question sans tabou?

On montre simplement la réalité: une agression sexuelle, c’est un grand (pas nécessairement un adulte, parce que ça pourrait être un ado) qui veut avoir des gestes sexuels avec toi. On dit que ce n’est pas correct, que ce n’est pas sain ni normal et qu’il faut en parler. L’idée, c’est d’aborder la question en trouvant le juste équilibre, sans dramatiser ni banaliser les situations.

Tout ce qui touche la sexualité des 50 ans et plus demeure tout aussi tabou.

Chose certaine: l’âge n’a pas d’impact sur le désir. Seule l’admiration peut éterniser le désir et l’amour. C’est très difficile de nourrir le désir s’il n’y a pas d’admiration, si on n’est pas ébloui par son partenaire jusqu’à un certain point. La sexualité, le désir et l’érotisme ne meurent pas, mais ils se transforment et s’expriment différemment. Au fil des ans, on est moins dans la performance et dans la mécanique, mais la boîte à fantasmes est de plus en plus pleine. C’est toujours là si on veut le vivre. Et si on n’a plus envie, c’est correct aussi. Il y a des solitudes glorieuses, mais ça ne veut pas dire qu’on n’est plus un être sexuel. Il ne faut pas faire une croix là-dessus parce qu’on se pense trop vieux. Ce n’est pas facile parce que les modèles ambiants et les stéréotypes sont forts, mais il existe d’autres modèles! Jocelyne Robert vient de publier Te laisse pas faire! Les agressions et les abus sexuels expliqués aux enfants (Les Éditions de l’Homme).

 

Poupées russes

L’avocate criminaliste Véronique Robert est la fille unique de Jocelyne Robert. De son propre aveu, elles ont toujours eu une relation harmonieuse, «sauf probablement à l’adolescence, comme tout le monde» (rires). Leur duo est par la suite devenu un trio à la naissance d’Alice, sa propre fille unique. «Et maintenant, avec Louane, c’est un quatuor!» Jocelyne a toujours été très présente pour sa fille et sa petite-fille et ce, à toutes les étapes de leur vie. «C’était, et c’est encore, une grand-mère très présente et très aidante. Elle était toujours là pour m’aider avec Alice quand je suis retournée à l’université, puis quand j’ai commencé ma carrière comme avocate et que je devais m’absenter. Elles sont très proches.» À son tour grand-mère, Véronique a pris le relais avec bonheur. Si elle était «rendue là dans [sa] vie», elle n’hésiterait d’ailleurs pas à prendre sa retraite pour s’occuper de la petite Louane.

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