Danny St Pierre: un goût de liberté

Danny St Pierre: un goût de liberté

Par Manon Chevalier

Crédit photo: Danny St Pierre

Chef cuisinier, chef d’entreprise, personnalité médiatique, fervent commentateur de son milieu et ambassadeur du 50e anniversaire de l’ITHQ… rien n’arrête Danny St Pierre, ce trublion toujours prêt à se concocter une nouvelle vie!

L’enfant gourmand qu’il était ne se doutait pas qu’il allait devenir un des chefs les plus en vue du Québec. Et pourtant, celui qui a pris goût à la cuisine «en mélangeant des ingrédients et en goûtant les plats de [ses] grand-mères» avoue qu’il faisait preuve «d’un raffinement qui détonait» dans son milieu modeste. «Mon père était mécanicien, ma mère gardienne d’enfants, et chez nous, on ne connaissait pas ça, les restaurants à nappes blanches!» raconte Danny St Pierre, en s’attablant au restaurant de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). C’est à 19 ans seulement, sa première paye en poche, qu’il mettra les pieds dans un établissement gastronomique. «C’était aux Menus Plaisirs, à Sainte-Rose, à Laval, où j’ai fini par travailler. J’y avais invité une fille pour l’impressionner!» 

Danny a vu le métier de chef se métamorphoser au fil du temps. «Dans les années 1990, le métier de chef n’avait rien de glamour! Tu n’impressionnais pas la fille d’un juge avec ton statut de cuisinier!» Vrai, tout a changé depuis que la notoriété apportée à certains par ce métier rivalise avec celle des rock stars. «Oui, mais le vedettariat l’a dénaturé aussi. Au-delà du spectacle, la cuisine reste quelque chose de fondamental: bien cuisiner, manger correctement et gérer l’économie familiale sans trop acheter ni gaspiller. À la base, le métier de cuisinier est discret, silencieux. Il exige une grande humilité, car on doit prendre le temps de faire les choses, et correctement. Aujourd’hui, si on sait communiquer et qu’on possède certaines habiletés aux fourneaux, on peut accéder à la reconnaissance.» La sienne, il l’a obtenue «à force de colère et d’acharnement». 

Il a beau avoir inventé la poutine inversée et s’être amusé à repenser ses classiques, Danny St Pierre se définit comme «un chef rationnel, à l’approche old school». Et sa créativité vivifiante, alors? «La cuisine élitiste se trouve aux antipodes de ma démarche. Je suis incapable de refiler au client les coûts qu’exige une grosse brigade. J’ai toujours prôné une carte accessible, parce que je trouve ça le fun de voir et de revoir toutes sortes de clients dans mon resto. J’aime être la place où les gens se retrouvent chaque semaine, et pas celle où ils vont seulement une fois par année!» À l’évidence, le chef n’a pas la langue dans sa toque. Et c’est très bien comme ça.

Un parcours pimenté

Celui qui s’est fait connaître du grand public en 2013 à l’animation de la quotidienne Qu’est-ce qu’on mange pour souper? (ICI Radio-Canada Télé) a connu une trajectoire effervescente. Riche de sa formation supérieure en cuisine de l’ITHQ, Danny St Pierre a aiguisé ses talents de chef dans les cuisines du Toqué! avant de prendre les commandes du restaurant Derrière les fagots, à Laval, puis de se lancer en affaires en cofondant Auguste, un bistrot de Sherbrooke, avec son ex-conjointe Anik Beaudoin, en 2008. Il quitte l’établissement en 2015 pour ouvrir un an plus tard Petite Maison, un restaurant dans le quartier branché du Mile End, qu’il convertit en 2018 en salle événementielle. 

Cinq ans plus tôt, il avait aussi publié Dans la cuisine de Danny St Pierre (Éditions La Presse), un ouvrage culinaire truffé de recettes originales et de conseils pratiques, maintes fois primé. Infatigable, il multiplie les apparitions médiatiques: depuis 2011, il enchaîne les émissions de télé, dont Ma Caravane au Canada (TV5) un road trip culinaire qui l’a entraîné à travers le pays en compagnie de Vincent Graton; Meilleur que le chef! (Canal Vie), une compétition culinaire coanimée avec Martin Juneau; sans oublier ses nombreuses participations tant à la télé qu’à la radio, notamment à C’est pas trop tôt et à On n’est pas sorti de l’auberge (ICI Radio-Canada Première). Il est présentement chef collaborateur à la quotidienne La Belle Gang (Canal Vie), où il propose, fidèle à son style, des recettes gourmandes et simples à réaliser. 

Cette année, à l’instar de 19 personnalités influentes du milieu de l’hôtellerie et de la restauration, Danny a endossé le rôle d’ambassadeur des célébrations entourant le 50e anniversaire de l’ITHQ, son alma mater. Que lui reste-t-il de ses années de formation? «Des amis, beaucoup d’amis! Et un immense sentiment de fierté. L’ITHQ, c’est l’école d’élite pour qui veut se lancer dans la restauration. C’est un lieu très bien branché sur la réalité de notre métier. Et un levier politique important pour faire passer des idées.»

Pour cet observateur critique qui n’hésite pas à se prononcer sur des enjeux brûlants, ce dernier volet est vital. Prenez le débat entourant la gastronomie et la culture: «La nourriture est un accès très rapide à la culture d’un peuple. Beaucoup de gens choisissent leurs restaurants avant de réserver leur hôtel quand ils voyagent. Le plat signature d’une ville, c’est un concentré de ce qu’il s’y passe. Ça vaut pour des capitales comme New York, Paris, Londres, Reykjavik, mais aussi Montréal! Il faut valoriser notre culture culinaire!» 

Or, déplore-t-il ouvertement, il y a loin de la coupe aux lèvres. «Comme restaurateur, j’aurai beaucoup de mal à vendre un bon ragoût de boulettes à des clients. Pourtant, ils seront tout excités de manger une lasagne à 33 $ l’assiette dans un resto italien! On se targue de défendre notre identité, mais on n’arrive pas à le faire à table! Un resto, c’est un bien culturel, pas seulement un lieu de consommation. Au niveau où des chefs comme moi la pratiquent, la cuisine est tout aussi importante qu’un film ou une exposition dans un musée. Elle exige du talent, de la rigueur, de l’inventivité et la capacité de se renouveler.» Il va plus loin: «Les restaurateurs sont laissés à eux-mêmes, alors qu’ils ont un besoin criant d’accompagnement et de valorisation.» Pas de doute, le bouillonnant cuisinier a la verve d’un activiste!

«Je veux servir à faire bouger les choses, mais je n’ai pas les moyens de le faire à temps plein! rigole-t-il à peine. Les bistrots comme j’en ai opéré peinent de plus en plus à être rentables, malgré les 800 heures de travail par semaine qu’on y met.» D’autant qu’il faut pouvoir se garder une vie privée à côté… Danny a deux filles: Margot, 10 ans, issue de son union précédente avec Anik Beaudoin, et Jeanne, qu’il a eue il y a trois ans avec Marie-Hélène Wauthier, la rédactrice en chef de Deux hommes en or (Télé-Québec) et sœur de l’animateur Jean-Philippe Wauthier. «Depuis leur naissance, j’ai été deux sortes de papa. J’en ai manqué des bouts avec ma première, tellement j’étais débordé. Tandis qu’avec ma seconde, je suis plus présent. Et plus patient aussi.»

Et puis, il a fait des choix de vie. «Je ne pensais jamais faire d’argent. Dès que j’en ai eu, j’ai dérapé, tant j’aimais montrer que j’avais réussi. Un char neuf à 70 000 $, une cave de 1200 bouteilles, un chalet sur le lac, des chaussures par centaines, des tournées générales dans les restos…» Avec l’ouverture de Petite Maison, il y a deux ans, il a fait table rase, cessant de boire de l’alcool et ralentissant son train de vie. «Je n’ai même pas acheté un vêtement depuis deux ans!» Radical? Normal pour un homme «au caractère pas très tempéré», me souffle le principal intéressé.


Une soif de complicité 

En janvier dernier, le chef propriétaire a créé l’événement en annonçant qu’il quittait les fourneaux de Petite Maison. Danny St Pierre n’a jamais caché la dureté de son métier. Mais ce qu’il révèle aujourd’hui laisse sans voix: «À 41 ans, pour la première fois de ma vie, je m’avoue que je n’ai plus envie d’être chef. Ça fait des années que je travaille comme un fou, à tout diriger et à penser à tout. J’ai fait le tour. Il faut être sincère avec son plaisir.» 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le célèbre cuisinier est à un tournant. «J’ai envie de tout vendre, de devenir léger, d’être là pour ma famille. Aujourd’hui, je veux prendre ce métier-là et faire autre chose avec!» Ce qu’il a déjà commencé, en signant par exemple le menu du café Mange tes légumes, de la Place Ville-Marie, qui offrira bientôt un service de traiteur. Le nouveau directeur culinaire mijote également d’autres collaborations d’envergure à la suite de l’ouverture d’un restaurant au sommet de la Place Ville-Marie, d’un club privé au centre-ville montréalais et d’un food hall dans le quartier Dix30, à Brossard, menés de concert avec La Tribu, un groupe reconnu du milieu du disque, du spectacle et du divertissement. «J’ai voulu être le général toute ma vie, maintenant je deviens un sniper. Je ne suis plus le seul et unique porteur d’un projet. C’est hyper stimulant, et apaisant en même temps, de travailler en équipe, avec des gens de qualité. Ça me reconnecte sur mon métier de façon beaucoup plus saine. C’est une renaissance!» s’enthousiasme-t-il. En le quittant, on ne peut s’empêcher de lui demander où il se voit dans dix ans… «Je ne le sais pas, chuchote-t-il… Et j’aime ça!»


Danny, par le menu

Son regret «J’aurais aimé faire mon Barreau. Le métier d’avocat est passionnant! Mais je fais des plaidoyers à ma façon…»

Son obsession «Tenir parole! Si je la donne, je la donne, et je ferai tout pour l’honorer. Même si je dois arriver les genoux en sang ou avec un bras en moins!»

Sa plus grande qualité «La loyauté. C’est essentiel en cuisine comme dans la vie.»

Son trait de personnalité «Je suis un impulsif.» 

Sa montée de lait «Lorsque je lis des commentaires de m… sur des restos dans les médias sociaux, ça me rend furieux! C’est trop facile de chialer derrière son clavier!»

Son atout majeur «Je sais parler! (rires) Parler de cuisine, j’aime ça! On me donne des tribunes. Je maîtrise beaucoup de sujets, d’autres moins. J’ai un élan de passion assez fort, même si je me sens parfois comme un imposteur.» (rires)

Sa hantise «Les vacances! Je ne suis pas fan. Pour moi, ça rime avec vide. C’est angoissant de m’arrêter…»

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