Un certain sourire

Et j’avoue que j’étais même un peu jaloux de cette aisance avec laquelle il semblait traverser l’existence. 

Il avait un chien, Blake, dont il prenait le plus grand soin. 

Blake et Sylvain étaient de véritables inséparables. 

Il y a quelques jours, en entrant dans l’ascenseur, j’ai aperçu Blake mais Sylvain n’y était pas. Une jeune femme que je voyais pour la première fois le tenait en laisse. 

«Ah, le maître est parti en voyage!» ai-je lancé, curieux. 

Elle a semblé hésiter. 

«Oui... Un long voyage», a-t-elle fini par laisser tomber. 

Elle m’a appris que Sylvain était mort la veille. 

Quoi? Lui? Lui qui, à mes yeux, était la santé même, la joie, le bonheur de vivre? 

Il avait une maladie rare, m’a dit la jeune femme. L’amyloïdose (ou amylose), qui se caractérise par des dépôts de protéines insolubles dans les tissus. Ses reins étaient atteints. Puis, il y a quelques semaines à peine, il avait eu un diagnostic de cancer des os. On lui donnait trois ans à vivre. Il n’a eu que cinq semaines. 

Je ne l’oublierai pas

Je me suis rendu à l’Espace La Fontaine où la famille recevait parents et amis. Je n’étais pas un intime de Sylvain, mais il me semblait impensable de ne pas lui rendre un dernier hommage... «Je suis un voisin, ai-je dit à la personne qui accueillait les visiteurs… Nous habitions le même immeuble.» «Venez, je vais vous présenter sa mère.» 

Sa mère... Alice... Une belle dame aux cheveux blancs, l’air très digne, droite comme un i. J’ai pensé qu’elle devait faire un grand effort pour ne pas flancher. 

Je lui ai parlé de son fils... De son magnifique sourire. Je lui ai même dit que j’étais un peu jaloux de son bonheur. «C’est vrai qu’il avait un beau sourire, mon fils. Il aimait tellement la vie.» Elle m’a pris le bras. «Suivez-moi!» 

Sur une longue table, on avait déposé des souvenirs, des objets qui, chacun à sa manière, racontaient un peu de la vie de Sylvain… Une photo de lui, bébé, dans les bras de sa mère… Une autre au pied de l’arbre de Noël... Une carte qu’il avait dessinée pour la fête des Mères et qu’il avait dédiée «à la meilleure maman du monde»… Des souvenirs de voyages, des cartes postales, une carte géographique, un poème, quelques dessins et des toiles de sa main. 

Puis cette photo, la dernière, avec sa mère, quelques semaines avant sa mort. «C’était mon anniversaire.» Ils sont tendrement enlacés. Il semble resplendissant de santé. Et ce même sourire, cette même joie de vivre dans les yeux. 

C’est cette photo modifiée qui allait servir pour sa notice nécrologique… On n’a gardé que le visage de Sylvain. 

Il avait 47 ans. On m’a dit qu’il était mort paisiblement, après avoir pris le temps de mettre de l’ordre dans ses affaires… qu’il avait surtout choisi une famille d’accueil pour Blake, son meilleur ami… Des proches, vivant à la campagne, ayant une grande maison avec un immense terrain. Blake pourra ainsi s’ébattre et s’en donner à coeur joie. 

J’ai embrassé sa mère une dernière fois. Au moment où j’allais partir, l’une de ses soeurs m’a dit: «Puis-je vous demander une faveur? Ne l’oubliez pas.» J’ai vu toute la peine du monde dans ses yeux et j’ai compris combien on aimerait que la mémoire de ceux qu’on a aimés se perpétue à jamais dans le coeur de ceux qui restent. 

Non, je ne l’oublierai pas. Je me suis fait la promesse de ne pas oublier son sourire… Je crois que si je suis allé lui rendre hommage ce soir-là, c’est d’abord et avant tout pour ce sourire qui fleurissait sur ses lèvres et se répandait ensuite sur tout son visage. Ce sourire comme un hommage à la beauté du monde et à la fragilité de la vie.

Jean-Louis Gauthier Rédacteur en chef

jean-louis.gauthier@bayardcanada.com

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