Sous un ciel étoilé

Sous un ciel étoilé

Par Jean-Louis Gauthier, Rédacteur en chef

Cet été encore, en juillet, je mettrai le cap sur l’Abitibi pour quelques jours de vacances en compagnie de mon frère Jacques.

Départ vers 9 h. «Pas avant!» dixit frérot. S’il n’en tenait qu’à moi, nous serions à bord dès l’aurore. «Je suis en vacances. Tu ne me bousculeras pas», redixit frérot.

Vers midi, nous nous arrêterons pour manger à Mont-Laurier. Jacques grillera une cigarette en guise de dessert. J’éviterai toute remarque susceptible de le piquer au vif, du genre : «Vas-tu te décider enfin à arrêter de fumer? Pense à ta santé, à ton coeur, au grain de ta peau, aux rides, à ta dentition.» Sa cigarette terminée, nous reprendrons la route. Vers 15 h, nous ferons une halte à L’Étape, au milieu de la réserve faunique La Vérendrye. Jacques grillera une autre cigarette. Et je m’abstiendrai encore de toute remarque susceptible de mettre le feu aux poudres. Nous irons faire un petit tour sur le quai près du restaurant, passerons quelques commentaires sur la clarté de l’eau, le bonheur de se retrouver ainsi au coeur de la nature. Puis nous reprendrons notre route.

Arrivée à Senneterre vers 17 h 30. Nous prendrons possession de nos chambres au motel La Bell’Villa. Notre frère Roger, grand Senneterrien devant l’Éternel, viendra nous rejoindre au restaurant. Nous irons ensuite prendre un digestif à la terrasse de l’hôtel, qui donne sur la rivière Bell. Je raconterai alors pour la millième fois ce jour de juillet – j’avais 10 ans – où je suis entré dans l’eau avec mon vélo. Je ne savais pas nager. N’eût été la bravoure d’un automobiliste qui passait par là et qui n’a pas hésité à se jeter à l’eau pour me secourir, je ne serais plus de ce monde pour raconter ma mésaventure.

Nous dormirons comme des loirs, épuisés par la longue route.

Le lendemain matin, après être allés saluer les parents au cimetière, nous nous dirigerons vers Amos.

Amos, lieu de mes premières amours!

Après avoir défait nos valises, nous irons marcher dans les rues de la ville. Je jonglerai encore une fois avec l’idée de revenir m’installer ici dans quelques années. «Qu’en penses-tu, mon frère?» Jacques me répétera une fois encore que ma vie m’appartient et qu’il ne veut m’influencer d’aucune façon. Lui a pris sa décision il y a longtemps: il reviendra au pays dès que sonnera le gong de la retraite. Jacques a quitté la région à l’âge de 15 ans, avec toute la famille qui venait s’installer à Montréal. Il ne s’est jamais habitué complètement à la grande ville, je crois. Il est demeuré abitibien dans l’âme, amoureux des espaces infinis de ce pays.

Pendant deux ou trois jours, Amos sera notre port d’attache autour duquel nous rayonnerons. Nous irons faire un petit tour à Rouyn, à La Sarre, à Palmarolle, histoire de repasser devant l’école, qui d’ailleurs n’en est plus une, où j’ai enseigné au milieu des années 1970. Nous pousserons une pointe du côté de Rapide-Danseur, un charmant petit village avec son église en pierres des champs, où l’écrivaine Louise Desjardins situe l’action de son dernier roman.

Retour à Amos en fin d’après-midi. La veille de notre départ, nous irons souper au restaurant vietnamien, à l’ombre de la cathédrale. Le vin blanc aidant, je me laisserai gagner peu à peu par la nostalgie. Des souvenirs anciens referont surface, mêlant les jeux de l’enfance aux premières années de collège, et se découpant tous sur le visage attendri de notre mère. «Pauvre maman! Tu te rends compte, elle est morte à 40 ans. C’est jeune!»

«Ah! non, tu ne vas pas encore te mettre à pleurer», coupera Jacques qui, stoïque, fera signe à la serveuse de nous apporter la carte des desserts, sachant bien qu’il n’y a rien comme une bonne dose de sucre pour me ramener à la réalité.

Nous irons prendre ensuite un digestif sur cette belle terrasse dont j’oublie le nom, cachée sous les arbres, loin du bruit. Je dégusterai mon café brésilien à petites lampées sous le ciel étoilé, en me disant que ces quelques jours auront passé trop vite. «Il est temps d’aller au lit, Jacques. Demain, une longue route nous attend.»

Retour vers la grande ville. Ce séjour au pays de mon enfance m’aura rappelé une fois encore qu’on ne quitte jamais tout à fait le lieu d’où l’on vient.

L’année prochaine encore, si Dieu me prête vie, ainsi qu’à Jacques car, sans lui, cette excursion n’aurait pas la même résonance, je reviendrai sur cette terre généreuse, qui sait chaque fois m’ouvrir les bras, en sachant pourtant au fond de moi que c’est d’abord avec l’enfant que j’ai été que j’ai rendez-vous. Cet enfant qui, malgré les années, ne m’a jamais quitté et qui, d’un été à l’autre, attend ma venue.

Bonnes vacances à vous tous.

Jean-Louis Gauthier, Rédacteur en chef

jean-louis.gauthier@bayardcanada.com

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