La vieille dame

La vieille dame

Par Jean-Louis Gauthier

C’est maintenant au tour d’une vieille dame de payer. Elle ouvre son sac, lentement, compte son argent. C’est un peu long. À quatre-vingts ans, elle n’a plus la célérité de ses vingt ans.

La caissière, sans doute fatiguée de sa journée et voyant tous ces clients qui attendent, s’impatiente.

-Allez, la vieille ! Vieille lente ! Vieille Indienne !

Il faut préciser que la dame est une Autochtone. Elle ne comprend pas le français, mais devine sûrement, au ton de voix de la caissière, que celle-ci n’est pas de bonne humeur.

La dame finit enfin par payer et s’en va.

Le hasard veut que, parmi les clients qui attendent à la caisse, se trouve un jeune homme dont la mère connaît bien la famille de la vieille dame. De retour à la maison, il raconte à sa mère la scène dont il a été témoin. Celle-ci ne fait ni une ni deux et appelle l’une des filles de la vieille dame pour lui dire ce qui s’est passé. 

Outrée et blessée par la façon dont on a traité sa mère, la jeune femme décide de porter plainte. Le commerçant visionne les images captées par les caméras de sécurité. En effet, tout est là. On entend distinctement les mots de la caissière. « Vieille lente ! Vieille Indienne ! » Le commerçant décide de congédier l’employée malveillante. 

Jusqu’ici, cette histoire n’a rien de bien exceptionnel. Une banale affaire de préjugés, teintée cette fois de mépris envers la lenteur des personnes âgées et envers les Autochtones. La bêtise ordinaire, au jour le jour, qui peut prendre mille et un visages.

L’histoire ne s’arrête cependant pas là. La vieille dame, apprenant le sort qui attend la caissière – le congédiement – s’objecte. On va la mettre à la porte ? Et puis après ? Elle trouvera un autre emploi ailleurs et, probablement, recommencera son petit manège devant une autre vieille dame aux mains tremblantes et un peu trop lente à son goût. On ne sera guère plus avancé.

Non ! La vieille dame propose plutôt d’organiser une grande fête, une sorte de pow-wow qui se déroulera au magasin, en présence de tout le personnel, et qui sera l’occasion de mieux se connaître, par-delà les idées toutes faites et les préjugés.

C’est ce que les Autochtones appellent un « cercle de guérison ». Le commerçant a l’intelligence d’accepter la proposition de la vieille dame.

La fête a finalement eu lieu. J’imagine qu’il devait y avoir de l’émotion dans l’air !

Et j’aime à croire qu’un pas a été franchi à ce moment-là. Car les préjugés, on le sait, ont bien souvent à voir avec l’ignorance, la peur de l’autre, la peur de l’inconnu.

Cela, la vieille dame le savait. Elle savait sans doute aussi que punir ne rime à rien si on ne s’attaque pas aussi à la racine du mal.

J’aime à croire, oui, que, grâce à cette expérience, la jeune caissière aura changé sa perception des personnes âgées et que la main tendue par cette Autochtone l’aura rendue plus sensible, plus humaine et plus ouverte aux autres.

Cette histoire, présentée à RDI, m’est parvenue comme un vent de fraîcheur dans un monde où, me semble-t-il, on se durcit de plus en plus, en mettant l’accent sur la vengeance et la rancoeur. 

Bravo à vous, chère vieille dame qui, dans votre sagesse ancestrale, avez choisi de prendre le parti – le pari – du coeur. 

Jean-Louis Gauthier, Rédacteur en chef

jean-louis.gauthier@bayardcanada.com

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