Investir en temps de crise

Investir en temps de crise

Par Dominique Lamy

Crédit photo: iStock

Les derniers mois ont été impitoyables pour nos portefeuilles de placement. Devant une telle situation, que font les professionnels de l’investissement et quelles leçons pouvons-nous en tirer?

Les banques centrales n’ont pas hésité à durcir leur politique monétaire pour tenter de ralentir la forte progression de l’inflation. La remontée des taux d’intérêt se poursuit et les Bourses s’ajustent en conséquence: elles anticipent une récession prochaine. Plusieurs facteurs pourraient effectivement réduire les profits des entreprises et inciter le consommateur endetté à restreindre ses dépenses. Alors que la volatilité boursière fait toujours rage au moment de rédiger ces lignes, deux gestionnaires de portefeuille d’expérience nous offrent une petite incursion dans leurs univers respectifs.

Être créatif pour mieux investir

Pour trouver de nouvelles idées en matière d’investissement, Richard Langevin, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Nymbus Capital, et son équipe n’hésitent jamais à remettre leurs méthodes en question. «Nous croyons à une approche scientifique et privilégions l’innovation en matière d’investissement.» Le recours à l’intelligence artificielle et aux mégadonnées fait notamment partie de leur processus de décision.

«Nos idées d’investissement doivent offrir un potentiel de gain supérieur au risque de perte et la construction du portefeuille doit viser à surperformer selon différents scénarios économiques.» Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont également pris en considération pour générer de la valeur à long terme.

Les titres récemment ajoutés en portefeuille

La Russie et l’Ukraine sont d’importants exportateurs de fertilisants agricoles. Depuis le début de la guerre qui les oppose, leur capacité d’exportation a significativement diminué, créant ainsi une certaine pénurie de ce type de produits, une situation qui n’échappe pas à l’analyse de notre expert: «Même si nous détenions déjà certaines entreprises évoluant dans l’industrie de l’agriculture, nous avons décidé d’en acheter davantage dans nos portefeuilles au cours des derniers mois. C’est le cas de la société canadienne Nutrien (NTR-T), de l’entreprise minière allemande K+S AG (SDF.DE) et des producteurs d’engrais américains CF Industries Holdings (CF-N) et The Mosaic Company (MOS-N).»

Les titres vendus et pourquoi

Dans le contexte actuel de grande volatilité, plusieurs investisseurs se sont tournés vers des titres défensifs, comme ceux du secteur de la consommation de base. «Ces titres ont mieux fait en général que le marché et sont devenus dispendieux comparativement à leur potentiel de croissance.»

C’est sans compter le fait que leurs marges bénéficiaires sont diminuées par la hausse des coûts de main-d’œuvre et des intrants nécessaires à la production. «Nous avons donc réduit nos positions dans certains de ces titres, dont les multinationales agroalimentaires américaines Pepsico inc. (PEP-Q) et Mondelez International (MDLZ-Q), et la multinationale américaine de biens de consommation Procter & Gamble (PG-N).»

Le meilleur conseil dans le contexte actuel

Richard Langevin nous rappelle qu’historiquement, les marchés montent plus fréquemment qu’ils ne baissent. «Malgré la volatilité actuelle, il est important de maintenir ses objectifs à long terme et d’investir dans des sociétés solides qui versent de bons dividendes.» On est ainsi rémunéré en attendant que le marché retrouve l’élan des beaux jours…

Qu’en est-il pour ceux qui souhaitent bonifier leur pondération en titres à revenu fixe? «Il peut être intéressant d’envisager un fonds négocié en Bourse (FNB) à échelonnement obligataire.» Dans ce panier de titres, chaque obligation arrive à échéance à une date différente, et le capital est ensuite réinvesti. «Ce type de FNB aide à réduire les risques liés aux taux d’intérêt et permet d’augmenter la liquidité du portefeuille», résume l’expert.

Stabilité, accélération et marginalité

La gestion traditionnelle d’un portefeuille s’articule souvent comme le fait un vélo: la roue avant représente le revenu fixe pour la direction et la stabilité, alors que la roue arrière est la portion en actions pour obtenir l’accélération désirée. Cependant, pour Francis Sabourin, gestionnaire de portefeuille et conseiller en placement chez Patrimoine Richardson ltée, et son équipe, la gestion de portefeuille s’inspire davantage d’un tricycle.

«Nous ajoutons une troisième roue, soit celle des placements alternatifs ou non traditionnels, pour viser une plus grande stabilité et un meilleur rendement potentiel. Cette troisième roue (constituée de placements dans des sociétés privées effectués sur le marché secondaire ou de titres de dettes privées, à titre d’exemple) est très appréciée des investisseurs dans le contexte actuel.»

Les titres récemment ajoutés

La qualité demeure au menu. «Nous sommes toujours fidèles à nos titres canadiens de croissance à long terme tels que Dollarama (DOL-T), Alimentation Couche-Tard (ATD-T) et Suncor Energy (SU-T), une entreprise de transformation du pétrole.» Du côté américain, cette fidélité s’étend notamment à Microsoft (MSFT-Q) et Apple (AAPL-Q). «Notre portion internationale a souffert (en Inde, à titre d’exemple), mais nous restons confiants envers ses fondamentaux.» Patience est donc le mot d’ordre. «Ce n’est pas une période propice à la prise de grands risques. Les opportunités se présenteront éventuellement, autant du côté boursier que du revenu fixe.»

Les titres vendus et pourquoi?

Depuis la crise de mars 2020, la portion en revenu fixe des portefeuilles sous gestion semble avoir été remaniée davantage. «En mars 2022, après une forte appréciation sur deux ans, nous avons vendu toutes nos actions privilégiées – une classe d’actifs considérée comme du revenu fixe – pour migrer vers un portefeuille d’obligations non traditionnel très tactique.»
En raison de la hausse des taux d’intérêt, certains secteurs de la Bourse se font particulièrement malmener, tels que les fiducies immobilières publiques, les titres technologiques et les titres de consommation discrétionnaire. «Les sociétés de croissance à multiples élevés telles que Shopify (SHOP-T) et Netflix (NFLX-Q) sont à éviter dans ce contexte. Éventuellement, à un certain prix, elles deviendront des opportunités intéressantes.»

Le meilleur conseil dans le contexte actuel

Francis Sabourin dresse la liste des nombreux éléments qui perturbent actuellement le marché. «La crise de la COVID-19, la guerre qui sévit en Ukraine, la hausse subite du prix du pétrole, l’augmentation des taux d’intérêt et du prix des denrées alimentaires et la spirale inflationniste qui en découle poussent les gens à se demander ce qu’ils peuvent faire pour atténuer la volatilité de leur portefeuille.» L’heure est-elle venue de faire les choses différemment? «La réponse est peut-être d’ajouter une troisième roue à notre vélo pour les années à venir.»

Dans le cadre de ce reportage, les propos ont été édités et condensés.

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