Médicaments d’ordonnance: sommes-nous accros?

Médicaments d’ordonnance: sommes-nous accros?

Par Marie-Josée Roy

Crédit photo: Photo by Kate Hliznitsova on Unsplash

Les médicaments d’ordonnance contribuent généralement à apaiser nos maux, mais certains d’entre eux peuvent provoquer une dépendance qui met notre santé à risque. Comment éviter le piège?

Hypertension artérielle, dépression, migraine, arthrite, diabète: de nombreuses conditions requièrent la consommation de médicaments. Selon le rapport de 2016 de l’Institut canadien d’information sur la santé, 35,3 % des personnes de 65 ans et plus ont recours de façon chronique à cinq types de médicaments ou plus. Abuse-t-on de certaines prescriptions? Selon Marie-Ève Morin, médecin de famille œuvrant en santé mentale et en dépendance à la clinique La Licorne de Montréal, l’important est de faire la distinction entre un besoin et une dépendance. «Si la médication n’apporte que des bienfaits et qu’on est capable de s’en passer quand elle n’est pas nécessaire, ce n’est pas une dépendance, c’est un besoin pour améliorer notre qualité de vie. Une dépendance, au contraire, va la détériorer.»

 

À surveiller

Parmi la variété de substances prescrites pour traiter les problèmes de santé physique et mentale figurent deux catégories de médicaments plus susceptibles de provoquer une dépendance:

• Les benzodiazépines.

Utilisés pour apaiser l’anxiété et les troubles du sommeil, ils sont vendus sous 13 noms différents au Canada, comme Ativan, Valium, Xanax et Rivotril. Il s’agit de substances psychotropes, c’est-à-dire qu’elles altèrent l’équilibre chimique du cerveau. Le sevrage des benzodiazépines n’est pas sans risque chez les moins jeunes.

• Les opioïdes.

Morphine, codéine, fentanyl: les opioïdes sont employés pour traiter la douleur. «On en aura toujours besoin en médecine pour soulager les douleurs chroniques aiguës et sévères, mais ils provoquent une dépendance physique», mentionne la Dre Morin.

 

Des symptômes qui ne mentent pas

Il peut s’avérer difficile de faire la distinction entre une consommation régulière et un abus de médicaments d’ordonnance. Certains signes pourraient toutefois inciter à la réflexion. «Quand on vient à bout de sa prescription avant le temps, c’est le premier signe d’une dépendance, explique la Dre Morin. Si la dose initiale ne fait plus effet et qu’on doit en prendre davantage, c’est que le cerveau a développé une tolérance.» Le fait de prendre un médicament au mauvais moment de la journée, par exemple un somnifère en plein après-midi, est aussi un signal d’alarme à considérer.

Certains symptômes liés au vieillissement peuvent être provoqués par une consommation abusive de médicaments, comme la confusion, les troubles de mémoire, les étourdissements et la somnolence. Une personne aux prises avec ce type de dépendance risque aussi d’avoir tendance à s’isoler et à afficher une humeur imprévisible. «L’isolement, qui provient souvent d’un sentiment de honte, fait partie de la dépendance», indique la Dre Morin. On ne reconnaît plus notre comportement ou celui d’un proche? On se sent mal quand on arrive à la fin de notre prescription? On combine les médicaments avec l’alcool? On oublie de respecter la posologie? Ces signaux d’alarme ne doivent pas être pris à la légère.

 

Sommes-nous à risque?

Selon un guide d’intervention publié par le Comité permanent de lutte à la toxicomanie, qui conseille le gouvernement du Québec en matière de toxicomanie chez les personnes de 55 ans et plus, certains facteurs de risque sont associés à un abus de médicaments:

• avoir des problèmes de santé;

• être isolé à la suite d’une perte majeure (décès d’un conjoint, perte d’un emploi, séparation);

• avoir plusieurs ordonnances et consommer quotidiennement plus de trois médicaments;

• prendre simultanément des médicaments prescrits et en vente libre;

• consulter plus d’un médecin omnipraticien.

La combinaison de plusieurs facteurs de risque augmente la probabilité de développer une dépendance aux médicaments d’ordonnance. Il va sans dire que notre capacité d’adaptation et le soutien dont on jouit jouent aussi un rôle primordial quant à notre façon de réagir à certaines épreuves, d’où l’importance de prendre soin de notre santé physique, mais aussi mentale.

 

Des conséquences non négligeables

Selon Marie-Ève Morin, le plus grand risque associé à un abus de médicaments d’ordonnance est la mort par surdose. «On parle beaucoup de décès chez les junkies qui s’injectent du fentanyl dans la rue, mais il y en a aussi beaucoup par surdose d’opioïdes chez les personnes âgées. Elles prennent une pilule, une deuxième, puis une troisième, et puis un jour, elles ne se réveillent pas. Quand on combine les opioïdes avec les benzodiazépines, ça augmente grandement le risque d’arrêt respiratoire. Les médicaments, ce ne sont pas des bonbons.»

Une personne qui abuse des médicaments d’ordonnance risque aussi de négliger ses finances, de même que l’entretien de sa personne et de son environnement. L’isolement guette évidemment les accros, les proches se sentant souvent impuissants devant leurs changements d’humeur. Le fait de surconsommer certains médicaments, notamment les somnifères, augmente aussi le risque de chute, comme le souligne la Dre Morin. «Les causes premières des chutes qui surviennent la nuit sont la confusion et les étourdissements provoqués par la médication pour dormir.»

 

Traitement: un travail d’équipe!

Une foule de facteurs entrent en ligne de compte dans la prévention et le traitement de la dépendance aux médicaments d’ordonnance. À ce sujet, le Comité permanent de lutte à la toxicomanie est formel: le traitement envisagé doit tenir compte du niveau d’autonomie de la personne, du soutien social dont elle dispose et de son ouverture à aborder directement le problème. «Envisager un sevrage de benzodiazépines pour une personne de 80 ans est risqué, dit la Dre Morin. Il peut causer des convulsions ou un délirium tremens. Le sevrage des opioïdes provoque aussi des effets physiques et psychologiques.»

Il est donc essentiel de consulter des spécialistes adéquats si on craint d’avoir développé une dépendance ou si on constate un tel phénomène chez un parent ou un ami. «La première chose à établir pour prévenir la dépendance et l’abus de médication est la relation de confiance avec son médecin et son pharmacien. On a parfois honte de ce qui nous arrive, mais c’est super important d’être honnête avec ces gens-là, qui sont là pour nous aider», rappelle Marie-Ève Morin. C’est en discutant à cœur ouvert avec notre médecin, notre pharmacien, l’infirmière de la résidence ou un proche qu’on peut commencer à envisager des solutions.

Doit-on revoir la fréquence de nos prescriptions? Envisager un médicament mieux adapté? Séjourner dans un centre de traitement? Les solutions sont multiples et pas les mêmes pour tous. Il faut aussi garder en tête qu’on ne guérit pas d’une dépendance: on apprend plutôt à la contrôler. «On peut être dépendant actif, dépendant en rémission partielle ou dépendant en rémission totale, précise la Dre Morin. On ne peut pas annuler une dépendance une fois qu’elle existe. Le meilleur exemple, c’est la cigarette: on n’offre pas une cigarette à quelqu’un qui n’a pas fumé depuis 10 ans parce qu’on sait qu’il risque de recommencer.»

 

Ressources utiles

Vers quel organisme se tourner en cas de dépendance aux médicaments?

• Le Groupe Harmonie (pour les 55 ans et plus): 514 939-2640 ou groupeharmonie.org.

• Le Centre de réadaptation en dépendance de Montréal: 514 385-1232 ou ciusss-centresudmtl.gouv.qc.ca, en cliquant sur Soins et services, puis sur Problèmes de consommation ou de dépendance.

• Drogue – Aide et référence, pour trouver un centre d’aide au Québec: 1 800 265-2626 ou aidedrogue.ca.

 

5 gestes pour aider un proche

1. Aborder le sujet

Il va sans dire qu’évoquer la dépendance aux médicaments d’ordonnance avec un membre de notre famille ou un ami risque de provoquer un certain malaise, mais c’est peut-être la secousse dont il a besoin pour réaliser l’ampleur du problème. On en parle franchement, mais avec délicatesse.

2. S’abstenir de juger

La toxicomanie vient fréquemment avec un sentiment de honte qu’on ne doit pas prendre à la légère. Si un proche se confie à nous, on évite de porter un jugement ou de passer un commentaire désobligeant. On se montre aimant et on prend le temps d’écouter ce qu’il a à nous confier.

3. Passer au pilulier

On lui procure un pilulier, aussi appelé dosette. Le pharmacien pourra ainsi répartir les médicaments selon les journées de la semaine ou du mois. «On peut aussi faire préparer les prescriptions à la semaine plutôt qu’au mois, suggère la Dre Morin. Quand on reçoit tous nos médicaments pour un mois, ça peut être tentant d’aller jouer dedans.»

4. Mettre en place un système de soutien

On évite de laisser la personne à elle-même, car les mauvaises habitudes risquent alors de reprendre le dessus. Si elle habite dans une résidence, on peut par exemple demander à une infirmière sur place de lui administrer ses médicaments. Autre façon de lui apporter du soutien: augmenter la fréquence de nos visites ou s’assurer qu’un service de ménage ou une popote roulante passe chez elle quelques fois par semaine.

5. Demander une aide extérieure

Pour offrir un soutien adéquat, on demande à notre proche la permission de consulter son médecin et son pharmacien pour mettre en place un plan d’action. On n’hésite pas à solliciter la contribution d’autres membres de la famille, de voisins ou d’amis, si nécessaire.

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