Cancer : Où en sommes-nous?

Cancer : Où en sommes-nous?

Par Isabelle Bergeron

Crédit photo: iStock Photo

«Aujourd’hui, on ne parle plus du cancer, mais des cancers», commence le Dr Denis Soulières, hémato-oncologue et directeur du Département d’hématologie du CHUM. De fait, il existe plus d’une centaine de cancers. Par exemple, un cancer du poumon ne sera pas le même d’une personne à l’autre parce que les anomalies dans l’ADN des cellules qui causent le cancer seront différentes. De plus, ces anomalies sont provoquées par des mutations aléatoires, difficilement prévisibles donc. Bref, il s’agit d’une bibitte très complexe, et par conséquent difficile à voir venir. 

Des symptômes peu clairs

«Les signes ne sont pas faciles à reconnaître, admet le Dr Soulières. Une masse qui grossit, dans le sein, un testicule ou ailleurs, est un signe concret que l’on peut reconnaître. Une masse ne signifie pas qu’on a nécessairement le cancer, mais au moins, c’est un signe visible. La plupart des symptômes reliés aux cancers ne sont pas aussi évidents.» Dans certains cas, mais pas toujours, un cancer engendrera des signes assez distinctifs à son type. Par exemple, un cancer du poumon pourra provoquer une toux persistante, de l’essoufflement et des douleurs dans la poitrine; un cancer du foie engendrera chez certains des douleurs abdominales ou de l’enflure à ce niveau; celui du larynx, une difficulté à déglutir, des douleurs jusqu’aux oreilles et des troubles respiratoires. Etc.

De façon plus générale, les cancers affecteront notre niveau d’énergie et de force. On sentira une fatigue intense et une certaine apathie. Dans plusieurs cas, on perdra du poids sans rien avoir changé à notre diète, puis on perdra peu à peu l’appétit. Il peut arriver qu’on ait de la difficulté à respirer, qu’on s’essouffle à rien, qu’on ait des maux de tête ou des douleurs localisées, selon le type de cancer. Fréquemment, les ganglions sont enflés, notamment au niveau du cou, des aisselles et de l’aine. Le message à retenir ici est d’être à l’écoute de notre corps. Quels que soient les signaux qui nous alarment, on consulte notre médecin. 

Bien sûr, si on a des antécédents familiaux (5 à 10 % des cas de cancers) ou si on a plus de 50 ans (selon l’Agence de la santé publique, 89 % surviennent passé cet âge), on n’hésite pas à s’informer auprès de notre médecin des moyens de dépistage existants. Dans le cas du cancer du sein, le plus commun chez les femmes, il existe un programme de dépistage qui établit notamment que les femmes entre 50 et 69 ans, sans antécédents, passent une mammographie. «Ce qui a beaucoup diminué le taux de mortalité associé à ce cancer, affirme le Dr Xavier Deschênes-Simard, professeur de biochimie à l’Université McGill. Il existe aussi un programme de dépistage pour le cancer du côlon et on parle d’un possible programme pour le cancer du poumon, ce qui serait une excellente chose.» C’est prouvé, plus un cancer est détecté tôt, meilleures sont les chances de le guérir ou de prolonger notre vie de plusieurs années. 

Prévenir une récidive 

Doit-on être plus à l’affut de certains signes si on a déjà eu un cancer? «On sera nécessairement plus attentif à ces signes, bien sûr, car les risques de récidive sont bien réels», note le Dr David Khayat, oncologue, professeur de cancérologie à l’Université Pierre-et-Marie-Curie (Paris) et auteur. Comme dans bien des aspects concernant les cancers, les récidives font aussi l’objet de recherches. Par exemple, un oncologue français a mis au point il y a quatre ans une application web afin de détecter les rechutes chez des patients atteints du cancer du poumon. En observant certains éléments (perte de poids, fatigue, essoufflement, etc.), l’application permet de détecter une rechute, et elle le ferait encore mieux qu’un scanner, soit six semaines plus tôt. L’application n’est pas disponible ici, mais le chercheur espère déjà pouvoir l’appliquer à d’autres types de cancers. 

Après un cancer, on sera habituellement suivi de près par notre médecin. Mais dans tous les cas, une personne qui a eu un tel type de cancer ne pourra pas se dire que, puisqu’elle en a déjà eu un, elle est en quelque sorte protégée de tout autre type de cancer dans le futur. «C’est faux, dit le Dr Khayat. Après son cancer, le compteur est remis à zéro et elle a autant de risques que n’importe qui de contracter un autre cancer. Pour ce qui est d’une récidive du même cancer, une chose est sûre, plus les années passent, moins il y a risque de le voir ressurgir. En moyenne, après 10 ans sans signes dudit cancer, les risques de récidive tombent à 2 %.» 

Le mode de vie en question

Qu’on ait déjà eu ou non un cancer, la réalité est la même: nos habitudes de vie et certains éléments de notre environnement auront un impact sur les risques qu’on a de développer un cancer. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 30 % des décès par cancer seraient dus à cinq facteurs alimentaires et comportementaux, soit un indice élevé de masse corporelle, une faible consommation de fruits et de légumes, le manque d’exercice physique, le tabagisme et la consommation d’alcool. 

Par exemple, bien que les raisons ne soient pas encore très bien connues, on sait que l’obésité augmente d’environ 10 % les risques de cancer du sein à chaque 5 kg que l’on gagne. Et cette cause à effet est la même, que l’on parle de cancer colorectal, des voies biliaires, de l’endomètre, etc. Idem pour la sédentarité. Un exemple? Des chercheurs américains ont suivi pendant un an 73 000 femmes ménopausées (chez qui le risque de cancer de sein est plus grand) pour constater que celles qui marchaient une trentaine de minutes quotidiennement avaient 14 % moins de risques de développer ce type de cancer. Quant à notre consommation d’alcool, on a avantage à ne pas abuser puisqu’en plus d’endommager nos cellules, celui-ci augmente notre taux d’œstrogènes et un haut taux d’œstrogènes est relié au cancer du sein. Pour le tabac, l’équation est claire depuis longtemps: il est responsable de 85 % des cancers du poumon, mais il est également associé, entre autres, aux cancers de l’œsophage, du larynx, de la bouche et de la vessie. Enfin, notre alimentation est aussi un acteur important quant à la probabilité d’avoir le cancer. Toutefois, les seules corrélations vraiment prouvées sont celles reliées à notre consommation de viande rouge, de fruits et de légumes. Moins de la première et davantage des deux autres, et on a un petit peu plus de chances de tenir la maladie à distance. Pour ce qui est des suppléments, vitamines ou autres aliments, la recherche a encore bien des zones grises à éclaircir avant de pouvoir établir des liens directs entre telle vitamine et son rôle sur les cancers. La seule exception est la vitamine D, dont le rôle protecteur a été démontré. On ajoute donc une carte à notre jeu en prenant, l’automne et l’hiver, un supplément de cette vitamine (on recommande un apport de 1000 UI).

Ainsi, même s’il ne garantit pas de garder le cancer éloigné, notre pouvoir sur certains facteurs de risque n’est pas négligeable. «Si on prend les mesures pour avoir un environnement et un mode de vie équilibré, ça ne veut pas dire qu’on n’aura jamais de cancer, mais disons qu’on se donne plus de chances en le faisant», souligne le Dr Deschênes-Simard. Par contre, certains éléments ne sont pas de notre ressort: le pays dans lequel on vit, le fait que l’on soit riche ou pauvre, la couleur de notre peau… Autant de conditions qui peuvent changer la donne. Par exemple, il y a plus de cas de cancer du poumon chez les moins nantis, les hommes noirs ont 21 % plus de risque de mourir du cancer de la prostate pour des raisons génétiques, et l’OMS met en garde contre rien de moins qu’une épidémie de cancers, en l’occurrence dans les pays émergents comme l’Inde ou la Chine. «On sait aussi que la pollution et le fait que la couche d’ozone s’use ont une incidence sur les risques de cancers, dit le Dr Soulières. Mais dans quelle mesure précisément, c’est difficile à dire.» 

Un monde sans cancers? 

Difficile à dire, ça aussi. Le Dr Khayat croit que oui, un jour on parlera de cancer comme on parle de la polio aujourd’hui, une maladie du passé. «Mais quand? Ça risque d’être très long, dit-il. Considérant le simple fait que ça peut prendre 10 ans avant qu’un nouveau médicament soit accessible, on peut présumer que ce n’est pas pour demain.» 

D’autant que l’évolution tend à la hausse plutôt que le contraire: en 2000, 6,2 millions de personnes sont mortes du cancer dans le monde; en 2015, elles étaient 8,5 millions à en mourir. L’OMS prévoit 22 millions de décès des suites d’un cancer en 2020. Au Canada, en 2016, il y a eu environ 200 000 diagnostics de cancer et près de 80 000 décès. Les cancers représentent 30 % des décès au pays. En comparaison, les maladies cardiovasculaires comptent pour 20 % des mortalités. On garde espoir, il y a des progrès. Aujourd’hui, plus de 60 % des Canadiens diagnostiqués vont survivre au moins cinq ans alors qu’en 1940, ça n’arrivait que dans 25 % des cas. «L’évolution se dénote surtout dans la survie des personnes atteintes, dit le Dr Khayat. Du moins, dans les pays riches où on a accès à des traitements. Par exemple, maintenant, les femmes sont 85 % à survivre au cancer du sein.» 

S’il y a malgré tout de plus en plus de cas de cancers, c’est surtout en raison du vieillissement de la population, avance le Dr Soulières. «Les gens vivent plus vieux, donc ils ont plus de risques de développer un cancer, dit-il. Et puis, comme les maladies cardiovasculaires sont traitées plus efficacement, les gens en meurent moins qu’avant.» 

«Il y a aussi le fait que les outils de dépistage des cancers sont beaucoup plus performants qu’avant, dit le Dr Deschênes-Simard. Il n’y a pas si longtemps, des gens mouraient de causes obscures, on ignorait pourquoi exactement.» Cela dit, les traitements du cancer ont fait, et font toujours, l’objet de grandes percées. «En plus d’avoir de plus en plus de cancers qui sont curables, dit le Dr Khayat, il y en a aussi de plus en plus qui seront traités comme une maladie chronique, un peu comme le diabète. C’est-à-dire que, grâce aux traitements, les patients vivront plus longtemps et auront une meilleure qualité de vie.» 

Des traitements personnalisés

Des recherches sont en cours sur de possibles vaccins, un peu comme celui qui existe déjà contre le papillome humain. De nombreux chercheurs se penchent également sur une médication qui, plutôt que de détruire les cellules cancéreuses, les «remettrait sur pied» en quelque sorte. Par exemple, un tel médicament, appelé AG-221, a déjà été testé sur des personnes atteintes de leucémie, et 38 % y ont réagi favorablement. Prometteur. Par ailleurs, les traitements conventionnels, comme la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie sont toujours dans la mire des chercheurs et s’améliorent constamment. On peut penser à la chimiothérapie par voie orale, indiquée pour certains cancers, et considérée moins contraignante que celle donnée par intraveineuse. «Il y a aussi la micro-radiothérapie, qui cible les zones à traiter avec beaucoup plus de précision», dit le Dr Deschênes-Simard.

Un autre traitement dont on parle beaucoup: l’immunothérapie. «C’est un traitement très ciblé, explique le Dr Soulières. Il s’agit de médicaments qui vont stimuler le système immunitaire, selon les anomalies très spécifiques à chaque cancer, afin qu’il développe une protection contre celles-ci. À l’heure actuelle, de tels traitements existent mais uniquement pour certains types de cancer. C’est un travail laborieux puisqu’il existe de nombreuses anomalies génétiques différentes, et que développer un traitement pour chacune exige nécessairement beaucoup de temps. Mais ça reste très encourageant et très prometteur.» 

Pour plus d’info: Société de la recherche sur le cancer, recherchecancer.ca.

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