Le 20 septembre 2005, Nicole Guy revient chez elle après avoir passé l’après-midi avec des amies. Devant son logement, une ambulance, une voiture de police, un petit attroupement… Persuadée qu’il est arrivé quelque chose à ses voisins, deux personnes âgées qui habitent le même immeuble qu’elle, elle s’empresse d’aller se renseigner. Mais l’air consterné des badauds qui l’accueillent la cloue sur place.
Dans l’ambulance, il y a Roger, son mari, 61 ans, foudroyé par un infarctus aigu du myocarde. L’homme de sa vie, son premier amour d’adolescence, le père de ses deux grands enfants, celui avec qui elle a passé les dernières 35 années, n’a pu être réanimé. Pour Nicole, ça n’est pas un choc : c’est un séisme. Elle est dévastée. Pendant un an, cette femme de 53 ans active et énergique, préposée aux bénéficiaires d’un centre qui accueille les personnes âgées atteintes de maladies chroniques, est incapable de retourner au travail. Les choses les plus simples – s’habiller, sortir, marcher… – lui demandent un effort surhumain. «J’avais l’impression d’être dans un autre monde, dit-elle. J’étais entourée de gens, mais, mon Dieu que je me sentais seule! J’avais perdu la moitié de moi.»
Jusqu’à ce que la mort nous sépare…
Que ce soit son conjoint, sa mère, un grand-parent, un frère, une sœur, le deuil est toujours une épreuve. Il n’y a pas de hiérarchie dans la douleur. Mais perdre son époux, sa femme, la personne avec qui l’on partageait ses jours et ses nuits, s’avère un violent traumatisme. «Que les mots « pour le meilleur ou pour le pire » aient, ou non, été prononcés un jour, écrit le Dr Christophe Fauré, psychiatre, dans son essai Vivre le deuil au jour le jour (Albin Michel), on avait accueilli avec joie le meilleur et on avait tenté de s’accommoder du pire, mais on avait vite oublié ce « jusqu’à ce que la mort nous sépare »…»
Quand le conjoint disparaît, le quotidien du survivant est brutalement désorganisé. Les repères sautent les uns après les autres. On perd le compagnon ou la compagne d’une vie, son amour et son amitié, sa complicité, son affection, sa chaleur, son soutien dans l’épreuve. On perd, quand c’est le cas, le père ou la mère de ses enfants, que l’on souffre de voir souffrir aussi.
Et comme si ça n’était pas suffisant, cette perte nous oblige à conjuguer le deuil non seulement au présent, mais aussi au passé et au futur. En effet, «le deuil du présent impose le deuil de ce qui a été et le renoncement à ce qui aurait pu être…», écrit le Dr Fauré. La personne qui a partagé notre passé, nos souvenirs, qui nous a connu dans l’éclat de notre jeunesse, qui nous a vu changer, grandir, donner la vie, vieillir, rire et pleurer, n’est plus là pour en témoigner. Avec qui pourra-t-on, désormais, évoquer ces images du passé?
Quant au futur, aux rêves que nous avions élaborés et caressés à deux, aux voyages que nous aurions, un jour, le temps de faire, aux petits-enfants que nous verrions grandir ensemble, il faut, aussi, en faire le deuil.
Les étapes du chagrin
Les étapes du chagrin
Détentrice d’une maîtrise en service social et d’un certificat en études interdisciplinaires sur la mort, Andrée Lafontaine a mis sur pied, avec sa collègue Carmen Perron, L’Hibiscus, un groupe d’entraide pour les personnes endeuillées, qui organise des rencontres deux fois par mois dans la région de Québec. Mère de quatre enfants, Andrée Lafontaine sait de quoi elle parle. Elle a survécu à la mort tragique de son petit garçon, puis au suicide de l’un de ses fils et, plus récemment, au décès de son mari, mort après un long combat contre la maladie. Pour cette femme exemplaire, quel que soit le type de deuil, on n’oublie jamais la personne que l’on a perdue. Mais la blessure peut être soignée et, lentement, guérir. Même si la cicatrice demeure fragile, il y a moyen de continuer à vivre pleinement.
«Si chaque expérience, chaque personne est unique, explique-t-elle, on remarque certaines constantes, certaines phases communes à la plupart des deuils.» Il y a d’abord la phase de choc, de déni, de protestation, qui s’accompagne souvent d’une sorte de «paralysie des émotions», d’une incapacité de s’exprimer. Puis les phases de désorganisation, de l’adaptation et de la préparation à une nouvelle réalité, et de réorganisation, de reconstruction de soi.
«Aux différentes phases du deuil, ajoute Andrée Lafontaine, correspondent aussi des tâches constructives, que l’on peut accomplir à son rythme.» À commencer par la reconnaissance de la réalité de la perte comme étant définitive. Une fois ce passage obligé traversé, et une fois que l’on aura exprimé tous ses sentiments et émotions, on pourra réapprendre à vivre le quotidien en l’absence de l’autre et à développer de nouvelles habiletés.
Pour certains, ce sera apprendre à cuisiner pour pouvoir continuer de recevoir les enfants aux fêtes. Pour d’autres, se familiariser avec la comptabilité familiale, le bricolage ou la conduite automobile. Certains voudront réorganiser le foyer à leur façon. C’est ce qu’a fait Nicole. «Je ne voulais pas déménager, raconte-t-elle. J’avais des voisins extraordinaires. J’étais bien dans mon quartier. Mais j’ai tout changé de place. Et j’ai acheté de nouveaux meubles. Avant, c’était « chez Nicole et Roger ». Maintenant, c’est « chez Nicole »…»
Marcel, veuf depuis deux ans, père de trois garçons, ne savait trop que faire des effets personnels de son épouse. «Comme je n’avais pas de filles, dit-il, j’ai convoqué ma sœur, ma nièce, ma bru. Je leur ai demandé de prendre tous les vêtements et les bijoux qu’elles voulaient. Puis j’ai donné ce qui est resté à un organisme de charité. Ça n’a pas été facile. Mais j’ai attendu d’être prêt pour le faire. Par contre, et j’ai été le premier étonné, je n’ai rien changé dans la maison. Et je suis bien comme ça.» Le seul changement, une belle photo de la défunte, encadrée, avec le poème qu’il avait fait imprimer sur les cartes de remerciement, après le service funéraire.
Nicole a elle aussi gardé une grande photographie de son mari au cœur de son logement. «Tous les soirs, avant de me coucher, je lui dis bonne nuit !» Elle a tenu à conserver les vêtements qu’il portait le jour de sa mort.
En ce domaine comme ailleurs, le juste milieu est souvent le plus sûr. Entre transformer son logis en un sanctuaire, un musée à la mémoire de l’autre, et faire disparaître toutes traces de son existence, il faut chercher l’équilibre. «Il faut surtout faire ce qui nous fait du bien, résume Andrée Lafontaine. Et le faire à notre rythme.»
Le rôle de l’entourage
Le rôle de l’entourage
Comment aider une personne qui vit un deuil? Quoi faire? Quoi dire? «Le meilleur conseil que je pourrais offrir aux proches d’une personne en deuil, avance Andrée Lafontaine, c’est d’être disponible, d’écouter, de ne pas juger. Et… de ne pas donner de conseils!»
Difficile, quand on voit une personne aimée s’abîmer dans la peine. Quand on a l’impression qu’elle s’y enlise. Et que l’on voudrait tant qu’elle retrouve sa joie de vivre! Mais quelle que soit la situation, il faut éviter à tout prix de la «brasser» et, surtout, de lui asséner des phrases toutes faites : tourne la page; essaie de te changer les idées; le temps arrange les choses; tu peux refaire ta vie… Même portés par les meilleures intentions, ces commentaires n’aident en rien la personne éprouvée.
«Le problème, aujourd’hui, explique Louise Grenier, psychanalyste et psychologue, membre de l’Ordre des psychologues du Québec, c’est que l’on demande aux gens de faire leur deuil trop rapidement. On veut bien qu’ils pleurent pendant un mois ou deux, mais on voudrait qu’après, ils passent à autre chose! Or, c’est justement après que c’est le plus dur… Quand les gens de notre entourage retournent à leurs propres préoccupations. Quand on se retrouve dans le vide, tout seul dans son appartement, dans sa vie. C’est là que l’on est le plus ébranlé. Et ça peut prendre un an, deux ans, avant de réapprendre à vivre.»
Entre temps, il faudra surtout parler, dire, exprimer ce que l’on vit. Évacuer les émotions qui nous assaillent, quelles qu’elles soient : angoisse, peur, colère, peine, ressentiment, culpabilité… Sinon, les risques que le deuil se complique sont grands.
Médecins de l’âme
Le deuil n’est pas une maladie, c’est un processus normal, dynamique, qui fait partie de la vie. «Si l’on a un bon réseau d’amis, rappelle Louise Grenier, on n’aura sans doute pas besoin d’aller consulter un professionnel.» Nicole Guy a eu la chance d’être très bien entourée. «Mon amie Diane et mon frère Robert ont été extraordinaires. Ils m’ont soutenue, et pas seulement moralement. Diane s’est occupée de toute la paperasse. J’étais tellement désorientée, elle me disait où aller, quoi faire, quels papiers signer.»
Mais tous n’ont pas sa chance. Quand doit-on aller chercher de l’aide à l’extérieur? «Si la souffrance persiste au-delà de deux ans, dit Louise Grenier, si l’amertume s’en mêle, si l’on vit le deuil comme une injustice, que l’on devient jaloux du bonheur des autres, si l’on voit nos amis s’éloigner de nous, si l’on a des idées suicidaires, que l’on ne prend plus soin de soi, que l’on ne mange plus : c’est là qu’il faut intervenir.»
Après avoir établi des liens de confiance avec la personne qui vit un deuil compliqué, le psychologue va l’aider à parler, à évacuer ses émotions. Les groupes d’entraide peuvent aussi être d’un grand secours. Parler avec des gens qui vivent la même chose que nous procure, pour certains, un grand réconfort. Les animateurs sont là pour diriger les conversations et intervenir au besoin. «La personne décédée nous laisse un héritage humain, rappelle Andrée Lafontaine. C’est la théorie de Jean Monbourquette, théologien et psychologue, auteur de Grandir : aimer, perdre et grandir, qui a donné son nom à un centre d’aide aux personnes endeuillées basé à Montréal (La maison Monbourquette). Et c’est aussi la nôtre, à L’Hibiscus. En groupe, on va encourager les endeuillés à nous parler de la personne disparue. À nous énumérer les qualités qu’ils appréciaient le plus chez elle. Ils sont toujours étonnés d’apprendre que, presque systématiquement, ces qualités-là, ils les possèdent eux aussi et qu’ils peuvent désormais chercher à les développer davantage. Cette prise de conscience leur donne l’impression que tout n’a pas été vain, qu’ils n’ont pas été floués complètement.»
Pour la suite du monde
Pour la suite du monde
«Utiliser les fruits d’un deuil», c’est une responsabilité vis-à-vis de soi, écrit Christophe Fauré. Une responsabilité que nous n’avons pas le choix d’accepter. Le deuil est un passage inévitable. Une épreuve incontournable. «On vit dans une société qui veut tout contrôler : notre corps, notre santé, nos comportements, déplore Louise Grenier. Mais on ne contrôle pas tout dans la vie…» La mort vient brutalement nous le rappeler.
Mais, comme nous le rappelle le Dr Fauré, «sans qu’on puisse en saisir le sens, la vie continue. Elle poursuit cette mystérieuse et cruelle alchimie qui réunit les êtres pour, un jour, mieux les séparer (…). Envers et contre tout, elle accorde à chacun sa place et laisse ouverte sa promesse de joie et d’accomplissement…»
* Pour connaître les lieux et les horaires des rencontres organisées par L’Hibiscus dans la région de Québec, contactez Andrée Lafontaine, au (418) 651-4041, ou Carmen Perron, au (418) 688-3918.
Les couleurs du deuil
Autrefois, la durée du deuil était généralement fixée, pour les conjoints, à un an pour le veuf et à deux ans pour la veuve. Pendant la période dite de grand deuil, qui durait une année, la veuve ne devait porter que des vêtements noirs. Passé ce délai, les conventions lui permettaient de revêtir du violet, du mauve ou du gris, et ce, jusqu’au terme du deuil. C’est ce que l’on appelait la période de demi-deuil. Le veuf, pour sa part, devait porter des vêtements sombres et éventuellement un crêpe noir autour de son chapeau ou en brassard. Ces conventions donnaient au deuil un caractère social. Les gens étaient partout reconnus dans leur peine, au marché, à l’église, sur la rue.
Aujourd’hui, il n’y a, en général, plus de marques extérieures de deuil, et de fait, plus de deuil social à proprement parler. Ce qui nous coupe d’une reconnaissance et d’un soutien extérieur supplémentaires.
Source : Wikipedia.org
La maison Monbourquette
Mission
- Aider les familles et les personnes qui vivent ou ont vécu avec difficulté un décès ou une disparition, à mieux vivre leur deuil.
- Faciliter l’accès aux services de suivi de deuil dans le milieu de vie des familles et des personnes.
- Contribuer à renouveler, régénérer, revivifier la période du deuil.
Coordonnées
150, rue de L’Épée
Outremont (Québec) H2V 3T2
Tél. : (514) 523-3596 et 1-888- 423-3596; www.maisonmonbourquette.com
infos@maisonmonbourquette.com
À lire
Vivre le deuil au jour le jour, par le Dr Christophe Fauré, Éditions Albin Michel, 2005.
Passages obligés, par Josélito Michaud, Éditions Libre Expression, 2006.
Dernier automne, par Pierre Monette, Boréal, 2004.
Grandir : aimer, perdre et grandir, par Jean Monbourquette, Éditions Novalis, 2004.
De l’autre côté des larmes, par Suzanne Pinard, Éditions De Mortagne, 2005.
mise à jour le 2007-10-15
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