J’aime mon âge!

J’aime mon âge!

Par Caroline Fortin

Crédit photo: iStock

Assumer les années qui s’ajoutent au compteur n’est pas toujours facile. Pistes de réflexion pour y arriver.

S’il est une information que Murielle Poitras, retraitée de la fonction publique et propriétaire d’une agence de rencontres depuis 28 ans, n’a jamais refusé de divulguer, c’est bien son âge. «J’aurai 65 ans en octobre, et je vais souligner mon anniversaire haut et fort par un party, comme je le fais et continuerai de le faire chaque année. Parce qu’on ne sait jamais si ce sera le dernier!»

On n’est pas tous aussi à l’aise de dévoiler ce chiffre. Et pour cause: «La façon dont notre société perçoit la vieillesse influence l’attitude qu’une personne aura envers son âge et son vieillissement», fait remarquer Jean-Louis Drolet, psychologue et auteur de La route du sens: l’art de s’épanouir dans un monde incertain (Éditions de l’Homme). Selon ce dernier, l’âgisme, l’opposition entre jeunes et vieux, la discrimination et les préjugés associés aux âges, une certaine conception de la beauté liée à la jeunesse, l’utilité sociale des gens âgés, qui est loin d’être reconnue: toutes ces réalités sociales incitent à se protéger.

Embrasser la vie

Même si on vit dans une société qui valorise la jeunesse, ça ne veut pas dire qu’on doive jouer ce jeu. «Le vieillissement est aussi et avant tout une question individuelle: chaque personne est confrontée à son âge et à ce qu’il représente pour elle. À chaque étape de la vie, on a des efforts à faire pour contourner les obstacles de tous ordres. Il ne faut donc surtout pas se stigmatiser soi-même et se dire: ‟Je suis vieux, je suis vieille, maintenant!ˮ Nous ne sommes pas notre âge, mais des personnes avec un vécu qui poursuivent leur route et leur développement», nuance Jean-Louis Drolet.

C’est en outre le propre des gens qui assument leur âge: ils mordent dans la vie. «Ils ont en commun d’intégrer cette compréhension de l’existence et de sa finitude sans que ça les effraie ou les freine. Quand on résiste à l’âge, on se préoccupe davantage du temps qui passe plutôt que de s’engager à fond dans des projets qu’on aura choisis. L’âge devient alors un prétexte pour ne pas bouger, ne plus explorer, innover, créer. Accepter son âge, c’est être vrai et honnête envers soi-même. C’est se valoriser et valoriser sa vie, là où elle est rendue, ce qui est une condition essentielle pour pouvoir lui donner un sens. Par ailleurs, reconnaître son âge nous sert de borne, de repère. Ça nous aide à planifier le reste de notre vie et à la vivre pleinement», affirme le psychologue.

Ce qui est assurément le cas de Murielle. «Ça ne veut pas dire qu’il faut vivre en attendant la fin. On dépense sa vie dans ce temps-là, on ne la vit pas. Je me suis bâti une belle vie, j’ai toujours des projets, je suis créative, je donne des ateliers de peinture, je suis bien avec moi-même et dans mon corps, et je me suis bien entourée. Je pense fermement qu’on doit créer soi-même son bonheur et ne pas attendre qu’il vienne des autres. C’est ce qui nous permet, selon moi, de mieux vieillir.»

L’âge, c’est dans la tête

Même s’il est galvaudé, cet adage est plus vrai qu’on ne le pense. Car la recherche démontre que bien vieillir est fortement corrélé à une bonne santé psychologique, laquelle permet de mieux faire face aux changements induits par le vieillissement, de vivre notre vie comme on l’entend, explique Jean-Louis Drolet. «On peut observer, dans la pratique et en général, que plus on est satisfait de soi et de son parcours de vie, plus ce sera facile d’accepter son âge et d’entrevoir l’avenir avec optimisme. Ce qui soulève la question du bilan de vie, cette évaluation qui vient avec le vieillissement, et par ricochet la capacité de gratitude: suis-je capable d’apprécier ma vie, celle que j’ai eue et celle que j’ai maintenant, malgré les erreurs, les difficultés éprouvées? Plus je refuse mon âge, moins je serai en mesure de faire de ma vie quelque chose d’intéressant», explique le psychologue.

Il y a aussi que, en vieillissant, étant de moins en moins dans le paraître et de plus en plus dans l’être, on a l’occasion de laisser davantage de place à sa vie intérieure. «La vieillesse est une étape qui a, là où c’est possible, pour objectif de mettre de l’ordre dans notre vie, de lui donner un sens et de résoudre les conflits non résolus. Cela demande un travail sur soi, beaucoup de réflexion et, préférablement, de l’aide. On peut s’attaquer à ce qui nous mine présentement (par exemple, la solitude, les relations, l’amour, les enfants, le manque d’intérêt ou de passion…). Aller à la découverte de soi, évoluer, apprendre de nouvelles choses, exprimer de nouvelles émotions, revoir notre vision de la vie. Et contrecarrer les croyances erronées et préjugés négatifs concernant l’âge, comme les fameux ‟Il est trop tardˮ, ‟Qui va s’intéresser à un projet de vieux?ˮ, ‟À mon âge, je ne serai pas capableˮ…» conclut le psychologue.

Mieux assumer son âge

Nous voudrions tous être comme Murielle et célébrer notre âge en grande pompe. Histoire de nous donner un coup de pouce, il y a fort heureusement des gestes à poser qui nous aideront à y arriver en champion!

Garder la forme. «Notre corps vieillit, oui, mais se laisser aller physiquement, c’est capituler devant la vie, c’est ne pas faire le nécessaire pour conserver notre valeur à nos propres yeux», rappelle le psychologue Jean-Louis Drolet.

Se raisonner. «Il faut se parler, comprendre que vieillir, c’est la seule façon de rester en vie. Si on refuse de vieillir, c’est comme si on préférait mourir, et cette attitude a beaucoup d’incidence sur le plan psychologique, puisque ça nous fait mourir à petit feu de notre vivant. On doit prendre le temps de découvrir tous les bienfaits et possibilités que recèlent notre présente étape de vie et toutes les autres à suivre», affirme le psychologue.

S’affranchir. Du regard des autres, d’abord. «De toute façon, à moins que les gens ne nous le disent, on ne sait pas ce qu’ils pensent! Alors, on essaie de s’en ficher», illustre avec humour la psychologue et psychanalyste Marie-Ange Pongis-Khandjian. Mais également du sien. «Il n’y a pas de pire juge que soi-même. Décider d’être heureux malgré ses rides, sa calvitie, son corps qui parle, c’est ça, la bonne attitude à adopter», renchérit-elle.

Pratiquer la gratitude. «Savourer tous les bons moments, aussi simples soient-ils – l’odeur du café le matin, le chant d’un oiseau, les couleurs d’automne –, aide à sortir du marasme, de la tristesse», poursuit-elle.

Avoir des modèles. «Les gens qui vivent bien leur avancée en âge ont des choses à nous apprendre, et s’en inspirer nous encourage», résume Jean-Louis Drolet.

Rester curieux. C’est l’un des secrets de Murielle Poitras. «J’ai une ouverture sur le monde, je me tiens au courant de ce qui se passe dans la société, des goûts culturels de mes petites-filles de 10 et 12 ans. Ça ne veut pas dire que j’écoute toute leur musique, mais elles m’en font découvrir que j’aime! J’ai le goût d’apprendre, de côtoyer des gens qui me nourrissent.»

Avoir des projets. «À quoi on se raccroche quand on n’a pas de plans ni de projets? Je dis toujours: fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité. Être heureux, avoir des projets, ce n’est pas si compliqué, et ça aide à bien vieillir», témoigne Mme Poitras.

Chasser le négatif. «S’apitoyer, anticiper les moins bons côtés à venir, se tourmenter sur ses limites réelles ou perçues ne nous apporte rien d’utile, énumère Jean-Louis Drolet. Il faut prendre l’habitude de transformer les désavantages en avantages, adopter une posture plus positive. Se dire, par exemple: ‟J’ai un peu mal au genou aujourd’hui, alors j’en profite pour lire un bon livre.ˮ Bref, voir le bon côté des choses, tout en abordant la vie avec lucidité et courage.»
• Se rendre utile. Que ce soit en faisant du bénévolat, en étant actif socialement ou en agissant comme mentor, consultant, etc.

Consulter. Si, malgré tout, on a de la difficulté à accepter de vieillir, voilà une avenue à envisager. «J’ai des patients qui viennent me voir pour cette raison, mentionne Mme Pongis-Khandjian. La parole est quelque chose qui libère. La meilleure définition de la thérapie, c’est une patiente qui me l’a donnée: c’est agrandir une maison par en dedans. On se fait de l’espace pour penser, vivre, pleurer. Et ça, ça peut être utile à n’importe quel âge.»

Elles apprécient leur âge

Au cours des dernières années, nous avons interrogé plusieurs personnalités québécoises. Certaines d’entre elles nous ont livré des propos marquants quant à l’acceptation de leur âge. Nous avons jugé opportun de remettre en lumière ces sages paroles.

Elise Guilbault

«J’aime mon âge parce qu’avoir les deux pieds dans la soixantaine* me prouve que je suis encore debout et, si ça se trouve, plus en forme que quand j’avais 40 ans. Ça me rassure. À 40 ans, je me trouvais trop ci, pas assez ça, à 50, trop ci, trop ça, à 20 ans c’était terrible, je me trouvais hors sujet. Je m’efforce d’être vraiment dans mes souliers, de réaliser que j’ai une très belle vie. Ça fait un peu peur, parce qu’il m’en reste moins devant que derrière, mais si j’apprends à vivre au jour le jour, je devrai déclarer que je suis comblée.»

Nathalie Simard

«Si vieillir m’angoisse? Zéro. Ma jeunesse, je l’ai rushée. Aujourd’hui, j’ai des outils, je n’ai plus peur de rien. J’ai déjà dormi avec mes Félix parce que j’avais peur de tout, et comme c’est lourd, ça aurait fait une bonne arme. Il y en a qui arrivent à 50 ans et qui dépriment, pas moi! C’est la délivrance. En tout cas pour moi. Je me suis enfin trouvée. Ça a été long. Mais le chemin en a valu la chandelle. Je suis dans l’humilité. Ma tournée ne fonctionnerait pas? Pas grave! J’aurai essayé. Je ne veux pas vivre dans les ‟j’aurais donc dûˮ».

Louise Portal

«Il faut accepter qu’on ne peut plus avoir la carrière qu’on avait à 30 ans. Et ça, ça se prépare. Si on est capable d’accueillir chaque décennie et de voir ce qu’elle a à nous offrir, et aussi à y perdre, on peut vieillir sereinement. On continue de s’épanouir. On ne peut pas non plus ne s’identifier qu’à son travail. C’est une erreur que plusieurs font, car on est dans une société de performance. Ma carrière m’a beaucoup apporté, mais on doit savoir rebondir quand on nous délaisse. Moi, j’ai l’écriture, et je pourrai écrire jusqu’à la fin de mes jours.»

* N.D.L.R. Nous avons adapté le texte pour qu’il reflète l’âge d’Élise.

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