La bru dont on rêve, c’est la femme parfaite qui partage nos valeurs, qui apprécie les qualités de notre rejeton, qui l’épaule, l’aime et le dorlote comme nous l’avons fait ou aurions voulu le faire… Et nous attendons de lui qu’il soit pour elle un amoureux attentif et qu’il ne reproduise surtout pas les comportements de son père qui nous ont fait souffrir. Or, il semble que nous n’ayons plus grand-chose à dire…
Nous ne naissons pas belle-mère, nous le devenons, progressivement. Dès les premières amours de nos fils, nous connaissons nos premiers émois de belle-mère. Fière de voir notre enfant amoureux, nous sentons déjà qu’il nous quitte un peu pour cette fille qui semble prendre toute la place. D’une amoureuse à l’autre, les petits détachements se succèdent, jusqu’au jour où le fils part avec l’aimée qui est désormais celle qui est tout pour lui. Là, ça y est, nous nous savons remplacée.
Il peut y avoir rivalité, à un niveau inconscient, bien sûr. «La mère met un fils au monde pour le remettre au monde, explique Geneviève Hone, travailleuse sociale et thérapeute conjugale et familiale. Elle doit l’aider à partir.» Or, elle a beau vouloir qu’il parte parce qu’il est adulte et que le temps est venu, elle veut aussi qu’il reste parce qu’elle a l’impression qu’il n’est pas prêt et qu’elle n’a pas fini de l’éduquer. Ambivalente, la mère, devenue belle-mère, risque de vivre un tiraillement qui vient de sa propre résistance à accepter que cet homme, son fils, doit la quitter, et non de la belle-fille qui lui apporte en quelque sorte de l’aide pour laisser partir son rejeton.
L’une des critiques les plus courantes faites aux belles-mères serait d’ailleurs qu’elles refusent de se détacher de leur fils et qu’elles deviennent, de ce fait, envahissantes. C’est ce que soutient la psychothérapeute Lalie Walker, auteure de Belle mère belle-fille, un mariage à trois.
Les pièges
Les pièges
«Le syndrome de la belle-mère contient un ensemble d’attitudes que toute mère voudrait éviter d’adopter devant son fils (surtout) et devant sa future belle-fille (éventuellement): critiquer, jalouser, juger, comparer, rabrouer, se positionner en tant que rivale, se plaindre perpétuellement et ne pas savoir rester à sa place, ou encore ne jamais la trouver. En un mot, offrir une image détestable, et socialement contestable», écrit Lalie Walker.
Pour empêcher le syndrome de la belle-mère de nous atteindre et de nous convertir en harpie, nous devons contourner certains pièges. Il nous faut ainsi éviter de considérer notre belle-fille comme notre fille ou notre amie, nous empêcher de la percevoir comme une menace et veiller à ne pas nous ingérer dans la vie du couple qu’elle forme avec notre fils. Nous l’accueillons dans notre famille, nous la considérons presque comme notre fille, nous entretenons avec elle des liens affectueux et amicaux, mais notre belle-fille reste notre belle-fille. Elle a déjà une famille et une mère bien à elle. Elle a des collègues, des amis.
Hélène Boisvert se méfie d’ailleurs des liens d’amitié entre belle-mère et belle-fille. «C’est délicat, soutient-elle. La belle-mère peut devenir une confidente à l’insu de son fils. Les conflits de loyauté sont alors possibles.» Selon Geneviève Hone, nous devrions tenter de percevoir notre belle-fille comme une étrangère intéressante qui nous invite à découvrir qu’ailleurs les choses se font différemment. Il ne s’agit donc pas de l’assimiler, de la forcer à adopter nos lois et nos façons de faire, ni de l’éloigner en affichant une certaine indifférence ou en la critiquant ouvertement, mais de l’accepter et de l’aimer avec ses différences. «Cela exige parfois que l’on prenne du recul et qu’on l’observe dans un panorama plus large», fait-elle remarquer.
Ainsi, plutôt que de nous impatienter parce que nous jugeons que notre belle-fille se bat inutilement avec la dernière cuillerée de petits pois que bébé ne veut pas avaler, nous nous retirons un instant en nous-même pour nous souvenir de ses bons coups et observer qu’elle se débrouille fort bien…
Ni ennemie ni menace
Nous trouvons que notre belle-fille n’est pas la femme qui convient à notre fils ? Qu’elle le mène par le bout du nez, qu’elle l’accapare, qu’elle ne sait pas vivre, qu’elle n’a pas d’intérêts, qu’elle le retient loin des siens ? C’est pourtant la femme qu’il a choisie et nous ne pouvons que respecter ce choix. «C’est ça, laisser partir son fils…», note Geneviève Hone qui invite tout de même à se demander pourquoi elle nous heurte tant.
«Il faut beaucoup de force de caractère pour se taire et laisser ses enfants vivre leur vie, surtout quand l’expérience nous avertit des dangers. J’essaie d’avoir cette force», écrit Janette Bertrand, dans Ma vie en trois actes. Et elle a raison, c’est de leur vie dont il est question. Même s’ils se trompent, ça ne regarde qu’eux. «Ça fait partie de leur expérience», dit Hélène Boisvert qui rappelle qu’à partir du moment où le fils est autonome et gagne sa vie, nous n’avons plus à intervenir à moins d’une demande explicite de sa part. Ce qui ne veut pas dire que nous aimerons sa conjointe. Il se peut que nous ayons peu de choses en commun, peu de choses à nous dire, mais nous devons l’accueillir, l’accepter et la respecter. Et lorsque ce respect est réciproque, le bonheur est proche.
Quand rien ne va plus…
Quand rien ne va plus
Il est difficile, parfois même déchirant, de voir partir une belle-fille à laquelle on s’était attachée. Rien ne sert de feindre l’indifférence. «On peut lui dire qu’on a de la peine de la voir quitter notre famille, qu’on gardera d’elle un souvenir précieux et lui demander quel type de lien elle souhaite, ou non, garder avec nous, dit Geneviève Hone. Elle doit elle-même décider du degré d’éloignement qui lui est nécessaire.»
Et si le fils s’oppose au maintien des liens ? «Dès qu’il y a une rupture, en un certain sens, cela ne concerne plus le fils, poursuit la thérapeute. L’ex-conjointe et la belle-mère n’ont pas à s’allier contre le fils, la belle-mère n’a pas à percer les mystères de la séparation, mais elles peuvent garder un lien si elles le souhaitent toutes deux. Le fils, lui, doit grandir et les laisser vivre.» Hélène Boisvert, pour sa part, craint les possibles conflits de loyauté. «Le lien avec la belle-fille s’est tissé par le biais du fils, dit-elle. S’il n’est plus en relation avec elle, nous nous retirons aussi.»
Savoir se retirer
Savoir se retirer
«Le travail de parents a une fin. On met des enfants au monde pour qu’ils volent de leurs propres ailes. Lorsqu’ils le font, on n’a plus à intervenir», rappelle la psychologue Hélène Boisvert, pour qui la relation belle-mère belle-fille est avant tout question d’ouverture, de souplesse et de respect : respect du couple de nos enfants, de leur intimité et de leur environnement. «Il faut savoir se retirer», dit-elle.
«La tâche de la belle-mère, c’est de s’enlever du chemin», soutient également Geneviève Hone. Ce qui suppose que la belle-mère a un chemin à elle, qu’elle ne compte pas sur le fils pour combler un vide émotif et qu’elle n’attend pas non plus qu’il lui rende l’amour qu’elle lui a donné, mais qu’il le transmette à ses enfants.
Dans Nous, les belles-mères, la journaliste, écrivaine, mère, grand-mère et… belle-mère – «B-M», comme elle dit! – Christiane Collange affirme que toute B-M se doit d’être zen, c’est-à-dire d’avoir une vie aussi satisfaisante possible, de se chercher un bonheur à elle, plutôt que d’attendre qu’il vienne des enfants, et d’apprendre à n’intervenir dans leur vie que lorsqu’ils en expriment le désir. Elle prône les trois D des B-M : discrétion, disponibilité et diplomatie. «Notre devise de B-M devrait être: ta langue tu retiendras, tes gestes tu domineras, tes élans tu maîtriseras…», écrit-elle tout en reconnaissant qu’il peut être frustrant d’être belle-mère, car la belle-mère qui aime vraiment ses enfants doit se mêler le moins possible de leur vie, malgré l’amour qu’elle a à donner, au risque de se transformer en haïssable belle-mère!
Et la belle-fille?
Et la belle-fille?
Mais si nous jugeons notre belle-fille, elle peut nous juger aussi. «De par sa relation privilégiée à son compagnon, la belle-fille aura un regard sur la manière dont il a été élevé et, en cela, elle peut comprendre ou s’imaginer quelle mère sa belle-mère a été et, plus largement, quel être humain elle est. La menace de ce double regard que pourrait porter la belle-fille est intolérable pour certaines belles-mères… Le revers de l’intrusion maternelle, en quelque sorte», écrit Lalie Walker. Troublant, parfois.
Malgré toute notre bonne volonté, nous avons dû commettre des erreurs. Malgré nos bonnes intentions, nous n’avons pu combler tous les besoins et tous les désirs de nos enfants. Si l’on croit que l’on aurait dû être une mère parfaite, on se sent plus facilement menacée par une belle-fille. «Si l’on s’attaque soi-même comme mère, si l’on se culpabilise pour ce que l’on n’a pas fait, si l’on est trop sévère envers soi-même, on va se projeter sur sa belle-fille et craindre qu’elle ne nous juge durement, dit Geneviève Hone. La maturité, c’est de se rendre compte que l’on se promène sur terre avec notre manteau d’imperfection…»
Ingérence
Être belle-mère, c’est donc apprendre à faire profiter nos enfants de notre expérience, mais sans ingérence, à proposer plutôt qu’à affirmer. «On les laisse prendre l’initiative de leur demande, explique Geneviève Hone. On leur signifie, par exemple, que l’on voit que ça ne va pas, et on leur demande si on peut faire quelque chose. Bref, il faut demander la permission… même pour rendre service !»
Il faut aimer assez nos enfants pour accepter de ne plus être incluse dans leur environnement. «On devient de la visite. On ne se rend pas chez nos enfants sans les aviser et sans être invitée. Mieux vaut être désirée qu’être de trop !», affirme Hélène Boisvert. Belle-mère, nous restons discrète. Même si l’envie nous tenaille, nous ne cuisinons pas notre belle-fille pour avoir des nouvelles de notre fils ou pour en apprendre plus sur la relation du couple. Et si c’est notre belle-fille qui se plaint de notre fils ? «On lui rappelle que c’est de notre fils dont il s’agit et que l’on ne veut pas prendre parti», dit Hélène Boisvert. Mais on peut écouter…
Bref, il faut faire tout ce qui est possible pour éviter les blessures. Les malentendus sont possibles et dégénèrent vite… Or, se fâcher avec ses enfants, c’est quelque chose dont on ne se remet pas, avertit Christiane Collange. Si le fils prend le parti de sa femme, la mère se sent trahie. S’il prend le parti de la mère, sa femme se sent trompée… Mieux vaut éviter de nous mettre dans de tels pétrins. Restons avec Christiane Collange dans le «faire attention» et, si les drames éclatent, essayons de tendre la main la première.
À lire
Belle-mère belle-fille, un mariage à trois, par Lalie Walker, L’Archipel, 2005.
Nous, les belles-mères, par Christiane Collange, Fayard, 2001.
Ma vie en trois actes, Janette Bertrand, Libre Expression, 2004.
Et comme le processus de détachement se manifeste dès l’adolescence :
Les adolescents: les encourager, les protéger, les stimuler, par Geneviève Hone et Julien Mercure, Novalis, 1996.
Mise à jour: juin 2007
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