Avec les beaux jours arrive aussi le retour du Cadien bienaimé. En plus d’un album magnifique qui célèbre ses 50 ans de carrière, le chantre de la culture française en Louisiane a entamé une tournée qui le mènera au Québec et en Acadie, la terre de ses ancêtres, qui ont façonné son riche parcours.
Avec Danser le ciel, vous arrivez là où on ne vous attendait pas… avec un orchestre de chambre. Vous rêviez depuis longtemps de donner de nouveaux habits à vos chansons marquantes?
Il y a environ cinq ans, j’ai chanté plusieurs de mes succès avec la Acadiana Symphony Orchestra, en Louisiane. La réaction du public dans la salle et sur Facebook, où j’avais mis un extrait, a été dithyrambique. Et moi, j’y ai pris énormément de plaisir, ça me sortait de mes habitudes. C’est là que l’idée a germé pour l’album. L’objectif n’était pas d’enrober mes chansons de sucre, mais de révéler une autre facette de mon répertoire en le revisitant avec un orchestre de chambre. Je n’ai pas une énorme connaissance de la musique classique, mais j’aime beaucoup certains compositeurs du début du 20e siècle, comme Debussy, Satie, Stravinski, Ravel. Ces harmonies, qui sont complexes pour un musicien folk comme moi, m’inspirent.
Outre vos classiques, l’album comprend deux nouvelles chansons, dont Danser le ciel, que vous avez écrite pour votre mère, décédée en janvier dernier. La musique peut-elle aider à surmonter un deuil?
Absolument. Il y a rien de plus réconfortant, selon moi – à part l’amour de ses proches et les mots gentils –, que la musique, qui est très apaisante. Elle véhicule des émotions, apporte de la force. Quand un proche nous quitte, il y a beaucoup d’adrénaline avec les funérailles, la succession… toutes ces choses sont très prenantes. Heureusement, parce qu’on arrive à passer à travers cette période extrêmement pénible grâce au fait d’être occupé. Alors, quand tout ça a été fini, je me suis retrouvé chez moi, avec ma guitare, et j’ai composé cette chanson, et c’est là que j’ai véritablement commencé à faire le deuil de ma mère. C’est un cadeau qu’elle m’a fait, en quelque sorte. Et c’est une célébration de sa vie, parce que c’était une femme joyeuse.
En mai, vous entamez une tournée qui débutera au New Orleans Jazz & Heritage Festival, pour vous mener ensuite au Québec et en Acadie. Vous devez avoir hâte de retrouver le public…
Oui, car la dernière fois où j’ai été sur scène, c’était en novembre 2019! Je me présente donc avec une certaine fébrilité, parce qu’il faut que je me souvienne de mes accords! (rires) Monter sur scène est une expérience très spirituelle pour moi. La musique nous accompagne depuis les débuts de l’humanité et il y a encore aujourd’hui ce besoin de rejoindre l’esprit par le chant, la musique, la parole.
Vous êtes devenu le défenseur le plus connu de la culture cadienne… Le moteur de ce combat, c’est la révolte ou l’amour?
C’est les deux, exactement. Mes grands-parents étaient monolingues francophones. Je me révoltais contre cette exclusion qu’ils ont sentie parce qu’ils ne parlaient pas anglais et qu’il y avait un certain mépris de la communauté francophone en Louisiane tout simplement parce que nous étions pour la plupart illettrés. Mais il y avait, de l’autre côté, l’amour que j’ai éprouvé pour mes grands-parents. Ma revendication de la culture française en Amérique du Nord est donc aussi attachée à ce sentiment.
En 2010, vous vous êtes opposé à ce qu’une rue de Québec soit nommée «rue des Cajuns». Pourquoi le terme «cajun» vous dérange-t-il?
Nous sommes des Acadiens, mais si on retourne en Acadie coloniale, sous Henri IV, le pays était appelé à la fois Acadie et Cadie. On n’en connaît pas l’étymologie, on imagine que ça vient de l’Arcadie des Grecs, mais il y a aussi une autre théorie, celle que je soutiens, voulant que ça vienne d’un mot malécite, quoddy, qui veut dire «terre fertile». Mais peu importe, à la fin du 19e siècle, les Acadiens des Maritimes ont opté définitivement pour Acadie, tandis que nous, en Louisiane, on n’a pas reçu le message, alors on a continué à s’appeler Cadiens, qui se prononce cadjins. Les Américains, en entendant ce mot, ont transcrit ça en cajun, qui se prononce pareil. Alors les Français, et même certains Canadiens-Français, nous appellent les Cajuns. Nous, ça nous hérisse les poils un peu, parce qu’on n’est pas des Cajuns, on est des Cadiens. C’est important d’appeler les choses par leur nom. Je ne dirai pas que c’est une insulte, mais un manque de sensibilité et de connaissance.
Vous fêtez cette année vos 50 ans de carrière. Quand vous regardez derrière, quels moments charnières ont fait de vous l’artiste que vous êtes aujourd’hui?
Il y a eu quelques interventions de mon héritage, je dirais même de mes ancêtres. Le premier album que j’ai enregistré, en 1974 [High Time], était en anglais. Mais comme le contrat a échoué, il n’est sorti que 30 ans plus tard. L’argent m’a quand même permis d’acquérir mon accordéon diatonique, instrument qui m’a propulsé dans l’univers de la musique française de la Louisiane. C’est là que j’ai formé le groupe Bayou des mystères, qui intégrait des mélodies traditionnelles à un son rock’n’roll. Puis je suis allé au Québec, et j’ai découvert une société francophone en Amérique du Nord qui m’a énormément inspiré et qui continue de le faire. Après avoir traîné ma brouette partout dans la Belle Province, je suis revenu chez moi. Quinze ans plus tard, mon héritage est venu me chercher de nouveau: j’ai participé au Congrès mondial acadien, en 1994, qui a changé ma vie puisque j’y ai découvert l’histoire des Acadiens. Ça m’a inspiré mon plus grand succès, l’album Cap enragé. Donc, on peut dire que l’accordéon m’a conduit sur la piste de la musique traditionnelle cadienne, et mes premiers contacts avec la France et le Québec m’ont encouragé à devenir un auteur francophone. Ce qui ne m’empêche pas de chanter et de composer en anglais. Comme disait Aimé Césaire qui parlait, lui, du créole et du français, me séparer d’une de mes deux langues serait comme de me couper une des deux mains.
Et si on parle de l’homme, qu’est-ce qu’il a à 71 ans qu’il n’avait pas à 21 ans?
Je n’ai plus le feu que j’avais à 20 ans ou même à 50. J’avais 45 ans quand Cap enragé est sorti. J’ai tout prouvé, il me reste juste à partager. Ce qui me fait plaisir, c’est de pouvoir répandre un peu de bonheur dans ce bas monde. L’espoir n’est pas un cadeau, c’est un choix, un engagement. Aussi, je me consacre de plus en plus à l’écriture. Un des bons côtés de la pandémie, c’est que j’ai fini par terminer le roman que j’avais commencé il y a 30 ans. [NDLR: aucune date de publication n’est prévue pour l’instant.]
En 2013, vous avez enregistré un album que vous avez écrit avec votre petit-fils Émile, dont vous êtes très proche même s’il habite en France. Qu’est-ce qu’il vous apprend?
(rires) C’est mon gourou! Émile a un handicap neuromoteur. Malgré cela, c’est un puits de lumière, il est très positif. Il y a eu des moments où je perdais un peu espoir et il était là pour me crinquer. Il m’inspire parce que je ne peux pas imaginer ce qu’est la vie pour quelqu’un avec un tel défi. On est en train de préparer un album qui parle des transports en commun! On veut essayer de faire comprendre ce que vivent les handicapés à cet égard. À cause de la pandémie, il n’est pas venu en Louisiane depuis deux ans. Il m’aide sur mon terrain, je l’appelle mon tractor king.
Maintenant que vous êtes rendu «sur le versant nord» de vos jours, votre vision de la vie a-t-elle changé?
J’espère que mon regard s’est adouci un peu. Je pense qu’on pourrait me traiter d’égoïste sans avoir tort. J’essaie d’être de plus en plus sensible à mon entourage, à ceux et celles que j’aime, pour justement donner. C’est cliché, mais c’est vrai: on récolte ce qu’on sème, on reçoit ce qu’on donne. Et je suis de plus en plus reconnaissant de ces vérités.
Pour connaître les dates de ses spectacles: zacharyrichard.com.
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