Sage et tannant comme Réal Béland

Sage et tannant comme Réal Béland

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Marjorie Guindon

Il fait rire depuis plus de 30 ans. Qui aurait cru qu’il avait hâte de faire la couverture du Bel âge? Entretien avec un humoriste qui ne craint pas de vieillir.

Réal, vous l’avez dit sur les ondes de CKOI: j’ai hâte de faire le cover du Bel âge! Expliquez-nous pourquoi….

Je n’ai jamais eu de problème à vieillir. C’est sûr que quand on passe le cap de la cinquantaine, on se dit qu’on a plus que la moitié de faite, et c’est «freakant» parce que je veux voir vieillir mes enfants et petits-enfants. Mais je me suis toujours senti le plus jeune partout: dans ma tête, j’ai entre 25 et 30 ans. Donc pour moi, l’âge n’a pas d’importance. Reste que physiquement, bien sûr, ça se ressent. À 53 ans, même si je suis un grand sportif, j’aimerais être plus en forme, moins blessé. Pour le reste, tout va bien! Il y a une sagesse qui vient avec l’âge. Depuis une dizaine d’années, je ne suis plus du tout nerveux quand je fais des spectacles. Au contraire, je me sens comme en état de méditation.

Vous dites avoir fait le ménage dans vos amis à votre crise de la quarantaine. Qu’avez-vous fait au tournant de la cinquantaine?

Ce ménage, il a duré jusqu’à il y a deux, trois ans. Dans la cinquantaine, je fais le ménage des irritants dans ma vie. Ce n’est pas tout le monde qui a le choix de faire ce qu’il veut professionnellement, mais là, j’élimine ce que je ne veux plus faire. Je pense que ça nous rend meilleur, plus productif et mieux avec nous-même quand on fait des jobs qui sont moins irritantes. Je me concentre là-dessus pour la fin de ma carrière, puisque je ne veux pas arrêter, mais ralentir.

Vous avez grandi dans les coulisses des spectacles de votre père. Qu’est-ce qui vous fascinait dans son métier?

Mon père aurait 103 ans aujourd’hui! Ce métier me faisait plus peur qu’il me fascinait. Je sentais que c’était un milieu un peu artificiel, même si j’avais bien du fun à suivre mon père. Mais un papa, normalement, ça ne se fait pas reconnaître dans la rue. Donc, j’en étais méfiant. Et puis, timide comme je l’étais, jamais je n’aurais cru un jour devenir humoriste. J’ai tout fait pour ne pas être devant la caméra. C’est arrivé quand même. Mais je suis aussi très bien derrière, c’est pourquoi je fais davantage de mise en scène en vieillissant.

Vous avez reçu un diagnostic de syndrome d’Asperger il y a cinq ans, qui a jeté un éclairage nouveau sur cette timidité. Pourtant, votre carrière ne rime pas avec gars timide. Qu’avez-vous en vous qui vous permet de la dépasser?

Je m’en suis toujours servi sans le savoir. J’ai toujours réfléchi autrement, un peu sur l’accotement, disons. On peut rouler vite sur un accotement, mais il y a des risques de se faire mal ! L’envie de faire des mauvais coups avec mes amis ou de faire des affaires assez folles artistiquement, c’était mon moteur. Et il était plus fort que ma gêne. Puis avec le syndrome d’Asperger, on peut évoluer, travailler sur soi. J’ai des TOC, mais en vieillissant, je suis capable de mieux me contrôler. Plus jeune, jamais je n’aurais fait une séance photo comme celle-ci. Ou j’aurais demandé que ça ne dure pas plus qu’une demi-heure.

Y a-t-il quand même des avantages à vivre avec ce syndrome?

Oui, beaucoup. En conférence, je dis aux jeunes de se servir de leur Asperger. Parce qu’ils ont une ténacité que d’autres n’ont pas. Quand on nous confie une mission, on va juste penser à ça et on va vouloir arriver à nos fins. Dans mon métier, ma ténacité m’a servi, mais elle m’a aussi nui. Je suis devenu un workaholic qui a travaillé 18, 19 heures par jour. Ça m’a magané.

Vous avez même avoué que ça avait failli tuer votre couple et que c’est quand votre première fille, Charlotte, a eu 12 ans que vous avez commencé à ralentir. C’est l’âge que vous aviez quand votre père est décédé…

Oui, j’ai décidé de mettre ma famille en priorité, je n’avais pas le choix. Mais c’est facile de retomber. Quand on me présentait de beaux projets, je n’étais pas capable de mettre les freins parce que j’étais tellement excité. Aujourd’hui, je le fais. Je reporte pour ne pas m’en mettre par-dessus la tête.

Que pensez-vous avoir hérité de votre père?

Sûrement son Asperger. Avec le recul, je pense qu’il avait aussi ce syndrome. Des fois, on recevait de la visite, et il m’amenait dans la chambre pour écouter la télé parce qu’il ne voulait pas voir de monde. Ça me ressemble. Il m’a aussi légué son sens du comique. Et de la famille. Il passait le plus de temps possible à la maison. Bien sûr, il avait 51 ans quand il m’a eu, alors il avait plus de liberté que quelqu’un qui devient père à 30 ans. Je suis enfant unique, et j’ai quatre filles [en plus de Charlotte, il y a Juliette, Béatrice et Emma]. Pour moi, il n’y a rien de plus beau dans la vie qu’un souper le dimanche avec toute la gang.

Le père qu’il a été a-t-il influencé celui que vous vouliez être?

Oui, mais en même temps, je l’ai perdu trop jeune pour réaliser quel genre de père il était. Puis j’ai rencontré une fille qui avait deux sœurs. Leur papa était extraordinaire. Ç’a été un peu lui mon modèle. Après la mort de mon père, j’ai été élevé par deux femmes: ma mère est devenue lesbienne. Et mon parrain, qui était mon voisin, est décédé six mois après mon père. Donc, je n’ai eu que des femmes autour de moi. Ça a fait en sorte que je suis beaucoup plus à l’aise avec les femmes.

On a davantage connu votre famille avec l’émission Papa Marteau. Qu’est-ce qui vous rend le plus fier?

L’entraide. Et les quatre sœurs qui s’aiment, sont soudées, feraient tout pour protéger l’une des leurs, même si elles s’engueulent, des fois. Si quelqu’un fait du mal à une sœur, les trois autres vont mordre.

Charlotte a chanté Graine de muffin avec vous pendant la pandémie, mais à quel point vos filles connaissent les folies qu’a faites leur papa?

Il y a eu des projets différents dans ma vie, de la télé, du cinéma, j’ai écrit pour beaucoup de monde, donc elles ne savent pas exactement ce que je fais! J’ai fait des conneries, c’est clair. J’ai été à la limite d’être délinquant! J’ai été en prison au Maroc. Quand je tournais, ma blonde était sur les nerfs en me voyant partir parce qu’elle savait que c’était dangereux. Aujourd’hui, on ne pourrait pas faire ça. Avec mon complice Stéphane Lefebvre, on a arrêté nos conneries [comme les caméras cachées d’Au-delà du Réal] en 2008, juste à temps.

Un de vos personnages les plus célèbres, Monsieur Latreille, a déjà existé! Est-il au courant que vous faites du millage sur lui?

C’était mon voisin d’en face. Il est décédé quand j’étais jeune, mais sa famille, ses filles sont au courant. Elles m’appelaient souvent à la radio pour me dire qu’elles aimaient quand j’imitais leur père. Il n’a pas de malice, Latreille. Puis ce n’est pas un vrai personnage, dans le sens où il n’y a jamais eu de texte écrit pour lui, parce qu’il téléphone à de vraies personnes en leur disant qu’il retourne un appel, et j’improvise avec ça.

Et ce sont rarement des jeunes…

C’est toujours des personnes âgées, c’est ça, la règle, je ne m’en cache pas. Latreille, dans ma tête, il a 80 et plus. Je connecte avec les personnes âgées. Elles ont plus de temps, sont drôles, se censurent moins. J’adore ça. Ce sont elles qui me guident dans ces numéros, et c’est ce qui est merveilleux.

Maintenant que vous pouvez cocher «faire la une du Bel âge» sur votre bucket list, qu’est-ce qu’il vous reste comme rêves à réaliser?

J’aimerais faire de la radio en France, être le petit Québécois qui niaise à la radio. J’amènerais ma famille là-bas un an, pour tenter l’expérience. Je lance ça dans l’univers!

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