La recette de Janette (pour vivre longtemps et de bonne humeur)

La recette de Janette (pour vivre longtemps et de bonne humeur)

Par Jean-Yves Girard

Crédit photo: Collaboration spéciale

Lui parler – même par Zoom – n’est pas qu’un privilège et un réel plaisir. C’est aussi recevoir une leçon de vie ponctuée de rires donnée avec passion par cette femme exceptionnelle bientôt centenaire. Et ce n’est pas demain qu’elle rendra son tablier: pour madame Bertrand, Janette ne rime pas avec retraite.

Comment vous sentez-vous aujourd’hui, lundi 9 septembre 2024, 36 329e jour depuis votre naissance, le 25 mars 1925?

Je me suis levée à 9h. En fin de semaine, j’ai reçu et j’ai fait à manger. J’ai préparé une tarte tatin extraordinaire. Un rôti de porc au lait de coco. Et hier soir, j’ai cuisiné pour ma fille (Isabelle) des pâtes aux lardons. Mon hygiène de vie, c’est de ne pas m’asseoir puis de ne rien faire. Quand tu ne fais rien, tu n’es pas valorisé, tu penses à tes maladies et tu meurs vite. Là, je vous parle, j’ai pas mal dans le dos, je n’y pense pas, je fais quelque chose.

On veut toujours savoir pourquoi et comment les personnes atteignent un âge comme le vôtre… et en santé. C’est quoi, la recette?

La grande recette, c’est aimer tout ce qui est la vie. Moi, je ne vous connais pas mais je vous aime. Je vois toujours le beau côté des êtres. Mon père m’a appris ça. Il aimait la vie et le monde.

 

À lire ausi: La vie de Janette Bertrand en photos

 

Vous êtes à votre maison de campagne, on se voit et se parle par Zoom. Êtes-vous à l’aise avec les nouvelles technologies?

Non, je ne suis pas quelqu’un d’habile, mais je me force. D’autant plus que je n’ai plus de sensibilité dans le bout des doigts. Quand je tape sur le clavier, si j’appuie sur le k, il y a peut-être 10 k qui vont s’imprimer ou pas un du tout. Alors, ça ne va vraiment pas bien avec la technologie. Ah non, non, non. Je suis née avant le téléphone, monsieur!

Ce n’est pas pour vous contredire, madame Bertrand, mais le téléphone existait déjà en 1925…

Ah oui? Mais pas chez nous. J’étais là, je me souviens quand le téléphone est entré chez mes parents. Il a été placé sur le mur, un gros téléphone noir, avec un récepteur qu’on se mettait dans l’oreille, comme un entonnoir. Mon père téléphonait à ses parents à Valleyfield et il criait dans l’appareil, il ne savait pas que ce n’était pas nécessaire. On était trois ou quatre maisons sur la même ligne. L’expression qui me revient c’est: «Madame, débarquez de sur la ligne!» Je suis tellement moderne que j’ai l’impression que je parle de quelqu’un d’autre, mais c’est moi qui ai tout vécu ça!

Vous l’avez souvent dit, et écrit dès l’amorce de votre autobiographie: «L’enfant en moi qui n’a pas été aimé de sa mère croit encore qu’il ne mérite pas l’amour des autres. Cette quête d’amour, ce besoin d’être reconnue a marqué toute ma vie: la marque encore.» Pourtant, des centaines de milliers de personnes au Québec vous aiment et vous admirent, vous en êtes consciente?

Oui, j’en suis consciente, mais j’ai manqué d’amour et je le chercherai toujours. Dans mon temps – j’haïs dire ça –, on ne valorisait pas les enfants. Chez nous, on ne disait pas à un enfant «T’es beau» par peur qu’ensuite, il se prenne pour un autre, et ça, c’est un péché, l’orgueil. Alors, je n’ai pas d’estime de moi-même, et c’est pour la vie. J’en ai beaucoup souffert. Quand je reçois un prix, encore aujourd’hui, ma première réaction c’est: ils se sont trompés.

Votre tout premier livre, Mon cœur et mes chansons, un recueil de poèmes, date de 1946, il y a près de 80 ans. À le lire, on devine les tourments amoureux d’une jeune fille romantique: Pourquoi dehors fait-il si beau / Quand dans mon cœur et sur mes joues il pleut? / Notre roman ne peut finir ainsi / Notre roman est trop beau…

Non, ce n’est pas un livre d’amour, c’est un livre très triste. Je l’ai écrit à 20 ans pendant que j’étais dans un sanatorium à Sainte-Agathe, dix mois au repos complet à cause de la tuberculose. Vous savez, la tuberculose a tué beaucoup de monde, des villages entiers étaient décimés. J’étais certaine de mourir. Et quand tu ne meurs pas, tu aimes la vie, tu l’embrasses. Ça m’a donné cette détermination de vivre.

Vous êtes dans l’œil du public depuis presque toujours – vous étiez déjà au générique du film La petite Aurore, l’enfant martyre! – et n’avez jamais cessé de l’être, aujourd’hui plus que jamais. Comment l’expliquez-vous?

Pourquoi suis-je aussi populaire en ce moment? Parce que je suis un modèle. Pas le modèle d’une sainte, mais d’une femme qui est de bonne humeur, qui a toute sa tête, qui n’arrête pas de travailler. Mais je ne suis pas la seule vieille comme ça. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé avec La Fondation Institut de gériatrie de Montréal le projet «Les aînés, en manque de modèles». Je demande aux gens d’écrire des témoignages de personnes âgées inspirantes, qui sont bien et qui continuent à vivre intensément. Moi, j’ai mal partout, je suis pleine de bobos, pleine d’affaires qui ne marchent plus, je suis incontinente, mais j’ai l’Institut. 

L’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, c’est votre nouvelle cause.

Je me suis beaucoup occupée de l’égalité homme-femme, maintenant, c’est le bien-être et l’estime de soi des vieux qui me préoccupent. C’est mon bénévolat. À l’Institut, tout est fait pour notre confort. Ça n’a pas l’air d’un hôpital, les médecins prennent leur temps, c’est extraordinaire et ça ne coute rien! Mon médecin, David Lussier, est spécialiste de la douleur. Avec lui, j’ai appris à gérer ma douleur. C’est normal d’avoir mal, j’ai des vieux os.

Donc, tout va bien?

Si je ne fais pas de folie comme hier. Faire une tarte tatin et être une demi-heure debout. À un moment donné, j’ai dit à mon chum, je vais m’asseoir, je ne suis plus capable. Donald a terminé la tarte. J’ai un fauteuil dans mon salon, une sorte de Lazy-Boy, je me suis assise 15 minutes, ma douleur est partie. Mon conjoint n’en revient pas, il a toutes sortes de bobos aussi. Mon p’tit jeune est devenu mon p’tit vieux!

Vivre avec un homme qui a vingt ans de moins aide à mieux vieillir?

Oui! Quand j’ai rencontré Donald à Télé-Québec, où il était décorateur, je ne savais pas son âge. Je le lui ai demandé après la première nuit. Il m’a répondu 39, mais il s’était vieilli d’un an. Moi, j’en avais 57. Écoutez, il n’y a pas plus grand tabou. Ç’a été presque un scandale! Ce qui choquait, c’est que si j’avais un jeune homme, c’est que je m’envoyais en l’air. Alors que la plupart des hommes, veufs ou divorcés, se remarient avec des plus jeunes, nous, les vieilles, on n’est pas supposées avoir du fun. T’as plus tes enfants, t’es ménopausée, t’es finie. C’est resté dans nos mentalités.

Cela vous arrive-t-il de penser à la possibilité de partir avant lui?

Bien sûr. J’en parle souvent, de ma mort, avec mes enfants aussi. Je lui dis à Donald, je ne veux pas vivre jusqu’à 130, je vais être trop maganée. Je ne sais pas ce que je vais faire après mon centième anniversaire. Je suis pleine de projets, mais j’attends la mort.

Élevée dans la religion catholique, vous avez perdu la foi en cours de route. Quand on meurt, c’est fini?

Tout à fait. Je ne serai plus là, ce sera fini pour moi. Personne n’est encore revenu pour nous dire qu’il y a quelque chose ou non. Toutes les religions du monde ont promis un ailleurs, parce que pour les malheureux, c’est bon qu’il y ait un ailleurs. Je les trouve chanceux, ceux qui croient, mais croire, ce n’est pas quelque chose qui s’apprend ou que tu peux comprendre. Tu crois ou tu ne crois pas. Moi, je crois qu’on n’a qu’une vie.

C’est l’une des raisons qui font que vous l’appréciez tant?

Et que j’en profite. À tout bout de champ, je dis: mon Dieu que c’est beau! as-tu vu le soleil à travers les arbres, as-tu vu ça? Mon père était comme ça, je l’ai appris de lui. Voir la beauté du monde, manger la vie. (Elle prononce «manger» avec appétit, comme s’il s’agissait d’une pointe de tarte tatin.) Prendre chaque moment et en profiter. Je suis une profiteuse.

Le chiffre 100 donne le vertige…

À moi aussi. À 98 ans, j’étais encore jeune. Mais 99, oh my, ça, c’est vieux. Ce qui garde jeune, c’est de s’intéresser à tout, à ce qui se passe de nouveau. En ce moment, je suis un peu tracassée par l’intelligence artificielle. J’en discute avec des amis. Cette nouvelle technologie m’ébranle, mais je veux apprendre, alors je lis. Sur les personnes transgenres aussi, j’ai tout lu. Condamner, c’est facile, mais essayer de comprendre, c’est ce qui garde jeune. Comprendre et accepter. S’adapter. La recette, pour répondre à votre première question, c’est s’adapter. Si tu restes comme quand t’étais à 30 ans sans vouloir que ça change, t’es faite, t’es vieille.

Le 25 mars, que va-t-il se passer?

Je ne le sais pas. Je sais qu’il va avoir beaucoup d’émissions à la télévision. Dans ma famille, c’est sûr qu’on va avoir un party. Ou pas. Je vis dans le présent. Ma philosophie: on traversera le pont quand on sera rendus.

 

À gagner!

Janette Bertrand, nous a remis huit copies dédicacées de son plus récent livre, Cent ans d’amour. Pour courir la chance de remporter votre exemplaire, c’est simple: rendez-vous à lebelage.ca/concours et remplissez le formulaire. Date limite: 31 décembre 2024.

Vidéos