La quatrième saison d’Unité 9 se termine en avril, mais la série, qui a touché une corde sensible dans le coeur des Québécois, reviendra à l’automne. Guylaine Tremblay y incarne Marie, le personnage principal. Détenue pour le meurtre de son père, elle change au contact des autres prisonnières et d’un système carcéral mal adapté. «Marie est étouffée par sa colère, explique l’actrice. On ne peut pas faire de prison sans être transformée. Toute la peine, la rage, la douleur enfouies en elle depuis 40 ans ressortent. Elle n’est pas méchante, elle souffre. Sa colère froide glace le sang, je la trouve épeurante. On dirait un autocuiseur sans soupape pour évacuer la pression.»
Le destin des femmes incarcérées à la prison fictive de Lietteville a de quoi bouleverser. Ainsi, Guylaine est consciente qu’en abordant un thème aussi terrible que l’inceste, la série risque de réveiller de grandes douleurs chez certaines téléspectatrices. «Bien des femmes refusent encore de nommer leur douleur. Elles vont parler de “taponnage” et taire la gravité de leurs expériences.» D’ailleurs, avant le tournage, l’auteure Danielle Trottier et les comédiennes ont tenu à rencontrer des détenues et des intervenants. Ces contacts privilégiés ont convaincu Guylaine que la majorité des femmes en prison ne sont pas à leur place. «Elles ont beaucoup plus besoin de psychologues que d’être enfermées. La plupart des criminelles ont vécu des enfances et des adolescences de violence et d’abus systématiques, des années de souffrance qui restent ignorées du système.»
Des leaders autochtones déploraient récemment que la télévision minimise la présence des Amérindiens dans le système carcéral canadien. En effet, alors qu’ils ne représentent que 2% de la population, ils constituent plus de 12% des détenus. Guylaine en est bien consciente: «L’auteure et les producteurs ne voulaient pas que Lietteville soit une prison blanche. Malheureusement, les actrices d’expression française issues de minorités ethniques ne courent pas les rues, et les rôles féminins de cette série sont très difficiles à jouer. Il faudrait que des artistes autochtones s’inscrivent dans les écoles de théâtre et passent des auditions. Je suis persuadée que la situation va évoluer un jour.»
Les habitués de la série savent à quel point le jeu de Guylaine peut devenir intense. Vivre une telle douleur et une pareille colère pendant toute une journée de tournage peut avoir des répercussions: «Certains soirs, je rentre chez moi complètement épuisée. J’ai mal partout à force d’être crispée, mais je suis follement heureuse de jouer ce rôle. Cette femme blessée trouvera peu à peu le chemin de la lumière, mais elle ne l’aura pas facile. Heureusement, je ne suis pas de celles qui traînent leur personnage à la maison et, dès le tournage terminé, je l’oublie jusqu’au lendemain. Quand j’arrive chez moi, fatiguée morte, j’ai grand plaisir à préparer le souper et à jaser avec mes deux filles, Juliane et Marie-Ange. Nous rions beaucoup ensemble. Ma vie familiale m’aide à garder un équilibre essentiel.»
Double rôle
Depuis quelques mois, Guylaine Tremblay a une nouvelle corde à son arc: elle anime l’émission Banc public à Télé-Québec. Produite par France Beaudoin, l’animatrice bien connue des téléspectateurs, cette émission d’intérêt général aborde des sujets aussi variés que la schizophrénie, les enfants de couples gais, l’héroïsme et la déchéance du commandant Piché ou le travail difficile d’un médecin légiste. Guylaine y est-elle une journaliste ou une comédienne jouant un rôle de journaliste? Il y a quelques années, on a décrié le mélange des genres au Québec, des comédiens s’étaient d’ailleurs insurgés contre les humoristes qui acceptaient des rôles au théâtre ou à la télévision. Aujourd’hui, la situation est encore plus complexe: la comédienne Marina Orsini anime une émission de services, l’animateur Éric Salvail fait des apparitions dans certaines fictions et Claude Meunier anime un faux talk-show déguisé en son personnage de Ti-Mé! Pour Guylaine, la question du mélange des genres ne s’est jamais posée: «Je n’y ai même pas pensé. Quand France Beaudoin m’a proposé cette émission, j’ai vu que c’était un projet solide, bien ficelé, qui me permettrait d’approfondir mes connaissances. En plus, c’était une occasion de m’amuser. Alors, j’ai accepté, c’est tout!»
Entourée d’une belle équipe de recherchistes et de scripteurs, l’actrice-animatrice impressionne par le sérieux qu’elle injecte dans cette émission d’une heure. Les sujets y sont souvent disparates, ce qui la force à se concentrer davantage: «Je suis très curieuse. Alors, vous imaginez bien que j’éprouve un plaisir fou à rencontrer des gens dont l’expérience de vie est à mille lieues de la mienne. J’aime échanger avec les autres, c’est dans ma nature. Pour moi, ces rencontres ne sont pas des entrevues formelles, mais des brins de jasette avec des personnes extraordinaires. Et les quelques préjugés que je peux entretenir prennent souvent le bord en discutant. Je me souviens d’un homme qui allait devenir papa à 72 ans. Avant de le rencontrer, je le trouvais bien égoïste, mais en parlant avec lui, j’ai découvert un être humain parfaitement heureux et conscient de ses limites. À la fin, mon opinion sur lui avait changé: qui suis-je pour juger les autres? Pourquoi n’y aurait-il qu’un seul modèle de bonheur? Ses enfants seront peut-être contents d’avoir eu un père comme lui!»
Guylaine est très spontanée et cela se sent lorsqu’on regarde Banc public. Même si ses recherchistes lui fournissent une série de questions à poser à ses invités, il arrive qu’elle s’écarte du scénario. Ainsi, elle a demandé au père Lacroix, centenaire, s’il était déjà tombé amoureux d’une femme. Le sage homme répondit: «Oui, mais j’ai préféré aimer la terre entière!» Ces moments de grâce comblent Guylaine… et le public!
Sur les planches
Guylaine Tremblay est devenue la reine du petit écran, mais son lien avec le théâtre demeure vital. Après quatre ans d’absence, elle remonte sur scène dans la pièce Encore une fois, si vous permettez, de Michel Tremblay, présentée chez Duceppe du 6 avril au 14 mai. Ce rôle immense, créé en 1998 par Rita Lafontaine, est celui de Nana, la maman de l’auteur, ramenée à la vie grâce à la magie du théâtre. Malgré tout son talent, Guylaine était très nerveuse lorsqu’elle a accepté ce rôle. Les gens allaient-ils la comparer à Rita? «Michel Dumont, le directeur artistique chez Duceppe, m’a rassurée: il m’a rappelé que le théâtre est une longue affaire de passation des rôles. Lui aussi avait hésité à jouer La mort d’un commis voyageur, pièce immortalisée chez nous par Jean Duceppe, mais il a vite réalisé que le théâtre mourrait si de nouveaux comédiens ne reprenaient pas les rôles marquants du répertoire. Cette Nana sera “ma” Nana, différente des autres, mais je vais travailler très fort! Nana parle une langue des années 1950 et 1960, il faut se la mettre en bouche. Elle utilise des expressions de son temps comme “le plancher allait défoncer”, quand moi, j’ai tendance à dire que le plancher “allait s’écrouler”. Je dois me surveiller! Mais c’est un pur bonheur d’incarner cette mère à la complicité presque amoureuse avec son fils.»
Hors des planches, Guylaine Tremblay retrouve son autre rôle de maman, le plus important! Ses deux filles adoptives sont sa principale raison de vivre. «Pendant que je tourne Unité 9, de mai à décembre, je suis une maman moderne: on mange des pâtes et des repas rapides. Mais de décembre à mai, je redeviens une mère à l’ancienne qui cuisine des plats mijotés, de bonnes soupes, et je passe beaucoup de temps avec mes enfants.» Lorsque Juliane est entrée dans sa vie, une bonne fée s’est penchée sur son berceau: «Elle avait neuf mois quand je l’ai adoptée. Elle est arrivée de Taïwan le jour de la crise du verglas et son avion a été le dernier à pouvoir atterrir à Montréal. Je devais jouer au théâtre à ce moment-là, mais la pièce a été annulée à cause de la tempête. J’ai donc pu vivre pleinement ces premiers moments avec mon bébé, un rêve!»
Mère et comédienne comblée, Guylaine souhaite vieillir en santé: «Le cadeau le plus important de la vie, car il permet d’apprécier tous les autres!» À 55 ans, comment voit-elle l’avenir? «Je vais préserver ma jeunesse de coeur et d’esprit. Il ne faut jamais cesser de croire en la vie. Chacun doit cultiver l’espoir et changer le monde à sa petite échelle, selon ses moyens. Je le répète à mes filles: c’est facile de lâcher prise, mais plus difficile de travailler à son bonheur.»
Esprit de famille
À 18 ans, Juliane a surpris sa maman en décrochant un petit rôle dans la quotidienne 30 vies. Sans en parler à Guylaine, la jeune fille a passé une audition pour incarner Tania, une délinquante au passé judiciaire chargé: «J’aime bien jouer ce personnage, explique Juliane. Je suis très timide. Alors, me retrouver dans la peau d’une dure à cuire me permet d’extérioriser mes émotions.» Veut-elle suivre les traces de sa mère? Trop tôt pour le dire… Pour l’instant, désireuse de faire ses preuves toute seule, Juliane ne veut pas que Guylaine l’aide à travailler son rôle. Elle aimerait jouer un jour un personnage de policière intelligente, «pas une brute, plutôt une femme dure en apparence mais au coeur sensible, comme il y en a dans la série américaine NCIS.»
Jouer avec sa mère? «Ce serait le bonheur, mais je parais un peu jeune pour les rôles d’Unité 9, à moins qu’une petite délinquante soit incarcérée avec des adultes», répond-elle en riant. Être la fille de Guylaine semble d’ailleurs un pur bonheur. Selon Juliane, elle est toujours présente lorsque ses enfants en ont besoin: «Avec ma mère, on rit tout le temps, elle est merveilleuse! Malgré son horaire chargé, elle prend le temps de nous donner des leçons de vie: elle nous répète d’être toujours gentilles avec les autres. Même ceux qui ont l’air bête, car ces gens-là ont probablement des gros problèmes dans la vie. Elle nous conseille aussi de ne jamais nous décourager, parce que l’avenir nous appartient.» Juliane donne-t-elle un petit surnom à Guylaine? «Je l’appelle maman, ça veut tout dire!»
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