Sa très comique série Discussions avec mes parents, dont la première saison était inspirée «à 80 %» de sa vie, rallie un million de téléspectateurs chaque semaine et a décroché trois nominations aux prix Gémeaux! Le sympathique humoriste, auteur, animateur et comédien natif de Québec François Morency a profité d’un de ses rares congés pour jaser avec nous…
Le tournage de la troisième saison de Discussions avec mes parents, à Montréal, s’est déroulé en pleine pandémie. Comment ce contexte a-t-il changé vos façons de faire? Ça complique et ça ralentit tout! On doit respecter une distance entre les comédiens et porter masque et visière entre les prises. Pour tourner des scènes autour de la table familiale, on n’a pas d’autre choix que d’installer des panneaux de plexiglas entre chacun, qui sont par la suite enlevés numériquement au montage. Cela dit, on était tous heureux de se retrouver, d’autant plus qu’il fut un temps où on croyait que la saison serait reportée d’un an.
Craignez-vous que cette situation enlève une certaine convivialité non seulement à votre série, mais à la télé en général? On trouvera des moyens… Par exemple, il nous est interdit de tourner des scènes avec des baisers. Il faut qu’on fasse comprendre qu’ils ont eu lieu, mais sans les illustrer. Il m’a quand même fallu éliminer un épisode complet, parce qu’il était centré sur un gros party dans le sous-sol! (rires) Notre quatrième saison, s’il y en a une, risque d’être produite dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, alors, on va devoir s’habituer.
On sait déjà que Rollande et Jean-Pierre vivront le confinement et qu’ils chercheront à se divertir avec diverses technologies… C’est devenu un running gag… Après chaque émission, je recevais des messages Facebook de gens à propos de leurs parents ou de leurs grands-parents qui ont de la misère avec la technologie. Je me suis rendu compte à quel point c’était porteur. Nous aussi, dans 30 ou 40 ans, on sera dépassés par je ne sais quelle bébelle; chaque génération l’est. Cette saison, j’ai intégré la baladodiffusion, un casque de réalité virtuelle, un aspirateur intelligent… Comiquement, c’est très payant, et c’est le fun à écrire.
On le sait, la télésérie est inspirée de vos vrais parents… Avez-vous toujours eu conscience qu’ils étaient drôles? Ce projet est né d’un statut Facebook qui relatait une réelle conversation entre mes parents et moi. Oui, je les trouvais drôles, mais je me suis également aperçu, avec le succès de ces statuts que j’ai continué à publier, à quel point ça résonnait chez les gens. Peu importe l’âge ou la génération, la relation enfant-parent demeure un mélange d’amour et d’irritation. Il y a quelque chose là-dedans qui transcende les générations et même les cultures: des gens d’origine asiatique, haïtienne ou moyen-orientale ayant connu une enfance radicalement différente de la mienne me disent qu’ils se reconnaissent dans la série. Ça m’a surpris, car je croyais que ça toucherait davantage ceux au background similaire au mien: élevé au Québec dans la religion catholique, un environnement blanc et francophone.
Votre père est décédé l’an dernier à l’âge de 90 ans. Pensez-vous toujours à lui quand vous écrivez vos textes? J’y pense beaucoup, forcément. Le côté positif, c’est que mes parents à l’écran (Vincent Bilodeau et Marie-Ginette Guay) sont beaucoup plus jeunes que les miens l’étaient quand j’ai commencé à écrire la série, alors ça m’aide à garder en moi le souvenir d’eux à leur meilleur. Dans l’émission, ils ont 75 ans et vieillissent d’un an par saison. À cet âge, mes parents étaient droits comme des piquets, actifs, allumés; ils voyageaient aussi, comme dans la télésérie. Ils ont été très en santé jusqu’à 88 ans, l’âge où ils ont vécu une débarque physique et mentale fulgurante. Ils sont devenus l’ombre d’eux-mêmes. Ensuite, notre relation n’a plus été la même. Il n’y avait plus d’échanges, parce que mentalement, ils n’étaient plus là. On se demande même s’ils peuvent être heureux dans cette nouvelle vie-là, mais on n’a aucune façon de le savoir.
Sur le plan humain, qu’est-ce que vos parents vous ont transmis? De mon père, je retiens la rigueur, la discipline. Il était démesurément rigoureux pour des affaires qui, moi, me laissaient complètement indifférent. Je ne sais pas combien de dizaines, sinon de centaines de fois il m’a dit: «Ce qui vaut la peine d’être fait mérite d’être bien fait.» Il m’a obligé à travailler dans sa quincaillerie à l’âge de 14 ans, alors que je ne voulais rien savoir. Mais ç’a été tellement bénéfique pour moi de comprendre que l’argent ne pousse pas dans les arbres! Ma mère, elle, c’est le côté empathique. Elle n’acceptait pas qu’on soit méchant avec le monde en général. C’est une bonté naturelle.
Il y a quelques années, vos frères, votre sœur et vous avez pris la décision de déménager vos parents dans une résidence pour personnes âgées. Comment ont-ils réagi? Ma mère, bien, parce que mon père avait commencé à décliner avant elle et qu’elle se rendait compte qu’il n’avait plus la capacité de prendre des décisions ni de conduire un véhicule. Elle était plus lucide que lui par rapport à ça. Mon père commençait à en perdre des bouts, mais, par orgueil masculin mal placé, il n’acceptait pas ce déclin. Quand il a perdu son permis de conduire, ç’a été le pire jour de sa vie, lui qui conduisait depuis l’âge de 14 ans. De se le faire retirer, c’était pour lui comme de l’émasculer. Il était très insulté, il pensait qu’il y avait un complot de la SAAQ contre lui! La première résidence pour aînés où ils ont vécu était à un coin de rue de leur ancienne maison, alors l’environnement leur était familier. Six mois après leur arrivée, j’ai demandé à mon père s’il profitait de la table de billard du rez-de-chaussée, lui qui avait toujours été un grand joueur. Il m’a répondu: «Ben non, c’est juste des p’tits vieux qui jouent!» (rires) Il refusait d’admettre cette réalité qu’on ne fait pas partie de la relève toute sa vie.
Votre mère a maintenant 92 ans et réside dans un CHSLD. Le confinement et les interdictions de visite ont-ils été angoissants pour elle? Ma mère souffre de démence due à son diabète et à des chutes de glycémie très sévères. Elle sait qu’on fait partie de sa gang, mais elle ne nous replace pas toujours. On était inquiets au départ, mais en date d’aujourd’hui, son CHSLD n’a pas eu de cas de COVID-19. Elle ne pouvait pas se trouver à un meilleur endroit, même si les lieux sont un peu vétustes et que les chambres sont partagées, car les soins et l’empathie du personnel sont exceptionnels. [Nous, ses enfants], on est les spectateurs de sa fin de vie, car on ne peut plus communiquer avec elle. C’est ça, le plus dur.
Quand on a des parents comme les vôtres, qui se sont vraiment aimés jusqu’à ce que la mort les sépare, est-ce que ça vous met de la pression pour atteindre cet idéal? Non, car ils ont vécu à une autre époque où les choix étaient à peu près inexistants, surtout pour les femmes. Le plan de match était déjà tracé: soit tu allais à l’école, décrochais un emploi, te mariais et avais des enfants, soit tu entrais en religion. Personne ne partait à 20 ans découvrir l’Europe, sac au dos! Ma mère avait de la drive. Si elle avait 30 ans aujourd’hui, elle aurait une carrière. Je ne crois pas qu’elle était malheureuse à la maison, mais comme beaucoup de femmes de sa génération, elle a vécu par procuration les succès de ses enfants et de son mari.
Vous êtes très discret sur votre vie privée. Même votre carte du ciel, dressée par feue l’astrologue Jacqueline Aubry, mentionne que vous ne laissez rien paraître de ce que vous ressentez… (rires) Je ne commenterai pas sur l’astrologie, car je crois zéro à ça, mais il est vrai que je choisis les gens à qui j’en révèle plus. C’est toutefois faux de dire que je ne laisse pas transparaître ce que je pense ou ce que je ressens, parce que dans un paquet de situations, même dans la série, je dévoile des moments de grande intimité. Mais ça ne m’intéresse pas de montrer la transformation de mon salon à la télé. Autant je suis heureux de durer, d’avoir toujours refusé d’être cantonné à un seul aspect du métier, autant je ne me sens pas du tout obligé de jouer l’autre partie de la game, c’est-à-dire faire la une des journaux à potins. Je profite des réseaux sociaux – je gère moi-même mes comptes et réponds aux gens personnellement –, parce qu’ils me permettent de communiquer avec mes fans qui sont très importants pour moi, mais je n’éprouve ni l’envie ni la responsabilité d’en faire plus.
En 2006, vous affirmiez en entrevue que vous pensiez vivre jusqu’à 100 ans. Vieillir, ça ne vous fait visiblement pas peur… Non, parce qu’à 54 ans, je suis encore à l’âge où ça ne paraît pas tant que ça. Je suis encore énergique, j’entretiens ma machine. Peut-être que dans 30 ans, ce sera moins le fun, mais en même temps, je sais à quel point on peut minimiser nos problèmes de santé si on fait le moindrement attention. Ça m’a troublé, le déclin subit de mes parents, parce que ce n’est pas quelque chose qu’on voit venir. Alors oui, je souhaite vivre longtemps, mais je ne suis pas intéressé à vieillir à tout prix.
Vous avez plus de 27 ans de métier. Qu’est-ce qui vous rend le plus fier? D’être parti de rien ou de durer? Les deux. La longévité a toujours été l’aspect que j’admire le plus, pas seulement dans l’industrie, mais en général. Dans le show-business, les saveurs du mois peuvent disparaître du radar du jour au lendemain. Les modes passent, de nouveaux artistes naissent. Alors quand ta carrière dure 25, 35, 40 ou 50 ans, que tu demeures actif et que tu continues à prendre des risques, c’est que tu es plus qu’une simple passade.
En rafale
Ce qui vous fait perdre patience Tout ce qui n’est pas important! Si un objet ne remplit pas sa fonction, ça me rend fou!
Ce qui vous fait rire Tellement d’affaires! Le point commun, c’est la surprise, quand quelque chose que je n’avais pas vu venir se produit ou est dit.
Ce que vos amis vous reprochent De ne pas donner de mes nouvelles. Quand on m’appelle, je suis super content, et quand on me texte, je réponds tout de suite, mais je suis rarement l’instigateur de l’échange.
Ce qu’on ignore de vous Je n’ai jamais joué au Monopoly et je n’ai jamais vu E.T. Par contre, on m’a raconté l’histoire: extraterrestre, maison, gros doigt, bref, je sais ce que j’ai à savoir. (rires)
Ce qui vous change les idées Je crois beaucoup à l’adage selon lequel «l’art se nourrit de l’art». Pour être créatif, il faut se nourrir de téléséries, de films, d’événements sportifs. Durant la pandémie, on fait ça chez soi, mais en temps normal, c’est hyper important d’aller voir des shows, d’en discuter ensuite, de rencontrer le plus d’humains possible, de sortir de sa zone de confort, d’accepter d’être brusqué dans ses valeurs et opinions.
Montréal ou Québec? Je refuse de choisir. (rires) On les oppose, alors que les deux villes sont très différentes. Québec offre une qualité de vie, un côté paisible et un accès rapide aux espaces verts que Montréal n’a pas. Mais le côté culturellement varié et en ébullition de la métropole est très enrichissant.
Votre plaisir culinaire coupable? Je suis une bibitte à sucre, mais toute la section boulangerie à l’épicerie est également dangereuse pour moi. Il faut que j’y circule avec le nez bouché et en vitesse! Je suis très glouton. D’ailleurs, je suis un ancien petit gros: ça, c’est quelque chose qu’on ignore sans doute de moi.
Poutine Ashton ou La Banquise? L’ado en moi dit Ashton, car on faisait des détours pour y aller. L’adulte, lui, dit La Banquise, pour sa variété assez spectaculaire.
Le but d’Alain Côté: bon ou pas bon? (rires) J’étais tellement partisan des Nordiques! Quand ils perdaient, ça «scrapait» ma journée! S’ils reviennent, c’est sûr que je redeviens partisan en huit secondes! J’achète le t-shirt, le forfait télé, je fais des allers-retours pour assister aux matchs, alors mets-en que le but d’Alain Côté était bon!
On peut voir François Morency dans Discussions avec mes parents, à ICI Radio-Canada Télé, et «Ouvrez les guillemets», de retour en janvier à la même chaîne.
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