Chantal Machabée: droit au but

Chantal Machabée: droit au but

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Laurence Labat

Classe, simplicité, authenticité: en personne, celle qui célébrera bientôt ses 30 ans à RDS dégage les mêmes qualités que devant la caméra. À l’occasion de la sortie de sa biographie, Chantal Machabée se livre sans filtre. Vivifiant! 

Dans sa biographie Chantal Machabée, désavantage numérique, la journaliste sportive retrace son parcours empreint de détermination, de son enfance, où elle était la seule fille à jouer au hockey avec les gars du quartier, à ses débuts en télé, alors qu’un patron lui suggère de porter des broches pour «être physiquement irréprochable» et à ce jour pas si lointain où elle a enfin pu réaliser le rêve de sa vie – couvrir les activités quotidiennes du Canadien, avec la bénédiction de ses deux garçons. Un parcours qui force le respect et l’admiration, et duquel le mot «retraite» est banni.

Ce qu’on retient de votre biographie n’est pas tant un chemin de croix qu’un destin accompli…

Les commentaires déplacés, ce n’est pas ce qui a marqué ma carrière. Le scepticisme, je m’y attendais. Il y a eu des jours décourageants, mais je suis une fille positive: je ne me laisse pas abattre, je prends la balle au bond et je la relance. Des hommes qui veulent que les femmes réussissent, il y en a beaucoup plus qu’on pense. Et j’en ai rencontré des exceptionnels, qui m’ont ouvert des portes, ont eu confiance en moi, m’ont coachée, aidée, défendue, et le font encore aujourd’hui. Ils sont devenus des grands frères. Quant au destin, j’ai toujours dit que j’ai suivi mes étoiles, mon chemin était tout tracé. Je n’ai jamais douté une seconde. Même quand j’avais 12-14 ans, je disais à mes parents: «Je suis née pour faire ce métier.» J’ai envoyé un seul CV dans ma vie. Les portes se sont ouvertes, toujours. 

Vous partagez tout de même dans votre livre des histoires troublantes qui ne seraient probablement jamais arrivées à des gars. Un collègue a profité d’une de vos rares journées d’absence pour faire croire que vous étiez malade et que vous ne seriez de retour que dans un mois, mois pendant lequel il vous a remplacée en espérant garder le poste. Comment avez-vous réagi quand vous avez su la vérité?

Je ne l’ai pas confronté, mais il s’est fait brasser la cage par le patron et il a fini par perdre son poste. Il n’est plus dans le métier. Je n’éprouvais pas de rage, j’étais déçue et blessée. Je ne suis pas rancunière. Quand tu t’engages dans une avenue qui n’a pas été beaucoup fréquentée, tu sais à quoi ressembleront les embûches. Je m’attendais à des coups bas, comme je m’attendais aux «Sais-tu de quoi tu parles? Sais-tu c’est quoi, un hors-jeu? C’est quoi ton intérêt, les joueurs ou le sport?» 

Avant vos débuts à RDS, un collègue vous a invitée à lui accorder des faveurs sexuelles en échange de billets pour le Canadien. 

Et mon collègue Jean St-Onge m’a défendue. Son geste a lancé un message fort, parce que tout le monde le connaissait, et en plus il est baraqué (rires). «Elle est là pour faire sa job, comme nous, alors écœurez-la pas et gardez vos distances!» Ça m’a tellement réconfortée, j’ai compris qu’il allait y avoir sur mon chemin des «mononcles», mais aussi des grands frères qui se porteraient à ma défense. 

Un téléspectateur vous a déjà menacée de mort et de viol, et une femme vous appelait constamment pour vous traiter de grosse vache sur votre boîte vocale parce que vous lui voliez supposément son mari. L’arrivée des médias sociaux a-t-elle empiré la situation?

On m’a menacée de mort trois fois. Et les insultes se sont transportées sur les médias sociaux. Ces derniers ont aggravé la situation, car les gens ont désormais un contact direct et instantané avec toi. Avant, il fallait écrire une lettre, la poster. Ou trouver le numéro de RDS, parler à la réceptionniste. Quand le Canadien connaît une série de défaites, je reçois souvent le plus d’insultes. Oui, ça a été difficile cette saison (rires)! Mais depuis la campagne de dénonciation #morethanmean en 2016 [où des hommes lisaient à deux journalistes sportives américaines des tweets méchants postés à leur sujet], ça s’est amélioré de 95 %. Je lis tous les commentaires que les gens m’écrivent. Et j’y réponds souvent, surtout quand c’est gentil. Quand ça ne l’est pas, je vais tenter d’engager la conversation, ou je retweete, et là je n’ai même plus besoin de me défendre, les gens le font à ma place. Répondre aux insultes amène leurs auteurs à réaliser qu’ils parlent à une vraie personne, que leur message n’est pas envoyé dans le vide, et que c’est bel et bien moi qui gère mes médias sociaux. Reste qu’en général, j’adore échanger avec les amateurs, car je suis avant tout une fan de hockey.

Comment vos fils ont-ils réagi quand ils ont refermé votre biographie?

Au lendemain du lancement, quand j’ai ouvert mon Facebook, j’ai vu le statut de mon plus jeune: «Maman, je suis tellement fier d’être ton fils.» (Chantale est émue aux larmes.) Je suis bénie d’avoir des enfants comme eux, qui sont toujours là pour moi, pour me défendre sur les réseaux sociaux. Ils m’ont dit que, grâce à ce livre, j’étais maintenant immortelle…

Une passion, des sacrifices

Après votre premier accouchement, vous avez envoyé votre mari vous chercher une télévision pour regarder un match des Expos. Ça résume assez bien votre passion!

Le placenta n’était pas encore sorti, pour être explicite (rires)! J’ai accouché à 16 h 09 et j’ai dit: «Le gars de câble, il est où? Je veux regarder les Expos.» L’infirmière m’a informée qu’il quittait à 17 h. Je me suis tournée vers Normand: «Il va falloir que tu partes le chercher, là!» Et il me répond: «Mais tu viens d’avoir un bébé.» Mon médecin a lancé qu’il n’avait jamais vu une telle chose en 30 ans de carrière (rires)!

Cette passion vient avec des sacrifices…

Beaucoup de sacrifices. Encore à ce jour, je travaille toutes les fins de semaine, je n’ai pas de congé férié, sauf le 25 décembre. La fête de mon plus jeune, Hugo, est le 28 décembre, et je la manque presque tout le temps, car je suis sur la route. Quand Simon a été reçu pompier, je n’étais pas là, j’étais à New York, et je pleurais ma vie. Il m’a envoyé une vidéo. C’est difficile… Mais mes enfants sont extraordinaires, ils ne m’en ont jamais voulu ni tenu rigueur. Ils m’ont donné leur approbation. Sauf qu’aussitôt que tu deviens mère, on t’injecte une dose de culpabilité éternelle. J’ai aussi eu la chance d’avoir une nounou fantastique, Lise, sans qui je n’y serais pas arrivée. Elle s’est installée chez nous alors qu’Hugo avait six mois, et elle est restée jusqu’à ce que les garçons aient 15, 16 ans. On n’avait pas le choix, puisque Normand étant pompier. Il avait des quarts irréguliers et je finissais mes journées à minuit. Mais les premières années, RDS m’a accommodée: je n’allais plus sur la route, et on m’a mise à l’édition de 18 h du bulletin Sports 30, donc j’étais présente matin et soir pour mes enfants. Évidemment, depuis que je couvre le beat du Canadien, c’est une autre histoire. Mais je suis habituée à ces horaires chargés, et j’aime ça comme ça. 

Tellement qu’on doit vous forcer à prendre du repos.

Oui (rires)! Je tombe en vacances le 2 juillet, et le 20 juillet, je me mets déjà à avoir hâte que la saison commence… Mes chums de filles me rappellent à l’ordre, elles me prescrivent des soupers, des escapades, des vacances.

Vous précisez dans ce livre que vous avez toujours tenu à garder une distance avec les joueurs, parce qu’en tant que femme, vous étiez scrutée. Mais dans le vestiaire les premières fois, comment vous êtes-vous sentie? Et comment êtes-vous arrivée à gagner leur respect? 

C’était très intimidant au début. Au Forum, les joueurs se changeaient devant nous. Il n’y avait pas de vestiaire. Aujourd’hui, je pourrais être leur mère, alors ce n’est plus le même rapport. Certains joueurs du Canadien ont joué au hockey avec mes fils. Charles Hudon, je l’ai connu il avait 10 ans. Mais à l’époque, j’avais l’âge des joueurs, et si certains étaient discrets et portaient une serviette autour de la taille, d’autres ne l’étaient pas du tout. Mais j’ai fait mon travail, je me suis moulée au groupe de gars. J’ai d’ailleurs toujours été plus à l’aise avec des gars qu’avec des filles. Dans les partys, j’étais au salon avec eux à regarder le football. Évidemment, il y avait la pression de ne jamais me tromper. Mais je me prépare beaucoup, toujours. Côté vestimentaire, quand je portais des cols roulés, on me disait que je pourrais être plus sexy, et quand j’avais le moindre décolleté, que j’allais déconcentrer les joueurs. J’ai donc résolu de m’habiller chaudement, parce qu’il fait –1000 dans un aréna!

Le temps des bilans

La dernière saison du Canadien a été désastreuse. Quel est son problème? 

Des erreurs ont été commises sur le plan des évaluations de talent. On a mal jaugé certains joueurs. D’autres ont offert des performances en deçà des attentes. Personnellement, j’aurais signé une entente avec Markov, parce que tous les problèmes sont venus de la défensive, selon moi. Non seulement les défenseurs cafouillaient, mais ils n’étaient pas capables de sortir la rondelle de la zone, c’est pour ça qu’on ne marquait jamais de buts. Les attaquants devaient toujours revenir la chercher. Il y a des gars de talent dans cette équipe, et d’autres qui n’ont pas d’affaire là. Carey Price n’a pas connu une très bonne saison, mais il n’a pas été aidé non plus. Le gros travail de Marc Bergevin, c’est d’abord de renforcer sa défensive et d’aller chercher un centre qui a de l’allure, pour remettre Drouin à l’aile, car c’est là qu’il serait le plus efficace. Et qu’il garde Pacioretty, un gars capable de marquer 30 buts par saison.

Est-ce plus difficile d’interviewer des joueurs qui ne font que perdre?

Oh oui! Max Pacioretty, qu’on critique beaucoup, a été parfait. Il était toujours là pour répondre aux questions. Franc, honnête, il fait face à la musique. Et il a eu une saison difficile, donc les questions posées n’étaient pas évidentes. Les Québécois sont merveilleux. Hudon, Deslauriers, Drouin… On va toujours vers eux, ce sont les gars du peuple. Après une séquence de défaites, quand on rentrait dans le vestiaire, deux joueurs seulement nous attendaient. On était découragés de devoir faire un reportage avec si peu, mais on comprenait en même temps… 

Aujourd’hui, à 53 ans, quel bilan tracez-vous de votre carrière? Que corrigeriez-vous, et de quoi êtes-vous le plus fière? 

Je ne corrigerais rien et je ne regrette rien. J’ai fait des erreurs, j’ai fait des bons coups. Les moments difficiles forgent notre travail de journaliste. Ce dont je suis le plus fière, c’est d’être encore là. D’avoir encore autant de fun. Et de vouloir encore faire un autre 34 ans. Il n’y a pas une journée où je vais travailler à reculons.

Craignez-vous qu’on vous tasse un jour à cause de votre âge?

Je travaille fort pour que ça n’arrive pas (rires)! Je cours 20 km par semaine, je vais chez l’esthéticienne quatre fois par année, je fais attention à ce que je mange… Mes patrons ne m’ont jamais fait sentir que j’avais une date d’expiration, au contraire! Vieillir ne me fait pas peur, c’est un privilège. Je veux juste vieillir en santé, c’est pourquoi je fais ces efforts. Bien sûr, je fais un métier d’image, donc, je veux bien vieillir à l’écran. Mais je n’en fais pas une hantise. 

Vous dites aussi dans votre livre souhaiter réaliser un autre rêve professionnel: animer une émission de grandes entrevues. Donc quitter RDS? 

Jamais! Je veux faire de grandes entrevues de sport (rires)! Je ne vois pas de retraite. À 86 ans, je ferai encore des entrevues à RDS, comme Barbara Walters. Jean-Paul Chartrand a 86 ans, et il est encore chez nous. C’est ce dont j’ai envie, moi aussi!

Chantal Machabée, désavantage numérique, de Guillaume Lefrançois, aux éditions Hurtubise.

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