Hymie, 96 ans, n’a jamais quitté son poste, toujours au Beautys, cette institution montréalaise qu’il avait fondée. Né sur le Plateau, travaillant depuis ses 11 ans pour aider ses parents, il avait acheté cet emplacement au coin de Mont-Royal et Saint-Urbain avec sa femme, Freda, pour 500 $ pendant la Seconde Guerre mondiale. De la papeterie d’origine, ils eurent l’idée de génie de faire un restaurant, petit à petit, à une époque où c’était tout sauf normal d’y aller aux yeux des ouvriers des manufactures alentour.
Pendant plus de 70 ans, aidé par son fils, puis sa petite-fille et maintenant ses arrière-petits-enfants, même après le décès de sa femme et bien après l’âge d’être retraité, Hymie a travaillé avec acharnement pour combler sa clientèle, célébrités du monde entier comme gens du quartier, refusant toutes les offres de transformer sa marque en grosse chaîne sans ce supplément d’âme qui régnait dans son petit royaume.
C’est là que mes fils sont allés au restaurant pour la première fois de leur existence, crayonnant avec ardeur les sets à colorier que la serveuse leur avait donnés en attendant leurs crêpes bleuets et chocolat. Là aussi qu’ils ont renoué avec le Québec après huit années passées à l’étranger, le premier matin de leur nouvelle vie, toujours sous le regard bienveillant du «vieux monsieur dans l’entrée».
En fait-on encore, des humains comme ça? Il était si passionné par son métier qu’il passait encore ses commandes aux fournisseurs de son lit d’hôpital en pleine séance de dialyse ces dernières années, sans jamais oublier non plus de servir de la soupe et du café aux sans-abri du voisinage quand il faisait froid. «Ça ne coûte rien d’être gentil» était l’une de ses phrases fétiches, «On n’a rien sans rien» l’autre.
Aimer ce que l’on fait, s’y adonner du mieux qu’on peut, ne jamais laisser les braises s’éteindre… Dans un numéro de février, avec un couple en couverture en plus, je m’attendais à vous parler d’amour. Mais Hymie s’en est allé il y a quelques jours. Le feu s’est éteint.
Certaines personnes ont une sorte d’aura, une chaleur qu’elles communiquent aux autres juste par leur présence, leur investissement, leur détermination, leur vision. C’est contagieux, cette passion-là! Ça réveille, ça donne envie d’en être aussi. Trouver ses étincelles, ce qu’on aime, ce qui nous allume, au travail ou à la retraite, en couple et en solo, et l’utiliser pour réchauffer sa vie, l’habiter davantage, c’est parler d’amour aussi. À chacun sa flamme!
Aline Pinxteren, rédactrice en chef
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