Vous rêvez de déménager hors de la ville, loin du trafic et près de la verdure, en vue d’une retraite paisible ou de faire du télétravail dans un cadre bucolique. Avant de passer à l’action, voici les éléments à prendre en considération.
Claire Pochon, une Montréalaise qui franchira cette année le cap de la soixantaine, cherche activement un chalet en forêt ou près d’un plan d’eau pour prendre sa retraite. Elle veut trouver une propriété à juste prix où elle déménagerait progressivement avec son conjoint tout en gardant son duplex pour ses deux filles adultes. Ayant visité des dizaines de propriétés dans les Laurentides, dans Lanaudière et en Mauricie, elle a connu bien des déceptions. «Il existe deux types de propriétés: les chalets à la qualité de construction douteuse ou les résidences luxueuses. Tous les deux se vendent à prix d’or», déplore-t-elle.
Claire Pochon n’est vraiment pas la seule aspirante-campagnarde à vivre un choc face à ce constat. «Trouver une propriété à la campagne n’est pas une partie de plaisir. Pour plusieurs, le rêve se confronte à la réalité», dit Jean-François Bérubé, courtier immobilier chez Royal LePage Évolution, à Sherbrooke. Les citadins croient que les prix sont nettement moindres en zone de villégiature par rapport à la ville. «Or, depuis la pandémie, ce n’est plus le cas. La rareté et la migration régionale ont fait exploser les valeurs», dit ce courtier immobilier de 25 ans d’expérience.
Pour trouver chaussure à leur pied, les acheteurs doivent faire des compromis. «Beaucoup de gens renoncent au grand terrain isolé en nature, à la propriété clé en main ou se rabattent sur une zone géographique moins attrayante», dit Jean-François Bérubé. Dans les Cantons-de-l’Est, plusieurs néoruraux jettent leur dévolu sur de belles propriétés ancestrales à rénover. «Ce n’était pas leur plan de départ, mais ils doivent se résigner», dit-il.
La réalité post-pandémique
Le Québec a connu une forte migration interrégionale depuis la pandémie en 2020. Tandis que l’île de Montréal perdait des habitants de 2021 à 2022, des régions en fort déclin depuis des années en ont regagné.
C’est le cas du Bas-Saint-Laurent, du Saguenay ‒ Lac-Saint-Jean, des Laurentides, de l’Estrie et de la Gaspésie ‒ Îles-de-la- Madeleine, selon l’Institut de la statistique du Québec. «La forte demande en région a provoqué un rattrapage des prix par rapport à ceux de la région de Montréal», explique Charles Brant, directeur de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ). Le tableau ci-dessous démontre la hausse du prix médian des propriétés unifamiliales en région.
Calculer tous les coûts
Outre l’augmentation marquée du prix des propriétés en région, d’autres surprises attendent les citadins qui rêvent de vivre à la campagne. «Ils ne connaissent pas les puits artésiens, les fosses septiques et les champs d’épuration», dit le courtier Jean-François Bérubé. Des coûts sont à prévoir pour leur entretien. Les frais de déneigement et d’aménagement paysager sont aussi plus élevés pour les plus grandes propriétés campagnardes.
L’achat d’une deuxième voiture s’impose également si un couple ne partage pas les mêmes activités. «Les gens veulent réduire leur empreinte écologique en conduisant des voitures électriques, mais le coût d’achat de ces véhicules est plus élevé», remarque François Lucas-Cardona, planificateur financier à l’Institut de planification financière. L’installation de bornes de recharge constitue une autre dépense qu’il faut prévoir.
François Lucas-Cardona recommande aux futurs acheteurs d’épargner avant de migrer vers une propriété à la campagne: «Il ne faut pas compter seulement sur l’endettement. C’est un achat qui se planifie, quitte à le retarder si les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous.» Par exemple, en achetant une propriété avec une mise de fonds de moins de 20%, les acheteurs doivent contracter une assurance prêt hypothécaire dont la prime varie entre 0,6% et 4,5% du montant de l’hypothèque. Ce sont des milliers de dollars qui viennent augmenter le coût de la transaction. À noter, aussi, qu’il est obligatoire de verser une mise de fonds de 20% pour les propriétés de plus d’un million de dollars.
La location à court terme, une solution?
Pour réduire les coûts d’une propriété en zone de villégiature, il est possible de la louer occasionnellement en gardant un pied-à-terre en ville ou lorsqu’on part en voyage. «Toutefois, les municipalités resserrent la vis sur la location à court terme. À plusieurs endroits, ce n’est plus possible et ça implique des frais, comme un permis», avertit François Lucas-Cardona.
Depuis la pandémie, il y a eu une surabondance de propriétés qui ont été acquises pour la location à court terme de type Airbnb. «La concurrence a explosé et la rentabilité des chalets locatifs n’est souvent plus au rendez-vous. Pour cette raison, de nombreuses résidences de tourisme se retrouvent maintenant sur le marché», dit Charles Brant. Bref, la location touristique n’est plus la panacée.
Avec ou sans terrain?
Face à la rareté des propriétés à vendre dans certaines zones de villégiature, plusieurs personnes ont décidé, pendant la pandémie, d’acheter un terrain dans le but d’y construire une propriété. C’est le cas d’Isabelle Cayer, qui a acheté un terrain à Val-David pour y bâtir sa maison qui a été livrée en décembre 2023. Un processus qui a grugé énormément de son temps, même en engageant un entrepreneur: «J’avais constamment des décisions à prendre et je devais magasiner pour tout : cui- sine, céramique, salle de bains, etc.» La jeune quinquagénaire a dû aussi composer avec les délais de branchement d’Hydro-Québec, qui s’étirent sur des semaines à certains endroits. «J’ai dû prendre des semaines de congé.» Une perte de revenus à considérer si on est encore sur le marché du travail.
Après une explosion vertigineuse au début de la pandémie, la vente de terrains décline actuellement, constate Charles Brant. La diminution du flux migratoire depuis 2023 a un impact, ainsi que la pénurie de main-d’œuvre. « Trouver des entrepreneurs en construction constitue un défi», dit l’économiste. Le financement d’un terrain exige aussi une mise de fonds obligatoire de 20%, ce qui ralentit les ardeurs. «Par contre, si vous avez signé un contrat avec un entrepreneur pour la construction d’une maison, une mise de fonds de 5% suffit», dit John Fucale, vice-président sénior, Multi-Prêts Hypothèques.
Un marché qui demeure abordable
Si les prix font peur dans les régions près de Montréal, le portrait diffère presque partout ailleurs en région, disent les experts immobiliers. Selon Charles Brant, dix régions au Québec demeurent sous le seuil de l’abordabilité, c’est-à-dire que les ménages n’ont pas à consacrer plus du tiers de leurs revenus pour y devenir propriétaires. «Les prix sont encore plus abordables pour les gens de Montréal qui vendent leur propriété pour s’établir ailleurs», constate Charles Brant, de l’APCIQ.
Avec la stabilisation des taux d’intérêt et leur éventuelle baisse, le marché pourrait reprendre de la vigueur au courant de 2024, après une diminution de régime en 2023 qui a rimé avec une stabilisation des prix. «C’est peut-être le moment de passer à l’action avant une reprise à la hausse des prix», signale Charles Brant. À condition de trouver propriété à son goût et à juste prix, bien sûr!
Commentaires: