Demander ses rentes plus tard permet de les augmenter significativement. De nouvelles propositions gouvernementales rendent cette option encore plus alléchante. Est-ce pour vous?
Le risque d’épuiser son épargne de retraite avant son décès est bien réel. En effet, l’espérance de vie de ceux qui atteignent 65 ans avoisine aujourd’hui 86 ans. Cela signifie qu’à cet âge, on a une chance sur deux d’être encore en vie puisque l’espérance de vie est une moyenne. Pour déjouer ce pronostic, envisager le report de ses rentes s’avère souvent une stratégie gagnante. Un planificateur financier pourra faire les calculs nécessaires et déterminer l’âge idéal pour toucher ces prestations.
Par où commencer?
Avant d’opter pour un report de ses rentes, il est recommandé d’évaluer son état de santé. Évidemment, il sera bien difficile de prévoir la date de son décès, mais des statistiques comme l’espérance de vie et nos antécédents médicaux devraient nourrir la réflexion.
Autre point crucial : les sources de revenus à la retraite. Si on ne peut compter sur de l’épargne enregistrée (ou non) ou un fonds de pension d’employeur, il sera plus difficile de retarder le versement de ses rentes. Cela dit, le fait de travailler, même à temps partiel, ou d’avoir des économies à décaisser au début de la retraite pourrait changer la donne.
Rappelons d’abord qu’il est envisageable de devancer sa rente du Régime des rentes du Québec (RRQ) de 65 à 60 ans. Quant à celle de la Sécurité de la vieillesse (PSV), il faudra attendre à 65 ans pour y avoir droit. Dans les deux cas, il est possible depuis 2013 de les reporter jusqu’à 70 ans afin de profiter de bonifications. Pour la PSV, on jouit alors d’une rente majorée de 7,2% pour chaque année différée. Pour celle du RRQ, la bonification annuelle est de 8,4%. Autre avantage : ces deux prestations sont pleinement indexées, ce qui n’est pas le cas de bien des régimes de pension privés. En gros, le versement est ajusté en fonction du coût de la vie. Au 1er janvier 2023, le taux d’indexation des prestations du RRQ était de 6,5% et celui au fédéral (PSV), de 6,3%.
Par ailleurs, dès le 1er janvier 2024, au provincial, l’âge maximal d’admissibilité à une rente de retraite augmentera de 70 à 72 ans afin d’«aider les travailleurs à améliorer leur sécurité financière à la retraite», souligne le dernier budget. Il sera donc possible d’attendre jusqu’à 72 ans avant de recevoir ses rentes du RRQ. Et bonne nouvelle: plusieurs règles ont été assouplies, rendant le report plus attrayant.
Reporter ou non son Régime des rentes du Québec
Demander sa rente du RRQ à 60 ans plutôt qu’à 65 ans est un pensez-y-bien! La pénalité est importante, soit de 36%, ou 7,2% par année. «Le simple fait de reporter sa rente du RRQ de 60 à 61 ans a un effet significatif», calcule Martin Dupras, planificateur financier indépendant et président de ConFor financiers. En effet, cela permettrait de bonifier la rente de quelque 11,2% pour une personne qui a versé les cotisations maximales. De plus, la décision de reporter d’une année à l’autre (par exemple, de 60 à 61 ans ou de 64 à 65 ans) n’aura pas toujours la même valeur. Il faut faire des calculs. Au final, «on estime qu’une personne qui attend à 65 ans pour demander sa rente du RRQ pourrait recevoir jusqu’à 70 000$ de plus durant sa retraite. Cette estimation est basée sur l’espérance de vie moyenne d’une personne actuellement âgée de 65 ans», souligne Frédéric Lizotte, porte-parole de Retraite Québec.
Mais chaque cas est différent. Claude, un retraité disposant de faibles revenus, a droit au Supplément de revenu garanti (SRG). Il a peu de REER et dépense environ 20 000$ annuellement tout en retirant une petite rente du RRQ. «Dans cet exemple, il vaudra possiblement la peine de devancer la rente du RRQ à 60 ans afin de maximiser le SRG plus tard», remarque Mélanie Beauvais, actuaire et planificatrice financière chez Bachand Lafleur.
Qu’en est-il si on fait le choix de reporter sa rente du RRQ à 70 ans ? On pourrait alors toucher une prestation bonifiée de 42%, soit une rente maximale d’environ 22 264$ par an plutôt que 15 679$, même si cela signifie aussi de renoncer à cinq années de prestations. N’oublions pas qu’à 86 ans, un retraité a encore une chance sur deux d’être en vie. Ceux qui sont en bonne santé et dont l’espérance de vie est élevée voudront profiter de ces bonifications, qu’ils pourront difficilement générer avec leur régime enregistré d’épargne-retraite (REER). Sur papier, on a donc les moyens de différer la rente du RRQ à 70 ans, voire 72 ans, ce qui permettra de mieux gérer les risques à la retraite, soit la longévité, le placement et l’inflation.
Cela dit, soyons honnêtes, l’effet de différer la rente du RRQ sera marginal lorsqu’un retraité dispose d’un patrimoine très élevé par rapport à un train de vie relativement faible. Dans un tel cas, le report des rentes demeure tout de même une meilleure décision financière si ces personnes devaient perdre entièrement leur PSV en raison de leurs revenus importants.
Et que devrait faire Hélène ? Elle perçoit une rente d’un régime de retraite de 15 000$ par année et risque de ne pas avoir droit au SRG puisque, combiné à la rente du RRQ, son revenu annuel dépassera le revenu prescrit maximum de 21 168$ pour une personne seule. «Dans un tel cas, il pourrait être judicieux de décaisser les REER d’abord tout en reportant les rentes du RRQ à 70 ou 72 ans afin de maintenir le niveau de vie à long terme sans risque puisqu’on profitera de rentes pleinement indexées», suggère Mélanie Beauvais. Ce choix de différer la rente dépendra du coût de vie à maintenir ainsi que des avoirs disponibles (REER, CELI, etc.) qu’on pourra décaisser entre 65 et 70 ou 72 ans.
Parfois, la situation n’est pas aussi limpide. C’est le cas lorsque le revenu se rapproche du seuil de récupération de la PSV. Dès qu’on dépasse 86 912$, on commence à la rembourser. «Lorsque les revenus imposables sont près de cette limite de récupération, le report de la rente du RRQ peut nous pénaliser en raison des bonifications. Il faudra donc faire des calculs pour voir l’âge où ça devient moins intéressant», précise Mélanie Beauvais. Toutefois, la rente plus élevée à 70 ou 72 ans pourrait ultimement retarder le décaissement du REER et engendrer du rendement à l’abri de l’impôt, lui-même différé. Est-ce que la perte de la PSV pourrait alors être compensée ou non? Des calculs s’imposent.
Et la prestation de la Sécurité de la vieillesse?
Faire le choix de de reporter sa PSV à 70 ans permet de toucher une prestation bonifiée de 36%, soit environ 11 400$ par an plutôt que 8383$ (donnée de juillet à septembre 2023). Encore une fois, on renonce à cinq années de prestations. Tout comme pour le report du RRQ à 70 ans, ceux qui sont en bonne santé et dont l’espérance de vie est élevée voudront profiter de ces bonifications, qu’ils pourront difficilement générer avec leur régime enregistré d’épargne-retraite (REER). Si on travaille après 65 ans et que nos revenus de 2023 étaient supérieurs à 86 912 $, nos prestations seront réduites ; elles deviendront même nulles si notre revenu atteint 142 800 $ (jusqu’à 74 ans; 148 385$ pour les 75 ans et plus). Dans un tel cas, il sera d’autant plus intéressant de reporter la PSV de quelques années afin de profiter des bonifications. Le gouvernement fédéral a par ailleurs augmenté la PSV de 10% pour les aînés de 75 ans et plus en 2022. La PSV maximum a été établie à 768,46$ par mois pour les contribuables âgés de plus de 75 ans et à 698,60 $ pour les autres (montants de juillet à septembre 2023).
Si on pense avoir droit à 70 ans à certains crédits comme le substantiel Crédit d’impôt pour le soutien des aînés de 2000$ (4000$ pour un couple), cela pourrait militer contre le report de ses rentes à 70 ans. «Les gens à faible revenu seront tentés de ne pas reporter afin d’éviter de recevoir des rentes bonifiées qui viendront leur faire perdre ces crédits», confirme Mélanie Beauvais. À noter : ce crédit n’est pas indexé et la continuité à long terme de ce programme n’est pas garantie.
La décision de reporter ou non la rente du RRQ ou de la PSV est une question de gestion de risque. Pour un actuaire ou un planificateur financier, il s’agit de faire des calculs mathématiques adaptés à la situation de chacun, mais, pour la plupart des gens, le facteur émotionnel va souvent occuper le premier rang. «On a peur de laisser des sous sur la table, mais l’important est surtout de ne pas en manquer à long terme. Pour ceux qui craignent de ne pas profiter de leur patrimoine de leur vivant, il faut comprendre que nos scénarios ne prévoient pas qu’ils vont dépenser moins, mais plutôt qu’ils vont prendre l’argent ailleurs», précise Mélanie Beauvais.
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