Vous avez été nombreux à nous faire part de vos inquiétudes. Voici des réponses à vos interrogations.
Depuis le 20 janvier dernier, le président américain Donald Trump a multiplié les annonces et les menaces, même envers les pays qui ont été ses alliés de longue date, comme le Canada. Tarifs douaniers, inflation, baisse du dollar : les défis ne manqueront pas pour l’économie québécoise et canadienne au cours des prochains mois. Pour nos lecteurs, les raisons d’être inquiets sont nombreuses et plusieurs se demandent comment gérer leurs finances en conséquence.
Fonds négociés en Bourse
«Que devrais-je faire avec mes placements à la banque? Mes fonds négociés en Bourse (FNB)? J’ai peur de tout perdre. À mon âge (67 ans), je veux préserver mon capital. Existe-t-il des placements qui pourraient assurer mon capital à 100% ou faut-il se contenter des CPG?»
— Jasmine Leduc
Daniel Harissa, conseiller en sécurité financière chez Lafond & Associés, remarque que l’insécurité financière crée beaucoup de stress dans la population, mais qu’en matière de placement, il ne faut pas « être trop vite sur la gâchette»! «Il est préférable de prendre du recul, on devrait éviter de mélanger Bourse et émotions. En regardant les choses objectivement, malgré l’afflux de nouvelles depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, on constate que le marché demeure en terrain positif. Si on garde le même rythme, on devrait obtenir de bons rendements à la fin de l’année.»
Cela dit, il comprend que notre lectrice soit inquiète, surtout si elle est à la retraite. Avant de prendre des décisions par rapport à ses placements, il lui recommande de se faire accompagner par un professionnel dans le domaine de l’investissement, ce qui l’aidera à faire la part des choses. De plus, compte tenu de l’espérance de vie actuelle, notre lectrice pourrait vivre encore très longtemps, lui donnant ainsi un bon horizon de placement et davantage de marge de manœuvre. «Rien ne justifie de retirer tous vos avoirs pour les déposer dans des placements 100 % sécuritaires. Mais une bonne idée serait de vous assurer que votre portefeuille est bien diversifié afin de réduire le risque global des sommes que vous allez décaisser à court terme.»
Pour ce qui est de la portion de capital qui demeurera placée durant les cinq prochaines années, il conseille en revanche d’adopter une stratégie de croissance afin qu’elle puisse continuer à fructifier. Si notre lectrice souhaite investir dans des produits très sécuritaires pour protéger une partie de son capital, les CPG offrent malheureusement peu de rendement.
Il existe toutefois des CPG liés au marché ou des billets à capital protégé (BCP) qui pourraient s’avérer plus avantageux, bien que, rappelle Daniel Harissa, il soit impossible d’avoir le beurre (de bons rendements) et l’argent du beurre (la sécurité)!
Investir dans les géants américains
«Malgré mes réticences envers les politiques de Trump, est-ce un bon moment pour investir dans les géants américains des technologies? Qu’en est-il pour Tesla et NDVIDIA?»
— Pierre Deschamps
Il est difficile d’ignorer les grandes entreprises américaines, entre autres celles du secteur de la technologie, comme les GAFA et autres, dans ses placements, remarque Sébastien Martel, gestionnaire de portefeuille à fdp Gestion privée. Il souligne d’ailleurs que les actions américaines représentent plus de 70% de la capitalisation mondiale des actions. De plus, 40 % des revenus de ces compagnies proviennent de l’étranger, ce qui signifie qu’investir en elles équivaut à investir au niveau international.
Le gestionnaire précise qu’habituellement, elles sont très rentables et leur bilan, solide. Cependant, il préfère ne pas s’avancer sur une entreprise plutôt qu’une autre. «Je crois que l’important, c’est surtout d’avoir un portefeuille diversifié avec une exposition à certains secteurs et thématiques prometteurs, comme l’intelligence artificielle, plutôt que de cibler quelques entreprises en particulier. Si on se reporte à quelques années en arrière, on se souviendra que BlackBerry a lancé les premiers téléphones intelligents. La compagnie n’existe plus aujourd’hui, mais la technologie est toujours bien présente.»
Représailles
«Pour faire face à la hausse des tarifs douaniers, la vente des actions américaines dans mon portefeuille de placement constitue-t-elle une bonne mesure de représailles?»
— Monique Legault
Même si l’envie d’exercer des représailles peut se comprendre, il n’en reste pas moins qu’elle pourrait être davantage préjudiciable pour notre lectrice que pour nos voisins du Sud. Isabelle Bérard, conseillère en gestion de patrimoine pour l’Équipe Major, affiliée à IA Gestion privée de patrimoine, explique que se priver des actions américaines pourrait en effet nuire à son portefeuille.
«Réagir en vendant tout engendrera des effets négatifs. Il faut se méfier de ses émotions lorsqu’il est question de placements, car ce faisant, on pose des gestes basés sur une vision à court terme et qui ne sont pas rationnels.» En vendant au mauvais moment, on perd aussi l’occasion de profiter d’un rebond des marchés et d’engranger des profits.
Elle estime également que même si tous les Canadiens se départaient de leurs actions dans des entreprises américaines, les conséquences pour celles-ci seraient minimes. «L’impact serait peu significatif, car le marché financier américain est le plus grand au monde et nous ne représentons qu’une petite fraction des investisseurs. Il faut aussi se rappeler que lorsque certains vendent leurs actions, il se trouvera toujours quelqu’un pour les racheter.»
Conclusion: l’impact serait minime sur l’économie américaine et sur l’administration Trump en tant que telle. «Un boycottage massif des actions américaines par les Canadiens pourrait certes provoquer un certain mouvement sur les marchés, mais son influence réelle sur les entreprises concernées ou sur les décisions politiques de l’administration Trump resterait très limitée», conclut l’experte.
REER
«J’adhère au REER+ du Fonds de solidarité FTQ depuis 10 ans, et le rendement me satisfait. Puisque les produits FTQ sont composés d’actifs en lien avec l’économie d’ici et que les experts recommandent de diversifier son portefeuille en ces temps incertains, devrais-je cesser mes cotisations pour le REER+ ou même retirer mes placements ? Quel serait l’effet d’un retrait sur l’économie locale?»
— Paule Desbiens
Même si notre lectrice retirait ses avoirs de son REER+, Daniel Harissa souligne que cela n’aurait pas d’effet sur l’économie locale, car le Fonds de solidarité FTQ détient des milliards de dollars. « D’ailleurs, l’argent investi dans un REER+ est très difficile à retirer. L’argent est bloqué lorsqu’on est âgé de moins de 55 ans et que l’on n’est pas encore à la retraite. Il faut également attendre que nos dernières cotisations datent de plus de deux ans.»
Qu’en est-il des risques reliés à cet investissement si l’économie québécoise et canadienne venait à souffrir des mesures imposées par nos voisins du Sud? Daniel Harissa explique que le Fonds FTQ est composé à 60 % d’actions canadiennes et à 40 % de capital de risque, essentiellement au Québec. « Au niveau géographique, cela manque effectivement de diversification, mais en revanche, ça l’est sur le plan sectoriel. Toutefois, de façon générale, je ne recommande pas de mettre tous ses REER dans un fonds de travailleurs (FTQ ou CSN).
Si vous avez la capacité financière d’investir davantage que le maximum de 5000$, cotisez cet excédent dans un autre type de REER.» La lectrice pourrait aussi choisir de cesser de verser de l’argent dans son REER+, mais si son employeur cotise à la même hauteur qu’elle, elle perdrait du même coup ces montants, ce qui serait bien dommage, note le conseiller.
Cryptomonnaie
«Que penser de la cryptomonnaie propulsée par Trump qui prend du galon? Je ne veux pas manquer le bateau. »
— Pascal Drolet
Après avoir connu une montée fulgurante après leur lancement, les meme coins de Donald Trump et de sa femme Melania sont en chute libre. D’ailleurs, on peut facilement se perdre parmi les quelque 20 000 coins existant actuellement sur le marché, remarque Louis Roy, Associé, Certification, et leader de la pratique d’actifs numériques Catallaxy chez Raymond Chabot Grant Thornton. «Il faut se montrer extrêmement prudent avec ce produit. Seuls deux d’entre eux pourraient éventuellement être considérés, le bitcoin et Euthereum, qui sont transigés par le biais de fonds réglementés», dit-il.
Fabien Major, conseiller principal en gestion de patrimoine pour l’Équipe Major, affiliée à IA Gestion privée de patrimoine, abonde dans le même sens. «D’abord, il faut comprendre que les cryptos ne sont pas une monnaie. Ainsi, le bitcoin n’a pas cours légal au Canada ni dans un autre pays. On parle plutôt de cryptoactifs. Ce type de produit est risqué, car il est très volatile et spéculatif. De plus, il n’est pas facile de convertir les cryptos en argent lorsqu’on en a besoin», souligne-t-il.
Les cryptos peuvent aussi être associés à de la fraude, à du blanchiment d’argent et à des activités criminelles. Les investisseurs courent également des risques au niveau technologique et opérationnel (piratage informatique, vol d’actifs, etc.), puisque la sécurité des portefeuilles électroniques et des plateformes de transaction n’est pas garantie, prévient l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui consacre une section de son site aux cryptoactifs.
Si l’on souhaite absolument investir dans les cryptoactifs, Fabien Major recommande de passer par des plateformes de négociation boursières reconnues et des canaux officiels et inscrits au registre de l’AMF.
Pour sa part, Sébastien Martel confirme que les variations de valeur des cryptoactifs sont grandes. «Au cours des 15 dernières années par exemple, le bitcoin a perdu 75 % de sa valeur à huit reprises», dit-il. Si des gains sont possibles, des pertes significatives le sont également. «On doit comprendre que contrairement à une action par exemple, un cryptoactif n’a pas de valeur intrinsèque. La croissance de la valeur provient de la spéculation qui y est reliée. Il y a donc des occasions de faire des profits, mais le risque inhérent est très élevé, sans parler du fait que certains intermédiaires peuvent aussi être des fraudeurs», prévient Louis Roy.
Or
«L’or est-il toujours une valeur sûre dans le contexte actuel?»
— Jean-Yves Maurice
Il faut savoir que l’or n’est pas nécessairement une « valeur refuge » comme on pourrait le croire de prime abord, autrement dit un placement qui nous protège absolument en cas de crise. Sébastien Martel précise que l’or est fortement influencé par la direction des taux d’intérêt et par le taux d’inflation. «Par exemple, 2022 a été une année très difficile pour les marchés financiers dans leur ensemble : alors que les actions subissaient de lourdes pertes lors des trois premiers trimestres, l’or n’a pas su agir comme bouclier alors que le métal jaune reculait également sur la même période, bien que dans une moindre mesure. Donc, il n’est pas nécessairement vrai de dire que l’or est la meilleure alternative quand l’économie et les marchés se portent mal», illustre-t-il, précisant que la valeur de l’or pourrait varier en fonction du contexte politique et monétaire.
De l’avis de Fabien Major, si l’on souhaite intégrer l’or dans son portefeuille, mieux vaut faire preuve de parcimonie et avoir un horizon de placement à long terme. Il rappelle aussi que la meilleure protection consiste à bâtir un portefeuille diversifié.
Construction et rénovation
«Faut-il prévoir une hausse des coûts de rénovation?»
— Marie-Hélène Croisetière
Isabelle Bérard explique que plusieurs éléments doivent être pris en considération. «Les tarifs douaniers et la possibilité de contre-tarifs pourraient avoir des répercussions sur le coût des matériaux de construction. Si la devise canadienne se déprécie, cela aura aussi un impact à la hausse sur les produits que nous importons des États-Unis. Enfin, il faut aussi tenir compte du ralentissement des importations et des pressions sur les chaînes d’approvisionnement susceptibles d’en découler, créant ainsi une rareté et donc une augmentation éventuelle des prix», énumère-t-elle.
À l’heure actuelle, il est encore difficile d’évaluer l’ampleur du choc tarifaire sur les matériaux de construction. Mais David Goulet, directeur du service économique de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), se fait plutôt rassurant. «Il est vrai que nous importons des matériaux des États-Unis, mais dans une moindre mesure. Le cas échéant, il serait toujours possible de se procurer ces produits ailleurs, ou même chez nous. De façon générale, nous sommes relativement autosuffisants dans ce domaine et nous exportons davantage que nous importons», dit-il, précisant que durant les premières semaines, il pourrait toutefois y avoir des enjeux pour les fournisseurs, le temps qu’ils changent leur fusil d’épaule. Il ajoute également que l’habitation étant un enjeu prioritaire pour le gouvernement fédéral, ce dernier pourrait bien modérer sa riposte tari- faire pour ne pas nuire à ce champ d’activité.
David Goulet indique aussi que l’APCHQ a réalisé un sondage auprès de ses membres et que la plus grande crainte de ces derniers concerne plutôt une réduction de la demande en rénovation, compte tenu de l’incertitude économique généralisée. « C’est la capacité de payer des consommateurs qui les préoccupe. Des régions entières du Québec dépendent des secteurs visés par les tarifs douaniers, l’aluminium par exemple. Si les gens sont inquiets, ils pourraient être moins enclins à rénover », soutient-il.