Organiser sa succession permet de protéger ses enfants et ses petits-enfants. Et la transparence a souvent meilleur goût. Nos conseils à ce sujet.
En l’absence de testament, c’est la loi qui décide qui seront les héritiers et la manière dont les biens seront répartis. Pour s’assurer de léguer son patrimoine selon ses désirs et sa situation familiale, mieux vaut consulter un notaire et clarifier ses intentions afin de protéger ses êtres chers.
Ainsi, une succession où les héritiers n’ont aucune idée de son déroulement peut dérailler et être source d’incompréhension, voire de chicanes familiales. Quand on prévoit que des enfants d’une précédente union ou d’une présente relation vont hériter, mieux vaut privilégier la transparence.
«Pour amoindrir le choc, on peut expliquer pourquoi on tient à inclure dans son testament l’enfant de son nouveau mari ou de sa nouvelle épouse. En fin de compte, c’est le testateur qui a le dernier mot, mais l’idéal est d’en discuter de son vivant, car les enfants ne pourront plus lui poser de questions après son décès», dit Me Pascale Villani, notaire associée chez BCF Avocats d’affaires. Elle souligne que dans le cas d’un patrimoine substantiel, il n’est pas nécessaire d’aborder les valeurs monétaires, mais plutôt de décrire les grands principes. Comment seront divisés les avoirs ? En com- bien de parts? Qui s’occupera de tout? Y a-t-il des legs particuliers? À ce propos, attention: le paiement de legs particuliers passe avant la remise du solde aux autres héritiers. Il faut bien mesurer leur poids. «S’il ne reste plus d’actifs après la distribution de ces legs particuliers, les héritiers résiduaires n’auront rien», prévient Me Villani.
Assurer l’égalité entre les héritiers
Dès qu’il y a plusieurs légataires, la notion d’égalité devrait aussi être abordée. Par exemple, est-il équitable de partager ses actifs en parts égales entre les enfants? Ce qui semble juste et équitable pour le donateur ne l’est peut-être pas pour ses héritiers. «À part le cas d’une déficience intellectuelle, de besoins particuliers, de différends avec le testateur ou d’un enfant ayant accumulé vraiment plus de patrimoine qu’un autre, il est rarissime que les parents traitent leurs enfants de manière inégale», constate Me Villani. Et que penser des dons inégaux du vivant? On pourrait en tenir compte, mais idéalement, il existerait un registre écrit de ces aides financières afin de guider le liquidateur.
«La plupart du temps, on voudra d’abord s’assurer que le conjoint survivant ne manquera de rien», affirme Me Villani. Après l’analyse du bilan successoral et selon diverses projections, on décidera si on peut se permettre de léguer des biens aux enfants dès le premier décès. On examinera notamment l’impact fiscal de tels legs aux enfants et l’espérance de vie du conjoint survivant. Si le patrimoine est moins important, on va, suivant le décès du deuxième conjoint, créer dans le testament un véhicule qui partagera ce qui reste entre les héritiers.
La fiducie testamentaire
Dans le cas des familles recomposées, la mise en place d’une fiducie testamentaire au bénéfice exclusif du conjoint peut protéger le conjoint survivant en lui octroyant tous les revenus générés par les actifs, et parfois un montant minimum annuel, tout en s’assurant qu’à son décès le capital sera payé aux enfants ou aux autres héritiers. En d’autres mots, on lègue un bien ou le résidu de sa succession par l’entremise d’une fiducie testamentaire en prévoyant les bénéficiaires et les remises de capital.
Soyons francs: un tel véhicule permet aussi d’exercer un certain contrôle afin que les biens laissés dans la fiducie ne puissent jamais être transmis à un nouveau conjoint ou aux enfants de cette personne. La fiducie est également utile quand il y a des enfants mineurs ou qu’on ne juge pas assez mûrs pour recevoir une grande partie du patrimoine. Même chose si un héritier a des problèmes de consommation ou de jeu. On pourrait alors retarder la remise des biens aux héritiers et verser des tranches de capital à certains âges. Notons que les REER et FERR ne peuvent pas être transférés à une fiducie pour un conjoint.
Protéger son enfant différent
Au Québec, près de 100 000 personnes présentent une déficience intellectuelle et 17 000 jeunes de 5 à 17 ans sont touchés par un trouble du spectre de l’autisme, souligne Me Joanie Lalonde-Piecharski, autrice du livre Au-delà des dix-huit ans – Préparer le passage à l’âge adulte et l’avenir de votre enfant différent. La notaire de Mont-Saint-Hilaire rédige des testaments qui sont adaptés à la réalité des enfants mineurs ou majeurs avec des besoins particuliers. Sa pratique est entièrement dédiée à aider les parents, grands-parents et proches aidants de ces personnes vulnérables. La plupart ont droit au crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées (CIPH), mais pas toujours. Pensons à l’autisme de haut niveau ou au syndrome d’Asperger.
La juriste rédige des testaments fiduciaires qui visent souvent à encadrer la remise de l’héritage d’un héritier qui n’a pas la capacité de gérer de grandes sommes d’argent et d’éviter qu’au moment de recevoir son héritage, l’enfant soit privé des prestations d’aide sociale et de services auxquels il avait droit en vertu de différents programmes gouvernementaux. Une fiducie admissible pour personnes handicapées vise donc à combler tous les besoins autres que ceux de base. Elle permet aussi de bénéficier de taux d’imposition moins élevés qu’une fiducie traditionnelle. Dans ce cas, on doit notamment nommer des fiduciaires en qui on a confiance pour gérer et distribuer les fonds. Ce pourrait être un frère ou une sœur de son enfant, ou un proche ainsi qu’une autre personne neutre et impartiale, comme un notaire, un avocat ou le trust d’une banque.
Dans certains cas, le parent est tellement fortuné que l’aide gouvernementale sera non significative. «Inversement, si le patrimoine s’élève à quelques dizaines de milliers de dollars, on ne voudra pas forcément mettre en place une fiducie admissible pour personne handicapée qui est plus complexe et coûteuse à gérer, dit Me Lalonde-Piecharski. C’est donc du cas par cas. Mais la préoccupation reste la même pour tous: qu’arrivera-t-il à mon enfant quand je ne serai plus là?»
Plusieurs solutions possibles
On pourrait nommer sa succession comme bénéficiaire de son assurance vie permanente, dont la somme serait ensuite transférée dans la fiducie testamentaire constituée pour son enfant handicapé. Si ce dernier détient un régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI), on pourrait y cotiser. Les parents ou grands-parents pourraient également transférer en franchise d’impôt une portion de leur REER ou de leur FERR dans son REEI, et ce, jusqu’à concurrence du plafond de cotisation à vie de 200 000 $. Même en l’absence d’un REEI, si le bénéficiaire du REER ou du FERR est un enfant à charge ayant une déficience de ses fonctions physiques ou mentales, il pourrait être possible d’effectuer un transfert ou roulement sans impôt au décès.
Dans le cas de parents séparés, par exemple, si la mère ou le père décédait, la fiducie va permettre d’éviter que les sommes héritées par l’enfant soient versées après le décès de ce dernier à l’autre parent. «On ne veut pas toujours que notre ex-conjoint hérite. On va plutôt choisir un autre enfant ou membre de la famille ou même un organisme qui a pris soin de notre enfant», mentionne Me Lalonde-Piecharski.
Peut-on donner des directives testamentaires quant au type de logement, aux soins médicaux, aux loisirs ou au soutien social qu’on souhaite pour son enfant aux besoins particuliers? Le testament va préciser la gestion du patrimoine, mais il demeure figé dans le temps. «Dans le cas de souhaits concernant l’utilisation de l’argent, on peut remplir un guide des valeurs qu’on appelle aussi “mandat humain” ou “lettre d’intention” et qui sera un complément d’information», précise la notaire. On y collige les informations importantes concernant l’enfant: le contexte familial, les soins à donner, les coordonnées des professionnels consultés, la liste des médicaments, les allergies, etc. Le milieu de vie reste souvent un point d’interrogation, car il y a peu d’offres d’hébergements adaptés au Québec actuellement. « Dans 20 ans, ce sera peut-être différent, alors mieux vaut rédiger ces souhaits dans le guide des valeurs plutôt que dans la fiducie elle-même», souligne Me Lalonde-Piecharski.
Plusieurs experts peuvent contribuer à cette réflexion. Pensons à un notaire, à un planificateur financier, à un fiscaliste ou à un comptable qui prendra le temps nécessaire pour examiner le bilan, les biens et, surtout, les relations au sein de la famille et les enjeux entre frères et sœurs. «Je veux comprendre le panorama familial pour rédiger un testament qui limitera les contestations après le décès», affirme Me Pascale Villani. Et il ne faut pas minimiser la fiscalité. Si on transmet son chalet par testament à un de ses enfants, il faut mentionner qui assumera la dette fiscale qui s’y rattache, autrement c’est la succession qui devra l’assumer.
Idéalement, en présence du conjoint et des enfants, on lègue à ceux-ci les biens ayant le moins de charges fiscales, comme des sommes d’argent, le produit d’une assurance vie ou des biens avec peu de gains latents, et on roule [c’est-à-dire qu’on transfère sans impôt] au conjoint survivant le chalet et les REER ou FEER, par exemple. «La fiscalité est souvent l’angle mort des successions», rappelle la juriste.
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