Comme chaque année, avec le retour de la saison froide, des Québécois migrent vers la Floride. Même si c’est la chaleur qui les attire, on associe depuis très longtemps les séjours au bord de la mer à la santé. Une revue de la littérature scientifique montre toutefois que les vertus de l’air marin ont été grandement exagérées.
L’origine de la rumeur
Depuis le 18e siècle, les régions côtières sont vantées, y compris par les médecins, pour leurs impacts bénéfiques sur la santé et le rétablissement des malades. En 1938, des médecins écrivant dans le journal médical The Lancet constataient que leurs prédécesseurs, un siècle et demi plus tôt, avaient parlé des effets « énergisants » de l’air marin. Un mouvement faisant la promotion de « maison de convalescence » sur la côte de l’Angleterre avait même fait son apparition à l’époque.
De nos jours, c’est plutôt l’industrie du tourisme qui vante les bienfaits de l’environnement côtier pour la santé, notamment pour diminuer les problèmes respiratoires.
Peu d’études sur un lien
Pourtant, il existe peu d’études permettant de confirmer s’il y a bien un lien. En 2012, des chercheurs du Royaume-Uni se sont servis du recensement de 2001 pour tenter de répondre à la question. Ils ont remarqué qu’à mesure que l’on s’approche de la côte, le niveau de santé rapporté par les individus semble s’améliorer.
En 2019, des scientifiques belges ont fait le même exercice et ont conclu que les gens qui vivaient à moins de 5 km de la mer disaient avoir une meilleure santé générale que ceux qui habitaient de 50 à 100 km à l’intérieur des terres. Une étude réalisée par d’autres chercheurs européens en 2023 a noté pour sa part que l’effet sur la santé rapporté était plus important pour les gens qui demeurent à moins de 2 km des côtes.
Selon ces scientifiques, plusieurs facteurs pourraient être à l’œuvre. Par exemple, le bord de la mer serait peut-être plus propice à la pratique de l’activité physique et permettrait aussi de réduire le stress.
Cependant, il serait également possible que cet environnement ait des caractéristiques physiques et chimiques qui influenceraient positivement la santé.
Ce que l’on sait sur l’air salé
Lorsque les vagues se brisent à la surface de la mer ou de l’océan, une pluie de fines gouttelettes se forme et est ensuite emportée par le vent. C’est ce que l’on appelle les embruns marins. Ils transportent avec eux des sels de sodium, de magnésium, de calcium et de potassium. On peut d’ailleurs détecter ces sels en grande quantité dans l’air jusqu’à 500 mètres du bord de mer, expliquaient des chercheurs américains en 2021. Les scientifiques estiment que cette concentration se situe entre 0,006 et 0,02 microgramme (μg) de sels par litre d’air. Une personne qui respire cet air toute la journée inhalerait ainsi 60 à 200 μg de sel par jour.
Toujours selon ces chercheurs américains — qui s’interrogeaient à l’époque sur le lien bénéfique que cela pourrait avoir contre une maladie respiratoire comme la COVID — le fait de respirer les sels présents dans l’air serait une bonne façon d’améliorer l’hydratation des voies respiratoires et d’aider à dégager le mucus.
En entrevue pour le Wall Street Journal en 2014, le médecin américain Thomas Ferkol avait raconté que plusieurs de ses patients souffrant de fibrose kystique — maladie rare qui touche les voies muqueuses et respiratoires — disaient se sentir mieux pendant leur voyage sur la côte.
Ce sont des observations de ce genre qui avaient inspiré des médecins à mettre au point un appareil permettant aux personnes souffrant de fibrose kystique d’inhaler une solution saline. Selon une étude parue en 2006 dans le New England Journal of Medicine, l’utilisation de cet appareil pendant un an aurait été associée à une amélioration « modérée » du fonctionnement des poumons et à une diminution du nombre d’épisodes d’infection et d’inflammation pulmonaire aiguë. Cette stratégie est toujours recommandée, notamment aux États-Unis, sur le site de la Fondation pour la fibrose kystique.
De plus, dans leur article de 2021, les chercheurs américains avaient conclu que les niveaux élevés de sels dans l’air de même que le haut niveau d’humidité à proximité de la mer auraient permis de réduire l’incidence de la COVID-19 et le nombre de décès dans les régions côtières des États-Unis. Selon les auteurs, l’air salin diminuerait la production de gouttelettes et donc, la transmission du virus.
Un air vraiment plus pur?
Quand on n’évoque pas le sel et l’eau, on se rabat souvent sur la meilleure qualité de l’air des régions côtières pour expliquer ses bienfaits. Dans leur étude de 2019, les chercheurs belges avaient d’ailleurs mesuré que la pollution était moins importante dans les villes situées à moins de 5 km de la mer.
Cependant, des données plus récentes semblent indiquer que l’air marin n’est pas aussi pur qu’on le prétend. Des molécules biogéniques peuvent s’y retrouver lors de la formation des embruns, expliquait en 2019 l’équipe du chercheur Emmanuel Van Acker, de l’Université de Gand en Belgique. Ces molécules, qui sont produites dans l’eau par les bactéries et le phytoplancton, incluent des vitamines, des pigments et des polyphénols, mais aussi des phycotoxines — comme celles pouvant être produites lors de la prolifération des algues. Ces substances pourraient avoir des impacts sur la santé lorsqu’elles sont inhalées.
En 2022, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en France mettait d’ailleurs en garde les usagers des plages contre les toxines produites par les microalgues marines auxquelles ils peuvent être exposés par l’inhalation d’embruns. Dans une revue sur le sujet publiée en 2023, des scientifiques rappelaient que 15 % des cas d’asthme dans les régions côtières seraient attribuables à ces toxines.
Enfin, selon une étude réalisée par des chercheurs de Stockholm en 2024, les PFAS — des molécules chimiques utilisées dans plusieurs procédés industriels et dans certains produits de consommation — pourraient se retrouver dans l’air des régions côtières, puisqu’ils sont présents dans les embruns marins. En effet, les PFAS, parce qu’ils sont connus pour s’accumuler dans les océans, peuvent être « éjectés » dans l’air.
Verdict
Certaines caractéristiques de l’air marin pourraient bel et bien favoriser l’hydratation des voies respiratoires et améliorer les symptômes de certaines maladies, en particulier respiratoires. Cependant, on découvre depuis quelques années que l’air du bord de mer peut aussi contenir des contaminants dommageables pour la santé.
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