Lise Dion affirme d’emblée que la recherche du bonheur n’est pas sa priorité, pour la bonne raison… qu’elle baigne dedans! Depuis qu’elle est sortie de la pauvreté et de son ancienne vie de serveuse de restaurant, elle jouit chaque jour des bons moments que lui apporte l’existence. «J’ai l’impression de me reposer enfin. Je mène la vie que je veux, sans contraintes. J’ai une maison en ville, une autre à la campagne, j’ai deux bons chiens pour me tenir compagnie, des tas d’amis qui veillent sur moi, et quand je travaille, c’est pour faire rire les gens. Pour moi, c’est ça, le bonheur: je tripe au boutte!»
Les anecdotes que raconte Lise Dion dans son livre sont révélatrices: vécues, inventées ou inspirées de faits cocasses vécus par ses amies, elles nous dévoilent une femme tiraillée entre ses coups de cœur et ses obsessions. Dans la vie, l’humoriste essaie de garder un sain équilibre entre la folie des spectacles et la sérénité qu’elle cultive avec soin. Elle vit seule depuis sept ans, après une belle relation de quinze ans avec un homme qui était, et est toujours, son gérant: «Notre relation d’affaires a tué notre relation de couple. Mélanger le travail et l’amour fut une erreur monumentale, que je déconseille à tout le monde. Tu te lèves le matin avec un gars qui te parle de ton horaire de la journée, tu travailles tout l’après-midi avec le même gars, tu soupes avec lui, tu sors avec lui le soir et en revenant, tu te couches en faisant le bilan professionnel de la journée. Il ne reste plus d’espace pour le couple.»
Solo assumé
On pourrait penser que les beaux hommes font maintenant la file pour séduire la célibataire, mais les candidats se font au contraire plutôt rares: «Les blind dates, c’est fini, bien sûr: connue comme je suis, les gens m’abordent comme une star, et non comme une femme. Je vis cependant très bien ma solitude, même si je mène une vie sexuelle plutôt religieuse, si vous voyez ce que je veux dire.» Elle avoue que l’appel des sens se fait plus pressant au printemps, quand la sève remonte et que les mâles sortent du bois: «Je peux avoir des crises d’ovaires spectaculaires, comme les lapines. Ça brasse un peu, alors je vais m’étendre et ça passe!» confie-t-elle en riant aux éclats.
Dans son recueil, Lise raconte qu’un jour elle a répondu au téléphone pendant qu’elle faisait l’amour, tellement elle trouvait son partenaire ennuyant! Le monsieur est parti avant la fin de l’appel… Une telle attitude ne risque-t-elle pas de décourager de futurs prétendants? Avec une moue faussement innocente, la principale intéressée répond: «Qu’en pensez-vous?»
Elle adore aussi manger seule au restaurant, mais il semble que cela gêne les autres clients: «Les gens me prennent en pitié, je ne sais pas pourquoi… Certains m’invitent à leur table. J’ai beau leur expliquer que j’aime être tranquille, ils ne me croient pas. J’ai réglé la question en mangeant au comptoir. Je peux faire des farces avec le personnel, ou rentrer dans ma bulle si je le désire. J’ai toujours une tablette avec moi, et j’écris de grands bouts de spectacles ou mes livres assise là.»
L’appel de la nature
Avec le succès vient une certaine aisance financière. L’humoriste a souvent raconté ses années de vaches maigres, alors qu’elle peinait à survivre avec un petit salaire de serveuse. Aujourd’hui, elle n’éprouve aucun remords à s’offrir un peu de confort: «Je pars de loin. Quand j’étais enfant, sur le Plateau Mont-Royal, je devais marcher plusieurs coins de rue avant de voir le gazon du parc Lafontaine. Depuis quelques années, je possède une jolie maison de campagne dans les Cantons-de-l’Est, à une heure de Sherbrooke et de Drummondville. On y accède par une petite route sinueuse en gravier. De ma fenêtre, je contemple la prairie qui change de couleur au fil des saisons. Bien installée devant un feu de foyer, un verre de vin à la main, avec mes chiens Woody et Laloup qui somnolent à mes pieds, j’avoue que j’atteins un bonheur presque parfait!»
Les soirées peuvent tout de même être longues au fond d’un rang… Lise branche alors sa machine à karaoké et chante à pleins poumons les grands succès de Nicole Martin. «Mes chiens ne hurlent pas quand je chante, mais ils soupirent très profondément!» La solitude bucolique a toutefois ses limites: «Après quelques semaines, quand je demande au voisin s’il y a beaucoup de gens à l’épicerie du village, je comprends que le retour en ville est devenu nécessaire. Il faut que je voie du monde!»
Traduction libre
Puisque le prochain spectacle de Lise Dion n’est prévu qu’en 2018, l’humoriste peut partager sa vie entre le Québec et la Floride, sa deuxième patrie: «Je suis folle du soleil. Après quelques jours de chaleur, la plupart de mes douleurs aux articulations disparaissent. Je respire mieux, l’air salin est bon pour ma peau et mes os, bref, j’y suis bien!»
C’est beau la Floride, mais on y parle anglais, bête noire de l’humoriste. «J’ai suivi des cours, mais on dirait que cette langue ne me rentre pas dans la tête. Au dépanneur de West Palm Beach, je peux dire « Me wanting milk« , mais c’est limité comme conversation. Un jour, j’ai rencontré à Montréal un producteur américain qui s’était forcé pour me dire « Bonjwourr » en français. Comme il descendait de l’avion, j’ai répondu: « Oh, you learned your French in your fly! » (Vous avez appris le français dans votre braguette!) Vous auriez dû lui voir la face…»
Dans Humeurs d’une femme mûre et divertissante, Lise raconte ses déboires aux douanes américaines, où on la fouille systématiquement. «Je sais que je vais me planter, donc j’arrive aux douanes les mains moites et le visage en sueur, comme une droguée. La dernière fois, à la question « Where do you come from?« , j’ai répondu: « I am a very good girl« … Et hop! ma Lise, on fouille tes valises!» L’humoriste persiste tout de même à visiter les États-Unis. «Je suis allée à Disneyland avec mes deux enfants l’automne dernier. On a eu un plaisir fou!» Hugo et Claudie sont maintenant âgés d’une trentaine d’années, mais Lise tenait à réaliser avec eux ce rêve qu’elle n’a pu leur offrir quand ils étaient petits. «Mes enfants sont devenus mes meilleurs amis. Hugo crée des sites Internet et Claudie est une superinfirmière qui peut rédiger des ordonnances. Elle veut faire une maîtrise, mais elle en arrache un peu, car les infirmières praticiennes spécialisées ne sont pas bien acceptées par certains médecins.» Se faire accepter… La mère et la fille ont eu à combattre des préjugés identiques.
Soixantaine rebelle
Lise Dion a vécu le rejet au début de sa carrière et en a gardé des cicatrices profondes. La comédie est un milieu d’hommes, certains humoristes le lui ont bien fait sentir. Comme elle ne vient pas d’un milieu d’intellectuels, elle a été snobée par plusieurs médias, qui la jugeaient trop «populaire». Un jour, le grand comédien Jean-Louis Millette, qui pouvait jouer du Shakespeare aussi bien que du Gilles Latulippe, lui a confié que faire rire les gens est le métier le plus difficile au monde et qu’elle ne devrait pas rougir de son talent. Lorsqu’elle a publié en 2011 son premier livre, Le secret du coffre bleu, où elle racontait son enfance difficile, les critiques l’ont ignorée… jusqu’à ce que Le Devoir la louange. Aujourd’hui, Lise a repris confiance en elle. Il faut avouer que vendre plus d’un million de billets de spectacles en quelques années de carrière est excellent pour l’estime de soi!
La ménopause a été l’élément déclencheur d’une grande prise de conscience chez la comédienne. Il y a eu bien sûr les chaleurs et les sautes d’humeur, mais c’est surtout le moment où elle a appris à dire non aux abus de toutes sortes. «Je ne sais pas si ce sont les hormones, mais je suis devenue incapable de me faire manger la laine sur le dos. J’ai réalisé que certaines amitiés étaient en réalité de la dépendance, et qu’on abusait de ma générosité. J’ai appris à détecter les parasites. Au travail, j’ai aussi commencé à refuser certains contrats payants parce que j’étais rendue au bout du rouleau. Quand ça fait trois heures que tu es revenue à la maison et que tu n’as pas encore enlevé ton manteau, c’est le signe que quelque chose ne va plus. Il faut arrêter avant le burn-out. Je le dis aux femmes: essayer d’être une superwoman, ça peut tuer!»
Lise est redevenue rebelle, comme à l’époque de son adolescence. Elle s’est même acheté une moto «à trois roues, quand même. Je n’ai pas encore rejoint les Hells!» Elle prend le temps de respirer et n’accepte plus les grandes fatigues: «Quand mon disque dur est plein, je dois absolument faire le vide, sinon je nourris des pensées noires qui ne me ressemblent pas. Il n’y a pas de honte à se reposer. Prendre du temps pour soi, décrocher au moins une heure par jour est essentiel.»
Rire pour guérir
L’humoriste a également cessé d’essayer de se faire aimer à tout prix: «Récemment, un comédien m’a dit qu’il ne m’aimait pas. J’ai répondu que moi non plus, je ne l’aimais pas! Il m’a remerciée pour ma franchise, et j’ai éclaté de rire. Avant, je n’aurais jamais osé dire ça à une vedette!» Lise a tout de même gardé un cercle d’une dizaine d’amies autour d’elle. Certaines la connaissent depuis plus de trente ans. Le secret d’une longue amitié? «Le rire! En amitié comme en amour, je vois que les vieilles relations sont cimentées par l’humour et l’autodérision. Il en faut quand on se regarde le matin dans le miroir après 60 ans!»
Justement, succombera-t-elle un jour à l’appel du Botox et de ce que Clémence appelle le ravalement de façade? «Pas pour l’instant. On doit accepter que la peau ne soit plus aussi ferme qu’elle l’était à 30 ans. Je ne crois pas aux produits miracle. C’est pour ça que j’ai cessé de lire plusieurs revues féminines qui ne contiennent que de la pub contre les rides. En fait, j’en ai marre des publicités qui prennent les gens pour des cons. Pense-t-on vraiment que je vais acheter telle voiture parce que j’ai peur d’être attaquée par des bonhommes de neige? Cela dit, certaines me font beaucoup rire, comme celle du lait avec les enfants qui chantaient: « Y a-tu du lait icitte ».»
Lise Dion a-t-elle confiance en l’avenir? Son métier d’humoriste ne l’empêche pas d’être lucide: «Ma naïveté a foutu le camp lors du 11 septembre. Depuis, j’ai peur des terroristes. L’aéroport de Fort Lauderdale, où transitent les snowbirds québécois, a été criblé de balles. Ajoutez les tueries dans les mosquées et les églises, Trump qui défie les autres grandes puissances, les réfugiés refoulés aux frontières, les aînés maltraités, les grandes entreprises et les gouvernements qui volent le contribuable, ouf! Faire rire les gens est devenu une urgence.»
Chez elle, le clown n’est jamais très loin: «L’autre soir, après le téléjournal, j’ai commencé à penser à la mort. Puisque je dors seule, j’ai décidé de me maquiller avant de me coucher, par respect pour les ambulanciers qui vont me trouver. Et je porte toujours des petites culottes propres, j’ai mon orgueil!»
Humeurs d’une femme mûre et divertissante, chez Libre Expression (288 p., 24,95 $).
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