Du simple inconfort à la panique pure, la crainte de prendre l’avion touche entre 10 % et 40 % des passagers, quelle que soit leur fréquence de vol. Heureusement, il est possible d’atténuer cette peur… et même de s’en défaire!
Lors de son premier voyage en avion, à l’âge de 16 ans, les orages et l’inconnu ont engendré chez Andrée une phobie qui la paralyse encore à 66 ans. «Je sais que c’est fou, mais c’est comme ça. J’ai volé depuis avec mon mari dans plusieurs îles et pays, mais rien n’a changé. J’agrippe toujours fortement son bras, j’ai le souffle court, la bouche sèche, les mains moites, les mâchoires serrées. J’ai même craqué mon dentier lors d’un atterrissage difficile! À l’arrivée, mon chandail est trempé de sueur.»
S’il est normal d’avoir peur la première fois – après tout, l’homme n’est pas conçu pour voler –, cela ne l’est plus quand la crainte devient phobie. «La peur de l’avion génère un certain inconfort, mais la personne est capable de relativiser, explique Émilie de Tournay, psychologue à l’Institut universitaire de santé mentale de Montréal et spécialiste des troubles anxiogènes. Par contre, la phobie est irrationnelle. La personne sait que la situation n’est pas aussi dangereuse qu’elle le ressent, mais elle ne peut pas se contrôler. Son corps se prépare à attaquer ou à fuir: son cœur bat plus vite, elle a chaud, elle éprouve des malaises gastriques, etc. Cet état d’inconfort important contribue à alimenter la peur. Le passager se dit: « Si je me sens si mal, c’est que je suis certainement en grand danger! »»
Reprendre le contrôle
Que se passe-t-il donc dans la tête? La psychologue Marie-Ève G. Rabbath résume: «Si on se retrouve face à un lion dans la jungle, notre cerveau mobilise un système de défense. On comprend bien le lien établi, puisque le danger est évident. Mais le lien avec l’avion, lui, ne l’est pas. Le cerveau perçoit un élément qui ressemble à une expérience négative déjà vécue. Il active alors un programme de protection à notre insu: la personne ignore ce qui l’a déclenché.» Résultat: son appréhension s’aggrave.
Les peurs en avion sont diversifiées: il y a celle d’un endroit clos, celle de perdre le contrôle, de devoir s’en remettre à quelqu’un alors qu’on a déjà été déçu d’un manque de soutien, la peur de l’inconnu, de mourir… Elles sont aussi souvent liées aux différentes étapes et événements du vol, tels que les turbulences, le décollage et l’atterrissage. «Pour certains, le seul fait d’être à l’aéroport peut être anxiogène, ajoute Mᵐᵉ Rabbath, membre de l’équipe du programme VisionAir pour vaincre sa peur en avion. Lors de séminaires se déroulant à l’aéroport, j’ai déjà vu des chefs d’entreprise s’écrouler en pleurant.»
Certains optent alors pour la solution d’évitement: «Beaucoup choisissent de ne pas voler. C’est dommage quand on est retraité et en forme, estime Émilie de Tournay. Pourquoi se couper de belles expériences?» Et cette décision est parfois soudaine, alors que la peur de l’avion n’avait jamais été présente avant… «Les gens qui ont vécu différents déboires sont plus stressés, leur système nerveux a été mis à rude épreuve et ils ont beaucoup moins de marge de manœuvre pour affronter une situation qu’ils contrôlent peu. Une accumulation de facteurs fait alors que voler est désormais au-dessus de leurs capacités.» C’était le cas d’un de ses clients qui voyageait fréquemment par les airs: depuis un vol qui l’avait amené aux funérailles d’un proche, il se sentait incapable de prendre l’avion. «Il n’était pas dans de très bonnes dispositions, son système nerveux était très sollicité.» Ce vol est alors devenu la goutte qui a fait déborder le vase.
Débusquer le lion
À force de volonté, Andrée réussit maintenant à embarquer pour des vols de cinq heures, soit une heure de plus qu’il y a quelques années. «Je respire un peu mieux, je ne suis plus désagréable avec les passagers bruyants, mais les autres symptômes sont toujours présents.» Les spécialistes s’entendent: il est possible de se libérer de la peur et de la phobie, «dans la mesure où la personne fait un cheminement, soutient Marie-Ève Rabbath. Il est important de comprendre ce qui active la peur, de voir où se trouve notre propre lion.»
La peur de l’avion étant souvent causée par un manque de connaissances, il faut aller chercher les informations, entre autres dans des séminaires qui font découvrir comment fonctionnent les appareils et à quel point ils sont sécuritaires. Ces séances organisées permettent également de se désensibiliser, étape essentielle vers la délivrance de l’anxiété: on s’expose graduellement à ce qu’on redoute, pour en dénicher la cause. «Les gens ont rarement peur seulement de l’avion, poursuit Mᵐᵉ Rabbath. Par exemple, les claustrophobes évitent aussi le métro.» Il s’agit donc de délier le nœud principal des angoisses pour en réduire l’éventail. «Quand ils ont saisi la corrélation entre les éléments qui les rendent inconfortables, les participants nous disent presque toujours: « Je suis mieux outillé, je comprends mieux où est mon plus gros lion. » En traitant cet élément déclencheur, la personne en vient à comprendre le pourquoi de l’alarme de protection et peut la contrôler, voire l’éliminer. Dans ce processus, les plus âgés ont d’ailleurs un avantage: grâce à leur expérience de vie, ils ont le recul nécessaire pour jauger la situation.»
On peut faire soi-même un bout de chemin, par un travail sur soi après le vol, note Émilie de Tournay. «Il s’agit de réinterpréter ce qui s’est passé, collé à la réalité. Plutôt que de lancer un « ouf! » de soulagement, on constatera que, dans le fond, tout a bien été. On se rendra compte qu’on ne l’a pas « échappé belle », mais qu’on n’a jamais été en danger. En faisant chaque fois cet exercice, le cerveau en vient à distinguer la perception et la situation réelle. À la longue, le passager redoutera de moins en moins ces voyages.»
Gérer son stress à bord
Les spécialistes proposent quelques trucs pour se prendre en main à bord.
-> La première chose à faire est d’aviser le personnel de bord de notre inconfort. «Il n’y a pas à avoir honte, insiste Debbie Cabana, directrice des médias sociaux et des relations publiques chez Air Transat. Tout le personnel navigant est formé à comprendre ce qui suscite la peur chez plusieurs passagers. Le mot-clé est compassion. L’agent de bord répondra aux questions techniques et fera tout pour réduire l’anxiété.»
-> Consulter l’écran sur le dossier du siège. Il indique l’itinéraire et donne la position de l’appareil, ce qui rassure le passager.
-> Contrôler sa respiration pour éviter l’hyperventilation et réussir à relaxer.
-> Fermer les yeux et se concentrer sur les plaisirs à venir, les gens qu’on part visiter, les lieux à découvrir, la gastronomie à savourer.
-> Lire, écouter sa musique préférée ou faire des mots croisés permet aussi d’oublier le temps qui passe et de penser à autre chose que la peur.
-> On y arrive également en couchant ses peurs sur papier de façon précise. Se vider ainsi de ses émotions a un effet calmant.
-> En cas de phobie importante, la prise d’anxiolytiques peut aussi aider à vivre le vol plus calmement.
Besoin d’aide?
– Pour des séminaires ciblés: govisionair.com.
– Pour consulter un spécialiste: Ordre des psychologues du Québec au 514 738-1223, 1 800 561-1223 ou à ordrepsy.qc.ca.
– Pour des astuces et mieux comprendre: peurdelavion.com, ou les livres La peur d’avoir peur, d’Andrée Letarte et André Marchand (Stanké), et Surmonter la peur en avion, de Marie-Claude Dentan (Odile Jacob).
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